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COURTE RÉPONSE

A LA NOTE DE L'ORDRE DES FRÈRES PRÉCHEURS

MAI 1877

POUR MM. LÉON LACORDAIRE ET MARCHAL

:

Les Dominicains sont certainement les plus redoutables adversaires rien ne les lasse, ne les désarme ni ne les ramène. Aux questions épuisées, ils opposent imperturbablement les mêmes objections, bien qu'elles aient été cent fois réfutées. Ils veulent à tout prix faire croire qu'on les attaque, qu'on les spolie, qu'on les persécute, et quand nous nous bornons à leur répéter: Voici bientôt seize ans qu'au mépris des lois que vous bravez, vous détenez tout ce que possédait notre auteur; daignez faire ce à quoi le plus puissant d'entre nos concitoyens n'aurait pu se soustraire : rendez-nous compte de ce que vous avez entre les mains, ils crient à l'impiété, au scandale, et ils pensent arrêter l'action de la justice en prétendant que nous devons tout d'abord prouver qu'ils ont reçu, ce que nous n'aurions jamais fait.

C'est toujours le même système. De même qu'en face des lois qui leur défendent d'exister comme corporation, ils existent, possèdent, trafiquent, conservent, plaident, et se nomment hautement l'Ordre des Dominicains, de même ils supposent que rien n'a été jusqu'ici jugé avec eux et contre eux, et vous répondent Prouvez que nous possédons!

Nous pourrions nous contenter de leur rappeler l'évidence du fait qu'ils ont le courage de nier. Est-il vrai, oui ou non, qu'en vertu des règles de son ordre, le Père Lacordaire s'est défait à leur profit de tout ce qui lui appartenait, de tout ce qu'il a reçu, de tout ce qu'il a gagné?

Est-il vrai, oui ou non, que toutes ses facultés sont restées entre les mains des chefs de l'ordre qui, au moment de sa mort, en étaient investis et n'ont pas cessé un jour d'en retenir la possession?

Est-il vrai, oui ou non, que, pour échapper à la restitution, l'Ordre des Dominicains n'a reculé devant aucun effort, devant aucun déguisement de la vérité, qu'il a eu recours à toutes les ressources de la simulation, qu'il a épuisé tous les moyens de la procédure, et qu'il ne s'est avisé d'alléguer l'insolvabilité du Père Lacordaire que lorsque, six fois vaincu dans cette longue lutte, il a compris qu'il ne pouvait plus retarder le jour où il serait forcé de restituer?

Chacune de ces propositions est, comme nous venons de le dire, l'évidence mème. La conclusion qui en ressort n'est pas moins certaine.

Les représentants du Père Lacordaire n'ont pas besoin de prouver la donation, ils prouvent, et leurs adversaires avouent, l'appréhension et la détention illégales de ce qui leur appartient. Ils ont donc le droit de le revendiquer, et à plus forte raison d'en demander compte.

Mais si le fait ne permet aux Dominicains ni de nier ni de contester, le droit ne les condamne pas avec moins de force.

Ils s'obstinent à réclamer la preuve d'une donation. Ils oublient, ou plutôt ils feignent d'oublier, le triste passé judiciaire qu'ils nous ont imposé. Quand, après la mort du Père Lacordaire, ils ont voulu retenir son bien, ont-ils déclaré qu'ils n'avaient rien entre les mains?

Non, ils ont produit une donation testamentaire faite à leur profit, sous le voile d'un legs universel à l'abbé Mourey, qui ne dissimule plus aujourd'hui, comme il le faisait alors, sa qualité de fidéicommissaire.

Cette donation, les Dominicains l'ont exécutée, car ils se sont fait envoyer en possession.

Or, le jugement de Castres du 31 octobre 1862 les a condamnés, dans la personne de l'abbé Mourey, à restituer ce qu'ils avaient usurpé et préalablement à rendre compte.

Ce jugement a été confirmé par un arrêt souverain de la cour de Toulouse du 12 janvier 1864.

Et les Dominicains demandent où est la donation! La voici, brisée, il est vrai, entre leurs mains, mais après qu'ils s'en étaient servis pour s'approprier l'entier patrimoine.

Après l'abbé Mourey, l'abbé Jeandel: même donation, même envoi en possession, même jugement de Castres du 16 avril 1866, même arrêt souverain de la cour de Toulouse du 29 novembre 1866. Seulement, cette fois, les Dominicains avaient confessé la vérité, ils avaient

reconnu que l'abbé Jeandel n'était que leur prête-nom. L'arrêt était donc prononcé contre eux, et les condamnait à rendre compte.

Mais les Dominicains se vantent d'être au-dessus des arrêts comme ils sont au-dessus des lois. Les arrêts et les lois sont incompatibles avec leur existence que les arrêts et les lois périssent, et que les Dominicains continuent à subsister!

Aussi déclarent-ils qu'ils n'ont rien reçu et que nous n'avons pas prouvé les donations qu'il leur a été permis de recevoir!

La cour appréciera!

Nous maintenons que le tribunal de Castres ne pouvait, sans violer l'autorité de la chose jugée, refuser aux demandeurs le moyen pratique d'obtenir l'exécution de ces décisions inattaquables. C'est ce qu'il a fait en précisant l'obligation de rendre compte et en l'accompagnant d'une sanction, sans laquelle les Dominicains tourneraient son jugement en dérision.

MM. Léon Lacordaire et Marchal n'ont donc fait que suivre les errements de la procédure. Ils n'avaient rien à prouver, car tout avait été prouvé contre leurs adversaires, ils n'avaient qu'à solliciter de la justice un ordre dont il ne fût plus possible de se jouer. Cet ordre, ils l'ont obtenu, et c'est parce qu'il leur permet une exécution sérieuse, que les Dominicains tentent un suprême effort pour l'éluder

encore.

II

Aussi reprennent-ils dans leur note de prétendues démonstrations dont nous espérons avoir fait justice et auxquelles, par conséquent, nous croyons inutile d'opposer de nouveau toutes les réfutations que la cour n'aura certes pas oubliées. Ils nous disent que la correspondance de notre auteur établit qu'il avait dissipé son patrimoine, lorsqu'il est entré en religion. S'il en est ainsi, nous demandons pourquoi il a fait son testament au profit de l'ordre, et pourquoi les Dominicains ont défendu ce testament avec un infatigable acharnement. Ils repoussent la lettre de 1837 dans laquelle le Père Lacordaire accuse douze cents francs de rente, outre quelques réserves, et témoigne une parfaite satisfaction de sa situation pécuniaire, en tirant argument de faits absolument méconnus, de calculs de fantaisie, de lambeaux de correspondance qui n'ont aucun caractère juridique. Il y a un moyen simple, facile, honnête, de connaître la vérité c'est celui-là que les Dominicains déclarent inadmissible, offensant, scandaleux; c'est la production des livres. Ces livres existent, ils sont la propriété de MM. Léon Lacordaire et Marchal, tout aussi

bien que celle des Dominicains. Qu'on les produise! Tout autre qu'une congrégation religieuse non autorisée n'oserait les refuser. Les Dominicains savent que ces livres les condamneraient; ils ne veulent pas les communiquer.

Et pour colorer leur résistance, ils ne craignent pas d'invoquer des théories formellement proscrites par la loi; ils écrivent en effet (page 4 de leur note) :

La qualité de communiste ne peut conférer aucun droit, puisque le patrimoine d'une congrégation religieuse ne peut faire l'objet ni d'une action en partage, ni d'une liquidation quelle qu'elle soit »

C'est bien là la tactique que nous avons énergiquement signalée à la cour et que nous ne saurions trop recommander à sa haute sagesse, car elle nous paraît un défi à la loi, et par là même un véritable danger public.

Les Dominicains, qui prêchent et pratiquent le communisme, veulent se faire accepter par la justice, malgré les prescriptions formelles du droit civil, et ils ne craignent pas d'affirmer que leur corporation possède un patrimoine qui ne peut être divisé et qui ne donne aucun droit à ceux qui en sont copropriétaires, c'est-à-dire que, de leur autorité plénière, ils effacent l'article 815 du Code civil.

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Il est vrai qu'ils y mettent de l'habileté. Ils invoquent les règles des congrégations religieuses », et ils oublient très-adroitement d'ajouter non autorisées ». Or, tout est là. Que les congrégations autorisées puissent avoir le privilége de la communauté des biens, nous ne le contestons pas. Mais celles qui ne sont pas autorisées ne sauraient y prétendre; elles n'ont pas même le droit d'exister; et si elles forment une agrégation de fait, chacun de ceux qui font partie de cette agrégation peut à tout instant demander à reprendre ce qu'il a mis dans le patrimoine commun que la loi ne saurait ni protéger ni reconnaître.

Le Père Lacordaire avait donc pu faire ce que font aujourd'hui ses représentants, et comme la marquise de Guerry, comme mademoiselle de Boulnois, comme les héritiers de l'abbé Cadel (affaire Onfroy), il aurait pu réclamer les registres et les comptes.

III

Ces points établis, à quoi bon renouveler la discussion relative au caractère légal des produits littéraires à propos desquels les Dominicains s'obstinent à refuser toute justification?

Nous avons fait nos réserves sur le chiffre réel des sommes qu'ils

ont reçues de ce chef. Il est inexact de soutenir, comme ils le font, que nous sommes d'accord avec eux et que nous acceptons l'hypothèse de 180,000 francs. En ceci, comme pour toutes les choses d'une succession dont les héritiers n'ont ni vu ni touché un fétu, nous avons admis ce qui nous a été accusé par les détenteurs de tous les objets composant cette succession; mais nous sommes convaincus que leurs renseignements ne sont pas complets. Nous avons indiqué treize ouvrages en brochures, dont plusieurs ont eu un grand succès et qui ne figurent pas parmi ceux qui ont été énumérés. De plus, l'état des produits ne remonte qu'à 1854. A cette époque, depuis quinze ans au moins, le Père Lacordaire avait recueilli les fruits de son immense renommée. Il nous parait donc certain que le chiffre de 180,000 francs est de beaucoup au-dessous de la réalité. Ici encore nous rappelons aux Dominicains que, seuls en possession de tous les documents desquels se dégagerait facilement la vérité, seuls ils peuvent la mettre en lumière, mais ils s'y refusent absolument. Eux seuls aussi peuvent connaitre ce qui, sur le montant de ces produits, a été consacré à l'entretien journalier des religieux. C'est une question toute de fait. Ils trouvent commode de la résoudre par leur affirmation. Ils prononcent ainsi dans leur propre cause. Ils aiment mieux se rendre justice à eux-mêmes que d'éclairer la justice de la cour, et ils s'écrient fièrement :

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Que M. Léon Lacordaire détruise la force de cette présomption!

M. Léon Lacordaire n'a rien à détruire, puisqu'on ne lui oppose rien. Si dans l'arrêt de Guerry la cour de Paris, se conformant à l'avis de M. l'avocat général de Vallée, a jugé que les revenus des capitaux et des immeubles échappaient au compte, elle a rendu une décision d'espèce, certainement fort sage, mais sans portée doctrinale. Elle n'a ni de près ni de loin statué sur le point qui nous occupe; aucun tribunal, aucune cour n'a décidé que le produit du travail, quel qu'en soit le chiffre, que le trésor, que la valeur entrée à un titre quelconque dans le patrimoine d'un citoyen, soient nécessairement un fruit, et comme tel, invariablement tangible. C'est là cependant ce qu'il faudrait prouver, et on l'a vainement essayé. Mais au lieu de raisonner à perte de vue sur des abstractions, que les Dominicains veuillent bien ne pas toujours s'obstiner à dédaigner les réalités. Ils savent par livres, sous et deniers ce qui a été fait des bénéfices considérables que leur fondateur a touchés. Ils en ont l'état entre les mains, qu'ils consentent enfin à le laisser voir. Ce simple acte de condescendance sera plus efficace pour la manifestation de la vérité que toutes les théories transcendantales par lesquelles ils essayent d'éblouir leurs juges.

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