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DES ACCUSÉS.

Un avocat n'a pas seulement à défendre les intérêts pécuniaires de ses cliens dans les procès purement civils; il doit aussi se préparer à défendre la liberté, l'honneur, la vie des accusés en matière criminelle 1.

Cette tâche difficile peut lui être imposée ou par le choix des parties elles-mêmes qui réclameront son ministère, ou par celui de la justice qui le désignera d'office pour remplir cette noble fonction.

Il doit donc se mettre de bonne heure au fait de l'instruction criminelle et des lois pénales.

Cette étude n'est pas moins importante que celle du droit civil; on pourrait même dire qu'elle l'est davantage, à ne considérer que la gravité des intérêts et la sévérité des conséquences.

Mais autant la conscience de l'avocat doit être effrayée de l'importance des devoirs que lui impose la défense des accusés en matière criminelle, autant sa raison doit l'armer de courage pour les remplir dans toute leur étendue.

Il doit, avant tout, se bien pénétrer de cette idée, que la défense des accusés, sans cesser d'être respectueuse, doit essentiellement être libre ; que tout ce qui la gêne empêche qu'elle ne soit complète, et par là même compromet le sort de son client.

Rarement, sans doute, quelquefois pourtant, il s'élève dans le cours d'un débat une sorte de lutte entre l'avocat et les magistrats qui soutiennent ou dirigent l'accusation: celui-là, revendiquant le droit de parler; ceux-ci lui imposant l'obligation de se taire, ou de ne parler que comme il leur plaît. L'autorité est toujours d'un côté, mais la raison

Il en est autrement en Angleterre : l'ancienne loi refuse un conseil aux individus traduits en justice pour crime de félonie! Et, même en 1824, la proposition faite par M. Lamb de changer cette loi fut rejetée par une majorité de 80 voix !

peut quelquefois être de l'autre. Qui cependant tiendra la balance, entre l'avocat qui réclame et le juge qui décide? Il est à cet égard des principes qui règlent la conduite du magistrat et celle du défenseur.

J'avais entrepris, il y a déjà plusieurs années, de rassembler quelques idées sur ce sujet important, dans un écrit auquel j'ai donné pour titre : De la libre défense des

accusés 1.

En le composant, j'avais principalement pour objet de réfuter l'erreur d'hommes passionnés qui avaient eu l'imprudence d'avancer, « que des avocats ne pouvaient pas défendre des accusés de crimes d'état, sans se rendre, pour ainsi dire, leurs complices! >>

La réfutation fut assez bien accueillie du public, qui, en effet, avait plus à perdre qu'à gagner à une doctrine qui tendait à intimider ses défenseurs.

C'est ce même écrit que j'adresse aujourd'hui aux jeunes avocats, après l'avoir relu et y avoir fait quelques additions.

Heureux si ces réflexions, inspirées par la nature du sujet, et aussi par le malheur des temps où elles furent tracées, peuvent contribuer à affermir chacun de nous dans la noble pensée que le premier comme le plus saint de nos devoirs est de travailler sans relâche à la défense des accusés 2! car c'est la sagesse même qui nous dit dans ses sublimes conseils: Allez au secours de vos semblables, arrachez-les au péril dont ils sont menacés, et disputez, tant que vous le pourrez, à la mort, ceux qu'on s'efforce d'y conduire. Erue eos qui ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum liberare ne cesses. PROVERBES, XXIV, II.

$ Ier. De la justice.

On nous représente la justice comme une divinité tulé

Paris, octobre 1815, chez Arthus Bertrand, un mois avant le jugement du maréchal Ney, réimprimé en 1818 chez Warée, in-8o, et en 1824, chez le même, I vol. in-18.

2 Tant que j'ai exercé la profession d'avocat, mon cachet portait pour devise: Libre défense des accusés!

laire, dont le temple toujours ouvert et de facile accès offre en tout temps un refuge assuré au pauvre contre le riche, au faible contre le fort, à l'opprimé contre l'oppresseur.

Les magistrats sont les ministres de ce temple. Notre imagination se les figure avec complaisance revêtus d'une espèce de sacerdoce, tant est pieuse l'idée que nous nous faisons de la sainteté de leurs fonctions!

Prêtres de la Justice, ils veillent à l'accomplissement de ses lois, ils attirent les hommes vers son culte, par le respect dont ils font profession pour elle; ils marchent dans ses voies avec une constance inébranlable; rien ne peut se comparer à la régularité qu'ils apportent dans l'observation de ses rites et de ses solennités.

Toutes ces fictions reposent sur un fond vrai. De même qu'on ne pourrait, sans affaiblir la religion dans l'esprit des peuples, l'isoler de la pompe extérieure et des augustes cérémonies qui rehaussent son culte à leurs yeux; de même aussi l'on ne pourrait pas, sans blesser la justice, la séparer des formes qui lui sont propres, et sans lesquelles l'opinion publique ne la conçoit plus.

Ces formes, qui, dans les matières civiles ordinaires, sont simplement conservatrices, deviennent sacramentelles en matière criminelle, lorsqu'il s'agit, non plus seulement de la fortune, mais de l'honneur, mais de la vie des citoyens.

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Il est surtout une règle dont on ne peut s'écarter, sans fouler aux pieds toutes les lois de la justice : elle consiste à entendre avant que de juger 1.

Il est de principe, en effet, que personne ne peut être condamné, qu'au préalable il n'ait été entendu 2.

De ce principe naît pour le juge l'obligation d'écouter

Reum enim non audiri, latrocinium est, non judicium. AMMIEN MAR

CELLIN.

<< Nul ne peut être jugé qu'après avoir été entendu ou légalement appelé. (Constitution de l'an 111, art. 11.) - Une constitution de Clotaire de l'an 560 renferme une semblable disposition. Aussi voyonsnous que tous les jugemens commencent par ces mots : parties ouies, ou autres équivalens.

l'accusé, et de lui laisser toute la latitude désirable pour qu'il puisse se défendre tant verbalement que par écrit.

Car il est encore une maxime, devenue triviale à force d'être répandue; savoir: que la Défense est de droit naturel. C'est la loi des animaux vivans sous le terrible empire de la force; c'est la loi des hommes réunis en société ; ce serait la loi des dieux immortels, si l'on pouvait en concevoir plus d'un seul.

Cette loi est vraie dans l'ordre physique; vim vi repellere licet, il est permis de repousser la force par la force. Le meurtre lui-même cesse d'être un crime dans la personne qui ne l'a commis qu'à son corps défendant 1.

Elle est vraie dans l'ordre moral; et celui qui gémit sous le poids d'une accusation a le droit de parer le coup qui le menace en se défendant par les moyens que son intelligence lui suggère, c'est-à-dire par le raisonnement et par la parole, qui ne nous ont été donnés par la bonté divine que pour apprendre, enseigner, discuter, communiquer entre nous, resserrer les nœuds de la société civile, et faire régner la justice parmi les hommes 2.

Cette loi de la défense naturelle ne comporte pas d'exceptions; elle est de tous les temps, de tous les pays, pour tous les cas, pour tous les hommes.

S'il en était autrement, je demanderais pourquoi celui qui a commis un assassinat au milieu d'une place publique, dans l'enceinte d'un palais, à la vue d'un grand nombre de témoins; qui est pris sur le fait, en flagrant délit ; pourquoi, dis-je un homme si évidemment coupable n'est pas tué sur l'heure, sans autre forme de procès ? Pourquoi l'on n'agit pas avec lui comme on ferait en Turquie 3 ?

« Il n'y a ni crime, ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui. Code d'instruction criminelle, art. 338.

⚫ Societatis humanæ vinculum est ratio et oratio; quæ docendo, discendo, communicando, disceptando, judicando, conciliat inter se homines, conjungitque naturali quâdam societate. Neque ullâ re longiùs absumus à naturâ ferarum. Cic., de Officiis, lib. 1, cap. 16.

3 Aussitôt pris, aussitôt pendu: maxime expéditive.

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode !

Tel est le vœu de certaines gens. Heureusement que cette procédure, si

Pourquoi on prend la peine d'entendre des témoins, de les confronter, d'interroger l'accusé, d'écouter ses défenses, comme si le fait était douteux? Il est donc clair que, si l'on fait une instruction, même en ce cas, c'est pour satisfaire à la justice, dont la première règle est de ne condamner jamais personne, sans, au préalable, l'avoir en

tendu.

Dieu lui-même, dont la connaissance embrasse tous les temps, qui lit au fond de nos consciences et qui en sonde les plus secrets replis, Dieu que juge les justices, nous offre des applications de cette règle.

Il connaissait la faute dont le premier homme s'était rendu coupable: que ne l'en punissait-il aussitôt? Mais non; il l'appelle, il l'interroge sur le fait même de sa désobéissance, et sur les motifs qui ont pu l'y porter : Adam, ubi es? quid fecisti? quare hoc fecisti?

Il en usa de même envers Caïn: Où est votre frère, Abel? Caïn, qu'avez-vous fait ?

Dans cet autre endroit de la Genèse : « Le cri contre Sodome et Gomorrhe s'est augmenté, et leurs crimes se sont multipliés à l'excès. JE DESCENDRAI, dit le Seigneur, ET JE VERRAI si la clameur qui s'est élevée contre ces villes est bien fondée, ou s'il en est autrement, afin que je le sache 1. »

Or quel a été dans tout ceci le dessein de Dieu, sinon de nous instruire, par son exemple, qu'on ne doit jamais juger un homme, quelque coupable qu'il soit ou qu'il paraisse, sans l'avoir entendu ; qu'il faut examiner avec soin les choses mêmes dont on croit être le mieux assuré; et ne négliger aucun moyen pour vérifier si une accusation est bien ou mal fondée? Je descendrai........... je verrai..... afin que je sache 2.

elle est de leur goût, n'est pas, du moins, dans les mœurs de notre

nation.

Descendam, et videbo, utrùm clamorem qui venit ad me, opere compleverint, an non est ità, ut sciam. GENÈSE, XVIII, 20 et 21. 2 Ambrosius, liber 1, de Abrah., in cap. 18 Genes. Bossuet. Politique tirée de l'Écriture Sainte, tome 11, page 121.

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