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point qui soient punis de mort, sinon les crimes d'état. Ces peines sont nommées compositions, comme n'étant qu'une taxe de dommages et intérêts faite avec une exactitude surprenante. Il y en a 164 articles dans la seule loi des Frisons, qui, d'ailleurs, est des plus courtes. C'est proprement un tarif de blessures, avec l'énumération de toutes les parties du corps humain, et même de celles que l'on eût dû se dispenser de nommer: de toutes les manières dont chaque partie peut être offensée, et les mesures de chaque plaie. Par exemple, on taxe en autant d'articles différens, une main coupée, quatre doigts, trois doigts, un doigt, et on distingue si c'est le pouce, l'index, et ainsi des autres : même en chaque doigt on distingue les jointures. On observe si la partie a été tout-à-fait coupée, ou si elle tient encore; et, si c'est seulement une plaie, on en exprime la longueur, la largeur et la profondeur. On taxe en particulier le coup qui a fait tomber un os de la tête ; mais si cet os n'était pas une petite esquille du crâne, il fallait qu'il pût faire sonner un bouclier dans lequel il serait jeté au travers d'un chemin de douze pas. Les injures de paroles sont taxées avec la même exactitude, et l'on y peut voir celles qui passaient alors pour offensantes.

On ne s'aviserait point aujourd'hui d'exprimer certaines actions marquées en particulier dans ces lois 2. Il est parlé de celui qui empêche un autre de passer dans un chemin ; de celui qui dépouille une femme pour lui faire injure; de celui qui déterre un mort pour le dépouiller; de celui qui écorche un cheval 3. Enfin, il y a des titres particuliers pour les larcins de tortes sortes de bêtes, jusques aux chiens, dont on distingue les différentes espèces. Ce détail, qui peut sembler bas, n'est pas inutile pour donner quelque idée de ces lois et des mœurs des peuples pour qui elles ont été faites.

Elles sont écrites d'un style si simple et si court, qu'il serait fort clair, si tous les termes étaient latins; mais elles sont remplies de mots barbares, soit faute de mots latins

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Ripuar., tit. 70. de osse sup. viam son.

L. Alaman. tit. 60. Longobard. tit. 105. de injur. fem. 3 L. Sal. tit. 60..

qui fussent propres, soit pour leur servir de glose. Ce qui montre encore ce que j'ai dit, que ces peuples n'écrivaient point en leur langue', car il eût été bien plus commode d'écrire ces lois en allemand, que de les écrire en latin rempli de mots allemands. Il paraît toutefois que l'on écrivit en langue tudesque, un siècle ou deux après la rédaction de ces lois; car, sans parler de l'ancienne version de l'Évangile, dont on voit des fragmens dans les inscriptions de Gruter, nous avons les lois des anciens Anglo-Saxons, écrites en leur langue vulgaire depuis le roi Ina, qui commença à régner en 712, jusqu'à Canut le Danois, dont le règne finit en 1035. Ces lois, pour en dire un mot en passant, ont beaucoup de rapports avec les autres lois des barbares, et sont aussi faites dans des assemblées d'évèques et d'anciens. Les lois gothiques sont écrites d'un style plus latin que toutes les autres: mais suivant la manière du temps, c'est-à-dire, qu'il y a moins de mots barbares, mais plus de phrases et de paroles superflues.

S X.

Droit français sous la première race.

Ainsi l'on peut voir quel droit s'observait en France sous les rois de la première race. Les maîtres, c'est-à-dire les Francs, observaient la loi salique; les Bourguignons, la loi Gombette, les Goths, restés en grand nombre dans les provinces d'outre la Loire, suivaient la loi gothique, et tous les autres la loi romaine, Les ecclésiastiques suivaient tous celle-ci, de quelque nation qu'ils fussent. Il est vrai qu'il y en avait peu qui ne fussent Romains; et quand ils auraient été d'une autre nation, ils avaient toujours un grand intérêt de conserver la loi romaine, à cause des immunités et des priviléges qui leur étaient accordés par les constitutions des empereurs. De plus, ils suivaient le droit canonique, c'est-à-dire, les règles des conciles, comprises dans l'ancien code des canons de l'église universelle, et quelques décisions des papes qui étaient souvent consultés par les évêques. Les barbares, même les Francs, étaient obligés en plusieurs rencontres d'avoir recours aux lois

T. Fauchet, de la langue, l. 1, ch. 3.

romaines, parce que leurs lois particulières contenaient peu de matières. Aussi Agathias témoigne que les Francs suivaient les lois romaines dans les contrats et dans les mariages. Et Aimoin rapporte que du temps du roi Dagobert, les enfans de Sadregisile, duc d'Aquitaine, pour n'avoir pas vengé la mort de leur père, furent privés de sa succession, conformément aux lois romaines. Il est même à croire que ceux qui dressaient les actes publics, et qui écrivaient les lettres, étant tous clercs, ou moines, comme Marculphe, dont nous avons les formules, les faisaient, autant qu'ils pouvaient, conformes à leur loi et à leur style. La loi romaine était donc généralement observée en France sous les rois de la première race, et on y dérogeait seulement à l'égard des barbares, dans les cas où leurs lois ordonnaient nommément quelque chose qui n'y était pas conforme.

Dans l'histoire de M. de Cordemoi, à la fin du règne de Dagobert, il y a un abrégé de ces lois mises dans un certain ordre, avec un tableau de l'état des Français sous les rois de la première race, de leur manière de rendre la justice, de leur gouvernement.

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Charlemagne ayant réuni sous son empire toutes les conquêtes des Francs, des Bourguignons, des Goths et des Lombards, laissa vivre chaque peuple selon ses lois, et les fit toutes renouveler par le soin qu'il prit de rétablir l'ordre en toutes choses: peut-être même lui avons-nous l'obligation des exemplaires de ces lois qui sont venus jusques à nous. En 788, il fit écrire le code Théodosien suivant l'édition d'Alaric, roi des Visigoths, dont il a été parlé ; et c'est de cette édition d'Alaric et de Charlemagne que nous avons tout le code Théodosien, ou plutôt l'abrégé de tout ce qu'il contenait; car nous n'en avons que la moitié, suivant l'édition de Théodose même, qui était beaucoup plus ample. En 798, Charlemagne fit écrire la loi salique et y ajouta plusieurs articles. En 803, Louis-le-Débonnaire y fit aussi quelques additions: ainsi on suivit sous la seconde race le même droit que sous la première ; on y ajouta

seulement les capitulaires, qui étaient des lois générales, et qui méritent d'être examinées.

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Les rois de la première race tenaient tous les ans, le premier jour de mars, une grande assemblée, où se traitaient toutes les affaires publiques, et où le prince et ses sujets se faisaient réciproquement des présens 1. On l'appelait Champ de Mars, nom déjà usité par les empereurs romains, pour marquer une assemblée militaire. Les Francs tenaient leur assemblée en plaine campagne, faute de bâtimens assez spacieux, ou plutôt parce que les Germains en avaient toujours usé ainsi dans leur pays, où ils n'avaient d'autres logemens que des cavernes, ou des cabanes dispersées. C'était apparemment cette manière de tenir les assemblées qui en avait déterminé le temps à la sortie de l'hiver, qui avait retenu chacun chez soi, et avant l'été qu'il fallait avoir tout entier pour exécuter les résolutions; car la guerre était le principal sujet de leurs délibérations. Ce Champ de Mars sous les rois fainéans devint une simple cérémonie, et Pepin en changea le jour au premier de mai. Depuis, le jour fut incertain, quoique l'assemblée se tînt régulièrement chaque année.

Elle était composée de toutes les personnes considérables de l'un et de l'autre état, ecclésiastique et laïque'; c'est-à-dire, des évêques, des abbés et des comtes: je crois même que tous ceux qui étaient Francs avaient droit de s'y trouver. Le roi proposait les matières, et décidait après la délibération libre de l'assemblée. Le résultat de chaque assemblée était rédigé par écrit, et l'on obligeait chaque évêque et chaque comte d'en prendre copie par les mains du chancelier, pour les envoyer ensuite aux officiers de leur dépendance, afin qu'elles pussent venir à la connaissance de tous. Comme les propositions et les décisions étaient rédigées succinctement et par articles, on les appelait chapitres, et le recueil de plusieurs chapitres

Lact. de mort. pers. n. 32,
Capitular. 1. liv. 1, chap. 24.

s'appelait capitulaire. On peut voir sur ce sujet la préface de M. Baluze.

Il semble que les capitulaires doivent être distingués selon leurs matières; ceux qui traitent des matières ecclésiastiques, qui sont en très grand nombre, sont de véritables canons, puisque ce sont des règles établies par des évêques légitimement assemblés; aussi la plupart de ces assemblées sont mises au rang des conciles. Les capitulaires qui traitent de matières séculières, mais générales, sont de véritables lois, et ceux qui ne regardent que de certaines personnes, ou de certaines occasions, ne doivent être considérés que comme des réglemens particuliers.

Il nous reste un grand nombre de capitulaires des deux premières races depuis Childebert, fils de Clovis, jusques à Charles-le-Simple. La plupart sont de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire; et jusques ici nous n'avions ceux de ces deux empereurs que dans la compilation qui`en fut faite par l'abbé Ansegise, et par le diacre Benoît : mais nous avons à présent les capitulaires entiers comme ils ont été dressés en chaque assemblée et selon l'ordre des temps. C'est ainsi que nous les a donnés M. Baluze, dans l'édition qu'il en a faite en 1677, avec une ample préface et des notes pleines d'une grande érudition. Il a mis en son ordre, c'est-à-dire, après les capitulaires de Louisle-Débonnaire, la compilation d'Ansegise et de Benoît 1. Elle est divisée en sept livres : les quatre premiers furent composés par l'abbé Ansegise en 827, afin, dit-il, conserver les capitulaires plus aisément que dans des cahiers séparés. Il mit dans les deux premiers livres ceux de Charlemagne : dans le premier, les matières ecclésiastiques; dans le second, les matières séculières; dans les deux autres livres, les capitulaires de Louis-le-Débonnaire et de son fils Lothaire; savoir : dans le troisième, ceux des matières ecclésiastiques, et dans le quatrième, ceux des matières séculières. Les trois autres livres ont été compilés par Benoît, diacre de l'église de Mayence, vers l'an 845, et contiennent d'autres capitulaires des mêmes princes que l'abbé Ansegise avait omis, ou à des

1 Baluze, præf. n. 39, etc.

de

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