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doute garantir les ventes, mais pas trop, afin d'obliger les nouveaux propriétaires à transiger avec les anciens.

On avait dans cette vue imaginé une fable des plus significatives. On avait prétendu que le prince de Wagram, Berthier, possesseur de la terre de Grosbois, ayant réuni les titres de ce domaine, les avait déposés aux pieds de Louis XVIII, en le suppliant d'en agréer la restitution; que le Roi les avait acceptés, et gardés une heure, puis avait rappelé le maréchal d'Empire repentant, et lui avait dit : Rentrez en possession du domaine de Grosbois; je ne puis mieux faire que d'en disposer en votre faveur, et que de vous le donner en récompense de vos longs services. Cette anecdote s'était répandue avec une incroyable rapidité jusque dans les provinces les plus reculées, et y avait trouvé créance. Le prince de Wagram, interpellé de tout côté, avait beau affirmer que c'était là une pure invention, on n'en persistait pas moins à la propager comme si elle eût été vraie. Il avait même voulu obtenir une rétractation des journaux royalistes, et n'y avait pas réussi.

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Janv. 1845.

Inutiles

efforts de M. Louis

les acquéreurs de biens nationaux.

M. Louis, craignant l'effet que pouvaient produire sur le crédit les inquiétudes inspirées aux acquéreurs de biens nationaux, avait en plein Con- pour rassurer seil, et en quelque sorte de haute lutte, arraché à Louis XVIII la signature de l'ordonnance qui mettait en vente une portion des forêts de l'État, et y avait compris en assez grande quantité d'anciens bois d'Église. L'ordonnance signée, il avait, sans perdre de temps, commencé les adjudications, afin

Jany. 1845.

Nouveaux outrages prodigués

aux révolutionnaires

du

de rassurer les acquéreurs, car il n'était pas supposable qu'on entreprît de nouvelles aliénations, si on voulait revenir sur les anciennes. Le taux fort modique des mises à prix avait attiré des spéculateurs, qui trouvant dans la vente du bois à peu près l'équivalent du prix d'achat, et ayant ainsi la superficie presque pour rien, couraient volontiers la chance de ce genre d'acquisitions. Néanmoins cette mesure n'avait point rétabli la sécurité, et les propriétaires qui avaient acquis pendant la Révolution, fort nombreux dans les campagnes, continuaient de vivre dans de sérieuses alarmes. Or, alarmer les intérêts équivaut à les immoler, car la crainte agit sur les hommes autant et souvent plus que le mal lui-même.

Les manifestations contre la Révolution française n'avaient pas cessé. L'anniversaire du 21 janvier en avait fourni une nouvelle occasion saisie avec à l'occasion empressement. Un homme pieux avait acheté, rue 21 janvier. de la Madeleine à Paris, le terrain dans lequel avaient été inhumés le roi Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, Madame Élisabeth, et à l'approche du 21 janvier, il avait commencé des fouilles, pour rechercher les restes de ces augustes victimes. Il croyait les avoir retrouvés, et d'après toutes les indications il était fondé à le croire. En conséquence de cette découverte, le gouvernement avait ordonné une cérémonie funèbre pour la translation à Saint-Denis de ces restes si dignes de respect. Mais malheureusement on avait accompagné cette cérémonie de malédictions de tout genre contre la Révolution française, à quoi les hommes que leurs

actes, ou simplement leurs opinions, attachaient à cette révolution, avaient répondu par mille doutes et par mille railleries sur la découverte faite rue de la Madeleine. Les royalistes avaient répliqué par de nouvelles injures contre les révolutionnaires, et leur avaient répété que si matériellement on leur pardonnait, et que si, par grande gràce, on ne les envoyait pas à l'échafaud, c'était tout ce qu'il leur était permis de prétendre, en conséquence de la promesse d'oubli contenue dans la Charte, mais qu'on ne pouvait étouffer la conscience publique, et empêcher qu'elle ne jugeàt leur crime exécrable. Comme pour mieux assurer le retour de ces tristes récriminations, on avait ordonné une cérémonie annuelle en expiation de l'attentat du 21 janvier.

A tous ces actes on en ajouta de plus significatifs encore à l'égard des personnes. En accordant en principe l'inamovibilité des magistrats, le Roi s'était réservé de donner ou de refuser l'investiture à ceux qui étaient actuellement en fonctions, et de reviser de la sorte le personnel entier de la magistrature. En conséquence les magistrats de tous les degrés attendaient avec anxiété qu'on prononçàt sur leur sort, et ils demeuraient dans un état de dépendance qui pouvait être funeste pour les justiciables, et en particulier pour ceux qui possédaient des biens nationaux. Les Chambres avant de se séparer avaient demandé qu'il fût mis fin à cet état d'incertitude, et en janvier 1815 le gouvernement avait commencé par la Cour suprême l'épuration tant redoutée. Il avait exclu de la charge de premier président M. Muraire, à cause de ses affaires privées, de la charge

Janv. 1845.

Destitution

de MM. Muraire et Merlin.

Janv. 1845.

Funérailles

de mademoiselle Raucourt.

de procureur général M. Merlin, à cause de son vote dans le procès de Louis XVI, et il les avait remplacés par M. de Sèze et M. Mourre. Ces changements étaient naturels, mais il était tout aussi naturel que le parti révolutionnaire y vît la manifestation des sentiments qu'on lui portait, les actes surtout étant suivis du langage le plus amer. Il faudrait pour se pardonner de telles choses, que les partis eussent un esprit de justice qui ne leur a pas été donné.

A la même époque, le clergé cédant cette fois non point à ses passions, mais à des scrupules sincères, faillit amener un véritable soulèvement dans la population parisienne. Une célèbre tragédienne, mademoiselle Raucourt, venait de mourir. On présenta son cercueil à l'église Saint-Roch, sans s'être d'avance entendu avec le curé, pour obtenir de lui les prières des morts. Il eût été plus sage au curé d'éviter un éclat, et de supposer ces manifestations de repentir qui autorisent à considérer les personnes vouées à la carrière du théâtre comme réintégrées dans le sein de l'Église. Le curé refusa obstinément de recevoir le cercueil. Bientôt la foule s'accrut, et le public, voyant dans cette scène une nouvelle preuve de l'intolérance du clergé, força les portes de l'église. Le cercueil fut introduit violemment, et on ne sait ce qui serait arrivé, si un ordre royal, parti des Tuileries, n'avait prescrit au curé d'accorder à la défunte les honneurs funèbres.

D'après les règles canoniques le curé avait raison, et comme le clergé n'a plus la tenue des registres de l'état civil, comme ses refus n'ont plus aucune

influence sur l'état des personnes, et n'ont d'autre conséquence que la privation d'honneurs que l'Église a le droit d'accorder ou de dénier selon ses croyances, le curé de Saint-Roch était bien autorisé à refuser les prières qu'on lui demandait, et les amis de la défunte auraient dû la conduire au cimetière sans la présenter à l'église. Mais l'abus que l'on fait de ses droits prive souvent de leur exercice le plus légitime. Les prédications incendiaires du clergé avaient tellement irrité les esprits, qu'on ne voulait pas même lui pardonner ses exigences les plus fondées, et il est probable que si le curé n'avait pas obtempéré à l'ordre royal, la foule ameutée aurait commis quelque profanation déplorable, que l'armée et même la garde nationale auraient mis peu d'empressement à réprimer.

De toutes les scènes de cette époque la plus fàcheuse, celle qui produisit le plus d'éclat, fut le procès intenté au général Exelmans.

Janv. 1845.

Reprise

du procès intenté

au général Exelmans.

Déjà nous avons fait connaître l'espèce de faute reprochée à cet illustre général. Parmi les lettres imprudente saisies sur lord Oxford, et destinées à la cour de Naples, on en avait trouvé une dans laquelle le général Exelmans renouvelait à Murat, dont il était l'ami et l'obligé, l'assurance d'un absolu dévouement, et lui disait que si son trône était menacé, de nombreux officiers français iraient lui offrir leur épée. On savait dans le public que la cour de France s'efforçait d'obtenir à Vienne la dépossession de Murat, mais la guerre n'était pas déclarée contre lui, et par conséquent il n'y avait dans la lettre saisie rien de contraire à la discipline militaire. Seulement

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