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DU

DROIT CRIMINEL

OU

JURISPRUDENCE CRIMINELLE DE LA FRANCE

RECUEIL CRITIQUE

DES DÉCISIONS JUDICIAIRES ET ADMINISTRATIVES SUR LES MATIÈRES CRIMINELLES,

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Avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation

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AU BUREAU DU JOURNAL, PLACE DAUPHINE, 27
MM. MARCHAL, BILLARD ET Cie

Libraires de la Cour de Cassation.

JUN 3 1909

JOURNAL

DU

DROIT CRIMINEL

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De l'étendue du droit du préfet en matière de destruction d'animaux nuisibles.

Il est bien évident, en théorie, qu'il n'y a pas d'animaux nuisibles, c'est-à-dire qui ne puissent que nuire, et ne puissent être d'aucune utilité; c'est l'homme qui, pour se faire illusion sur sa science et son pouvoir, s'est plu à qualifier ainsi les animaux dont il n'a su encore tirer parti1. C'est malheureuse ment à ce point de vue positif, qui consiste à considérer les animaux suivant l'utilité que les hommes sont en état d'en tirer, qu'a dû se placer le législateur. Aussi ne s'est-il occupé des animaux nuisibles qu'au sujet de leur destruction. Mais sa pensée, pleine de sagesse, a été d'opérer, non une destruction complète qui, en admettant qu'elle fût possible et qu'elle pût rendre quelque service à un moment, causerait à la science et à l'humanité un irréparable préjudice, mais une diminution raisonnée qui, tout en conservant les espèces, réduisît assez les individus pour les rendre tolérables.

C'est cette pensée qui est le fondement des divers droits que la loi accorde contre les animaux nuisibles, tant aux particuliers qu'aux pouvoirs publics.

En premier lieu, elle a dû consacrer le droit naturel de lé

1. Buffon, Animaux carnassiers; quadrupèdes.

gitime défense, qu'elle accorde à l'homme même contre les individus de son espèce. On remarquera que ce droit est accordé non seulement pour les animaux nuisibles, mais en général pour tous les animaux, même pour les animaux domestiques; et que, si pour le droit de légitime défense de l'homme contre l'homme, on a pu agiter la question de savoir s'il était accordé pour la défense des biens comme pour la défense de la personne, cette question ne semble pas se poser pour le droit de légitime défense de l'homme contre les animaux. Notre ancienne législation contenait sur ces points cependant de singulières anomalies. Le droit de chasse était considéré comme une prérogative nobiliaire ou royale2. Nul ne pouvait chasser sur une terre, si ce n'est le seigneur. Nul même, artisan ou noble, fût-ce le seigneur sur sa propre terre, ne pouvait chasser, dans l'étendue des territoires considérés comme réservés au roi, appelés les plaisirs du roi ou les capitaineries royales, et qui comprenaient, non seulement les domaines du roi, mais de vastes circonscriptions ayant presque l'étendue de nos départements actuels, et, comme le droit de chasser devait être entendu dans le sens du droit de tuer le gibier pour quelque cause que ce fût, si ce n'est pour la protection de sa personne, il en résultait que, dans l'étendue des capitaineries royales, nobles et artisans, dans les autres territoires, les artisans sans la permission du seigneur, pouvaient user du droit de légitime défense pour la protection des biens, contre tous les animaux, même contre les hommes, mais n'en pouvaient user contre tout animal ayant le caractère de gibier. Ces anomalies ont aujourd'hui disparu'; le droit de légitime défense pour la protection des biens existe contre tous les animaux, même contre le gibier 5, même contre les animaux domestiques".

Mais le droit de légitime défense suffisant pour repousser les attaques au moment où elles se produisent, ne peut ni les em

2. Edit de 1601; ordonnance des Eaux et Forêts, août 1669, tit. XXX; Pottier, nos 34 et s.

3. Ordonnance de 1669, art. 21, 22, 23.

4. Décret du 11 août 1789, art. 3. 5. Décret du 30 avril 1790, art. 15. 6. Loi du 6 octobre 1791, art. 12.

pêcher, ni en prévenir le retour 7. Il était nécessaire d'accorder quelque chose de plus; la loi devait permettre au propriétaire ou fermier de chasser et de détruire en tout temps, sur ses terres, un certain nombre d'animaux, dont la seule présence sur une terre est supposée une menace ou un danger. Notre ancien droit, pour les raisons que nous avons exposées cidessus, ne reconnut jamais au propriétaire ou fermier ce droit de défense préventive; il le considéra comme faisant partie du droit général de chasse. Ainsi, dans l'étendue des capitaineries royales, les propriétaires, nobles ou artisans, dont les terres étaient infestées par les animaux nuisibles, ne pouvaient que porter leurs plaintes aux capitaines et gardes du roi. Hors les capitaineries, le paysan ou même le noble qui n'était point possesseur du fief, devait recourir au seigneur de sa terre o. Cependant le droit de défense préventive existait pour certains animaux carnassiers dangereux pour les personnes comme pour les biens.

L'Assemblée nationale de 1789, qui, par les décrets des 8 et 11 août, avait aboli le privilège de la chasse et permis à tout propriétaire de chasser sur ses possessions, sauf pendant un certain temps déterminé de l'année pour les plaines, et pendant toute l'année pour les bois, accorda au propriétaire le droit de défense préventive (décret du 30 avril 1790, art. 15). Ce droit, qui a toujours été maintenu depuis, est accordé contre tout animal, quel qu'il soit, eût-il même le caractère de gibier. Aussi la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse a-t-elle dû mentionner expressément ce droit, qui fait échec à ses prohibitions 10. Mais cette loi dût prendre des mesures pour empêcher

7. Melius est occurrere in tempore quàm post exitum vindicare. 8. On avait interdit même le droit de défense passive, consistant à enclore les champs de murs ou palissades. (Ord. de 1669, art. 25 et 26.) Un amateur de jardinage, Demi-bourgeois, demi-manant, Possédait en certain village

9.

Un jardin.

Peu de jasmin d'Espagne et force serpolet,

De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet.

Cette félicité, par un lièvre troublée,

Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit.

(LA FONTAINE, le Jardinier et son Seigneur.)

10. Rapport présenté à la Chambre des députés sur la loi de 1844, séance du 7 juin 1843, p. 80 du rapport. — Rapport présenté à la Chambre des pairs, p. 124. (Séance du 23 mars 1844.)

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