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ambition peut-être, mais peut-être aussi honteuse envie, faite de baine et de paresse ou d'impuissance. >

que le socialisme

On a beau faire, il y a une inégalité que la démocratie ne détruit pas, c'est celle des fortunes. Or, tant que l'objet poursuivi était la suppresion de lois injustes qui grossissaient artificiellement la part des uns au préjudice commun, chacun était en droit de se plaindre! Ce faste excessif et mal acquis paraissait la suite d'une iniquité! mais les lois injustes ont disparu. Faudra-t-il effacer aussi les limites des fortunes? L'ivresse du pouvoir absolu était l'écueil du despotisme; l'ivresse de l'égalité mal entendue risque d'être l'écueil des démocraties, Tocqueville l'a déjà fait remarquer dans son grand ouvrage sur l'Amérique, et M. Baudrillart est injuste en montrant, sans prononcer le mot, est le produit de la passion de l'égalité. Nous arrivons maintenant à l'histoire du luxe. Comment parler en quelques lignes du luxe primitif, du luxe, public et privé, en Égypte, à Ninive, à Babylone, en Perse, dans l'Inde, en Chine, à Tyr, à Carthage, chez les Hébreux; puis du luxe hellénique, surtout à Athènes et à la cour des rois de Macédoine ! L'auteur, lui, dispose, des centaines de pages; ajoutons que pour remplir ces pages il a consulté bien des documents et étudié bien des monuments (ce sont parfois les seuls documents arrivés jusqu'à nous), et le fruit de ses études il l'a présenté dans une forme attrayante. C'est un luxe moral, cela; car il nous engage à nous instruire. Nous n'avons guère vu, sauf quelques détails, de points sur lesquels nous différerions d'opinion avec l'auteur. M. Baudrillart est à la fois moraliste et économiste; il est ennemi des systèmes fondés sur un principe unique, absolu; il sait où il faut prendre et où il faut laisser.

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Le tome II tout entier, nous l'avons déjà dit, est consacré à Rome et à Byzance; mais la matière est plus riche et plus variée qu'on pourrait se l'imaginer. Il y a le luxe à diverses époques de la république et le luxe sous les empereurs luxe public, luxe privé, luxe des hommes, luxe des femmes; le luxe byzantin est surtout curieux dans les détails du cérémonial, et dans son influence sur l'art et le culte. A côté de cette double série de tableaux, nous en voyons deux qui se font pendant : la Censure des écrivains romains d'une part, la Satire chrétienne du luxe de l'autre. M. Baudrillart caractérise ainsi l'esprit qui animait les uns et les autres. « On se trompe fort quand on fait de ces premiers représentants du christianisme les simples continuateurs des attaques de Sénèque et des autres Sages contre la richesse. Quelquefois les phrases se ressemblent jusqu'à se confondre, mais l'esprit est essentiellement différent. Les stoiciens attaquent la richesse comme une cause d'asservissement et comme une dégradation de la dignité humaine; les épicuriens y voient une gêne, un embarras, et, on l'a vu, ceux qui restent

fidèles aux leçons de leur premier maître prêchent la médiocrité; le christianisme inaugure et préconise un troisième point de vue, qui n'a rien de commun avec les deux thèses philosophiques : il divinise la souffrance.» Dans les développements que l'auteur ajoute, on voit à chaque ligne qu'il est économiste autant que moraliste.

Le tome II se termine par une série de chapitres sur le luxe funéraire dans l'antiquité en Orient, en Égypte, dans l'Inde, en Judée, en Grèce, à Rome. C'était la conclusion naturelle des deux volumes consacrés au luxe dans l'antiquité, car on sait que de tout temps les funérailles ont été l'une des expressions les plus caractérisées du luxe. Dans ces chapitres, comme dans l'ensemble du livre, il y a beaucoup de recherches, mais aussi un art d'exposition qui le rend d'une lecture vraiment attachante, de sorte que M. Baudrillart aura fait une fois de plus un ouvrage vraiment scientifique, qui se fera lire même par les gens du monde. Maurice BLOCK.

LETTRE ADRESSEE A MM. LES MEMBRES DE LA COMMISSION DES TARIFS DES DOUANES ET A MM. LES DÉPUTÉS, par UN CONSOMMATEUR; Bordeaux, imprimerie Gounouilhou, 1879, in-8°, de 60 pages.

Ce n'est pas seulement à cause de son mérite, qui est très-grand, c'est à cause du caractère de son auteur et des circonstances qui l'ont déterminé à prendre la plume que nous croyons devoir signaler d'une façon toute spéciale ce nouveau et remarquable plaidoyer en faveur de la liberté commerciale.

M. Marc Maurel, à qui on le doit, est le chef de l'une des grandes maisons de Bordeaux ; il siége depuis longtemps déjà à la Chambre de commerce, et il y jouit de la considération universelle. Il a donc, à tous égards, qualité pour parler au nom du commerce.

Il fait en même temps, comme vous et moi, comme tout le monde, partie du grand troupeau des consommateurs; et il n'a pas cru que son titre de négociant lui interdit de se souvenir de son titre de Français, ni que le soin de ses intérêts particuliers comme armateur dût lui faire oublier le souci des intérêts généraux. Il a demandé, en conséquence, à la Commission des tarifs, à être entendu, au point de vue des intérêts généraux, comme citoyen et comme consommateur. On lui a refusé la parole, par cette raison qui aurait dû, semble-t-il, la lui faire accorder avec empressement, que c'était sur l'ensemble du régime économique de la France, c'est-à-dire sur l'ensemble des questions soumises à l'étude de la Commission, et non sur une question spéciale et au point de vue de ses affaires personnelles, qu'il avait à déposer. Il n'a pas cru qu'il lui fût permis d'accepter en silence ce qu'il considère comme un déni de justice; et puisqu'il ne pouvait, malheureusement, en appeler

de Philippe mal inspiré à Philippe mieux inspiré, il a résolu d'en appeler au Parlement et au public, juges en dernier ressort de tout ce qui concerne les intérêts communs, en publiant en son propre et privé nom ce qu'il ne lui a pas été possible de faire figurer dans l'enquête officielle. De là cette lettre, ou plutôt ce manifeste, car c'en est un et le plus vigoureux, en même temps que le plus mesuré, qui'se pût désirer. N'eût-il d'autre autorité que celle de la raison éclairée dont il est d'un bout à l'autre l'expression, ce document serait appelé, si la raison n'est plus un vain mot, à exercer une influence considérable sur l'opinion de nos législateurs et sur celle du pays. Mais ce n'est déjà plus, nous nous hâtons de le dire, l'œuvre d'une personnalité, quelque respectable qu'elle soit; à peine M. Maurel avait-il ouvert la bouche qu'il était devenu légion. La Chambre de commerce de Bordeaux justement frappée de la force et de la sagesse des considérations développées par lui, s'est empressée de les faire siennes en votant l'impression à son compte de deux mille exemplaires de la Lettre d'un Consommateur, dont elle a ordonné la distribution dans sa sphère. C'est un exemple qui sera certainement suivi, et c'est pour qu'il le soit plus sûrement et plus largement que nous le mentionnons.

M. Léon Say, dans son discours de Mugron, se plaignait de ce que le consommateur n'eût plus la parole. C'est aux producteurs, disait-il, que l'on demande si la protection les gêne; on oublie de faire la même question aux consommateurs, et les consommateurs paraissent trouver tout simple le silence dans lequel on les laisse. Voici cé silence rompu, Dieu merci! Et rompu, qui mieux est, par ceux qu'on aurait pu considérer, jusqu'à ce jour comme les organes des producteurs. Voici des hommes qui ont, en tant qu'industriels ou négociants, des intérêts particuliers et qui pourraient être tentés, comme tels, de n'envisager les choses qu'à leur point de vue personnel, qui se donnent enfin la peine de les envisager, avant tout, au point de vue général. Ils comprennent, pour mieux dire, et ils proclament que les intérêts particuliers ne sauraient être réellement sauvegardés que si les intérêts généraux sont respectés. Ils se souviennent qu'avant d'être producteurs ils sont consommateurs, qu'avant d'être industriels et commerçants ils sont hommes. Celà seul est un signe des temps. Enregistrons-le avec confiance, et prenons acte avec un légitime orgueil, en même temps qu'avec une juste gratitude, de ce témoignage rendu par la pratique à la théorie et par les hommes d'affaires aux hommes de science.

FRÉDÉRIC PASST.

CHRONIQUE

SOMMAIRE: Changement du président de la République en France. Vote du Congrès ou Assemblée nationale. Le Message de M. Jules Grévy. — L'acLe nouveau ministère. La dénonciation des traités Conventions doua

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tion de M. Dufaure. de commerce neutralisée par une loi de 1873 oubliée. nières provisoires. Le nouveau président de la commission d'enquête. · Meetings et conférences de l'Association pour la défense de la liberté commerciale: MM. F. Passy, E. Raoul Duval, Nottelle, Jules Simon. Discussion de l'assemblée générale des Chambres syndicales. Nouvelles difficultés en Orient pour la délimitation de la Roumanie et de la Grèce. Délai du concours de l'impôt ouvert par la Société des études pour les réformes fiscales.

Un événement inattendu est venu simplifier la marche des affaires publiques en France et donner de nouvelles garanties à la tranquillité de l'Europe.

M. le maréchal de Mac-Mahon, président de la République, a cru devoir se démettre brusquement, à propos des commandements militaires, et il a été remplacé le jour même (30 janvier), par M. Jules Grévy, président de la Chambre des députés, jouissant de l'estime universelle. Il a suffi pour cela d'un vote au scrutin secret des deux Assemblées, qui se sont réunies en Congrès et ont constitué l'Assemblée nationale aux termes de la Constitution. Jamais substitution du pouvoir ne se fit avec autant de rapidité et de simplicité. L'opinion publique dans les divers pays en a été comme émerveillée; et l'on peut dire que, sous ce rapport, les auteurs de la Constitution votée, de guerre lasse, par l'Assemblée nationale qui a pris fin il y a trois ans, ont été très-heureusement inspirés.

Les Chambres françaises se sont trouvées réunies, en vertu de la Constitution, le second mardi de l'année, c'est-à-dire le 14 janvier 1879. Le Sénat étant renouvelé au tiers par des élections républicaines qui ont reporté la majorité à gauche, M. Dufaure, président du conseil des ministres, qui avait pu faire accepter une politique constitutionnelle au maréchal de Mac-Mahon, en décembre 1877, avait présenté aux Chambres une déclaration plus accentuée dans le sens de la majorité. Entre autres mesures, celle-ci réclamait, aux termes de la loi, le renouvellement des commandements militaires et le choix de magistrats chargés de diriger les parquets moins hostiles aux nouvelles institutions.

Les Chambres françaises ont donné un excellent exemple aux assemblées futures pour le remplacement du chef du pouvoir exé cutif. Dès à présent se trouve écartée l'échéance redoutée de novembre 1880 (1).

L'autorité, l'expérience, la droiture et la fermeté de M. Dufaure ont beaucoup servi dans cette délicate conjoncture; il n'aurait tenu qu'à lui d'être nommé président de la République, et l'Assemblés nationale, en l'accueillant par de vifs applaudissements, a été l'interprète fidèle de l'opinion publique reconnaissante.

Il est juste de constater aussi que le maréchal de Mac-Mahon, dont la politique avait inspiré de vives craintes pendant la douloureuse période du seize mai, a quitté le pouvoir avec beaucoup de dignité et a tenu une conduite des plus correctes.

Le message du nouveau président de la République a été des plus simples, une phrase le caractérise; elle eût suffi, si en pareil cas on pouvait être aussi bref. La voici :

« Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels. >>

Le ministère formé par le nouveau président semble remplir les conditions du moment (2). La session de 1879 commence bien. Lorsque la politique sera débarrassée des questions de personnes

(1) La démission du maréchal était communiquée aux deux Chambres vers trois heures; elles se sont réunies immédiatement en Congrès dans le local de la Chambre des députés, à quatre heures et demie; le vote a eu lieu à la tribune, sans discussion, au scrutin secret. A sept heures, M. Martel, président de l'Assemblée nationale, en sa qualité de président du Sénat, proclamait l'élection de M. Jules Grévy président de la République, par 563 voix sur 713 votants. Une partie de la droite avait donné 99 voix au général Chanzy, candidat improvisé.

(2) M. Dufaure ayant voulu rentrer dans la vie privée, M. Waddington, ministre des affaires étrangères, est devenu président du cabinet, et M. Le Royer, un des vice-présidents du Sénat, a pris le portefeuille de la justice. MM. de Marcère, Léon Say, de Freycinet, général Gresley, ont conservé les portefeuilles de l'intérieur, des finances, des travaux publics, de la guerre. M. l'amiral Jauréguiberry a pris celui de la marine des mains de M. l'amiral Pothuau; M. Lepère, sous-secrétaire d'Etat à l'intérieur, ancien vice-président de la Chambre des députés, a succédé à M. Teisserenc de Bort pour l'agriculture et le commerce; M. Jules Ferry, vice-président de la Chambre des députés, a succédé à M. Bardoux pour l'instruction publique et les beaux-arts. M. Le Royer appartenant à la religion réformée, le portefeuille des cultes est provisoirement confié à M. de Marcère.

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