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vins de Chypre a été, pour l'année 1871, d'environ 22,000 hectolitres, qui se sont dirigés successivement sur Alexandrie et la côte de Syrie; mais les vins ordinaires de l'île seraient fort recherchés pour les coupages, si l'habitude où l'on est de les renfermer dans des outres en cuir ne leur faisait pas contracter un goût désagréable de goudron, et si de lourdes taxes n'en avaient restreint la production jusqu'ici.

L'île produit diverses sortes de coton et pendant la guerre de sécession on y introduisit des graines d'origine américaine qui y réussirent fort bien, entre autres la variété dite Middling Orleans. Cette variété présente, toutefois, une particularité qui l'a empêchée d'être recherchée autant qu'elle méritait de l'être par les cultivateurs indigènes : au moment de la maturité, sa gousse s'étale tout à coup; c'est le jour même qu'il faut cueillir le coton qu'elle renferme, sans quoi il tomberait à terre et se détériorerait, et le fisc, auquel le huitième de cette récolte est attribué, s'est opposé à cette cueillette quotidienne, qu'il ne se trouvait pas en mesure de surveiller. Aussi bien, le futur progrès de cette culture dépend-il d'une irrigation plus abondante, et c'est là un point qui devra solliciter d'une façon toute spéciale le zèle de la nouvelle administration. La carte géologique de l'île donne la certitude que les puits artésiens y réussiraient. M. Lang avait même obtenu du gouvernement turc la permission de faire, à cet effet, des sondages et s'était arrangé, en conséquence, avec des ingénieurs de Londres. Mais, avant que ce projet pût être exécuté, le gouverneur de Chypre fut changé, et il n'en a plus été question depuis lors.

Il y a vingt ans, la production du tabac était très-considérable et les qualités cultivées dans les environs de Limasol étaient fort recherchées tant en Syrie qu'en Egypte. Aujourd'hui elle a diminué des neuf dixièmes, et c'est encore la faute du fisc ottoman. A Constantinople, le besoin d'argent est perpétuel : pour s'en procurer on fait flèche de tout bois, et les taxes sur le tabac, notamment, ont suivi une progression toujours croissante, au point de représenter finalement 6 piastres par oke, soit 1 fr. 32 cent. par 1280 grammes du tabac de la sorte la plus inférieure. C'est pourquoi cette culture est presque éteinte en Chypre, tandis que des frets élevés, et qui vont jusqu'à 30 pour cent de la valeur du produit, empêchent la consommation des fruits du caroubier de s'accroître. C'est la gousse de ce fruit dont parle l'Evangile dans la parabole de l'enfant prodigue, qui se trouve heureux de la disputer aux pourceaux; et le fruit lui-même est apprécié en Russie. Des quantités considérables s'en exportent aussi pour l'Angleterre, qui les

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utilise comme nourriture pour le bétail et les fait aussi entrer dans la fabrication d'une sorte de mélasse.

L'île possède deux grands marais salants situés, l'un près de Larnaca, l'autre près de Limasol. Pendant la saison pluvieuse, ils s'emplissent d'une eau douce qui se combine avec les principes salins dont tout le sol est fortement saturé et qui, s'évaporant sous l'action des rayons solaires, dépose sur le sol une croûte de sel pur. La seule précaution à prendre est d'empêcher que les marais ne reçoivent un aflux d'eau douce supérieur à la puissance d'évaporation du soleil dans la saison chaude. Le gouvernement turc, qui s'était réservé le monopole du sel, tirait de ces marais un fort joli revenu : il avait monté de 10,000 francs à 1,000,000, dans l'intervalle de quarante ans, c'est-à-dire qu'il avait centuplé. Le gouvernement vendait le sel, tout à fait brut d'ailleurs, sur le pied de vingt paras l'oke, ce qui donne environ 75 francs par tonne. Quant aux richesses minérales, il les avait absolument négligées, quoique jadis elles eussent été très-considérables. Ainsi, les mines de cuivre de l'île étaient en pleine exploitation du temps des Romains, et on lit dans les auteurs que le Sénat les avait données à bail à Hérode, tétrarque de la Judée. Les principales de ces mines étaient situées près l'ancienne Tamassus, et on trouve encore des scories dans le voisinage du couvent de Saint-Héraclidion. Il y a également des affleurements de houille près de l'antique Soli.

Les revenus que la Porte tirait de Chypre peuvent se classer sous trois chefs: 1° les revenus du domaine de l'Etat; 2o l'impôt sur le produit de toutes les terres; 3° les taxes directes ou indirectes, et s'élevaient approximativement à une somme annuelle de 4 millions 715,000 francs, se décomposant comme suit :

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Il a été déjà question du monopole du sel, et la dime des biens du sol n'exige pas de grandes explications. En Turquie elle s'incorpore à ces biens eux-mêmes et se transfère avec eux. Les paysans

y sont accoutumés; ils l'acquittent plus volontiers que toute autre taxe, et son grand inconvénient est la façon même dont elle est perçue. Le tarif douanier, déterminé par les traités, est de 8 pour cent, en ce qui concerne les importations, de 1 pour cent pour les exportations, et la principale des contributions directes est le verghi, c'est-à-dire une taxe personnelle sur toutes les personnes non indigentes. C'est ce qu'on appelle chez nous un impôt de répartition le fisc en détermine le quantum par village, et dans chaque village les notables du lieu répartissent ce quantum par tête, d'une façon plus ou moins équitable et plus ou moins proportionnelle aux revenus de un chacun. Ainsi, l'ouvrier qui ne possède ni maison, ni terre, paie communément 15 francs par an sur un revenu brut de 300 francs, soit 5 pour cent dudit revenu, tandis que le paysan propriétaire est taxé à 62 fr. 50 pour un revenu souvent de 2,500 fr., soit 2 1/2 pour cent de ce revenu seulement.

On vient de voir que les ressources naturelles ne font point dé. faut à l'île de Chypre et que les capitaux anglais peuvent y trouver, s'ils le veulent, plus d'un emploi fructueux. Seulement, le récent langage de sir Stafford Northcote donne à penser que pour le gouvernement anglais il s'agit moins ici de colonisation que d'un intérêt stratégique. M. Lang, que la colonisation intéresse beaucoup, n'oublie pas non plus de faire ressortir toute l'importance militaire de Chypre, tant comme défense du canal de Suez et de la voie ferrée éventuelle de la vallée de l'Euphrate, que comme point initial des opérations que la protection des intérêts anglais en Asie pourrait à l'avenir rendre nécessaires. A cet égard, il ne se dissimule pas que l'absence de tout port naturel sur les côtes de l'île est un inconvénient sérieux; mais il estime toutefois qu'on l'a grandement exagéré, sinon en ce qui concerne la côte septentrionale qu'il déclare vraiment impraticable pour une marine militaire, du moins pour le littoral sud, où les gros vaisseaux de guerre, dit-il trouveraient un très-bon ancrage et seraient à l'abri du mauvais temps, même pendant les mois de janvier et février qui sont les plus orageux de l'année.

A Famagouste, les Vénitiens avaient créé un pelit port artificiel, dont quelques constructions subsistent encore. M. Lang croit qu'il serait facile de le rétablir, en l'agrandissant, et telle est aussi l'opinion du major Wilson qui, en sa qualité d'ingénieur militaire, doit être un homme compétent. Il est certain, en tous les cas, que cette création serait un grand bienfait pour tous les navires qui fréquentent ces parages et qui ne rencontrent que des rades foraines sur tout le littoral Syrien. Famagouste est très-bien située aussi comme dépôt militaire. Quand les Vénitiens l'occupaient, elle 4 SÉRIE, T. v. 15 mars 1879.

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était habitée par 30,000 personnes, dont les anciennes maisons ont perdu leurs toits mais conservent, pour la plupart, leurs murs. La ville est entourée d'un fossé militaire et enceinte de murailles dont la maçonnerie est encore intacte. Pour la mettre en état de recevoir une garnison de 10,000 hommes, il suffirait de remettre quelques pierres en place, de recouvrir les maisons des Vénitiens et de débarrasser l'endroit des mares stagnantes qui en infectent les environs et des amas de décombres qui en obstruent l'intérieur. Famagonste deviendrait ainsi la station navale de l'île, tandis que Lenfeosia ou Nicosia, situées au centre, en serait le chef-lieu administratif.

Reste la question du climat, et, dans l'opinion générale, elle est assez menaçante. En d'autres termes, l'île passe pour insalubre, et cela veut dire que les Anglais risquent fort, s'ils y viennent l'été, de prendre les fièvres. Le major Wilson et M. Lang admettent que l'épithète est exacte. Mais le moyen qu'il en soit autrement, fait remarquer M. Lang, lorsqu'à Chypre, le thermomètre marque alors une trentaine de degrés et quand ses compatriotes transportent là-bas leur goût national pour la nourriture forte et les boissons alcooliques ? Il n'est pas disposé, d'ailleurs, à mettre sur le compte du climat lui-même certaines affections qui proviennent, à son sens, d'une population trop entassée, du manque d'égoûts et de rigoles dans les villes, de tas d'immondices dans leur sein et de mares stagnantes dans leurs environs. La population indigène, qui vit d'une façon conforme aux conditions climatalogiques du pays et au milieu d'un air moins vicié, est exempte de maladies sérieuses et atteint des âges très-avancés. Au surplus, en pareille matière, c'est aux faits qu'appartient le dernier mot, et M. Lang constate qu'il a vu se succéder pendant son séjour dans l'ile, trois consuls français, trois italiens, trois anglais, deux américains et qu'un seul a succombé, tandis que lui-même a constamment joui d'une santé parfaite, hiver comme été, à Larnaca comme sur tous les points où le conduisaient ses pérégrinations continuelles.

Cette confiance dans le climat de Chypre ne va point chez M. Lang jusqu'à lui faire conseiller aux laboureurs anglais d'aller s'y établir: il craindrait qu'ils ne pussent supporter les chaleurs estivales qui coïncident principalement avec l'époque des grands travaux agricoles. Les immigrants qu'il désire et dont il entrevoit la venue sont les habitants de la côte Syrienne, de la Caramanie et autres parties de la Turquie qui trouvent tout à fait intolérable le poids des charges fiscales auxquelles ils sont assujettis. Quant aux Anglais eux-mêmes leur rôle serait celui de propriétaires ou de fermiers, intelligents et pourvus d'assez de connaissances pra

tiques pour guider les indigènes dans la voie du progrès agricole, comme d'un capital suffisant pour entreprendre des travaux sur une vaste échelle. L'impulsion une fois donnée et de premiers profits déjà réalisés, une autre fonction incomberait aux capitaux anglais, ce serait l'avance de fonds aux petits cultivateurs, à un taux raisonnable. L'usure est aujourd'hui la plaie qui les dévore. Ils n'empruntent pas à moins de 2, et souvent 3 pour cent, par mois. Qu'une mauvaise année survienne, et les voilà complétement à la merci de leurs shylocks, dont ils ne peuvent pas se passer néanmoins. HENRY TACHÉ.

L'HOMME ET LES ANIMAUX

Entre l'homme et les animaux existe-t-il une différence de nature ou simplement de degré?... telle est la question qui, pendant l'année 1878, a été examinée dans divers cours du Collège de France; où elle a été résolue en faveur de la différence en nature.

Entre l'homme et les animaux existe-t-il une différence de nature ou simplement de degré?... telle est la question qui, pendant cette même année 1878 a été traitée dans les cours faits à la Société d'Anthropologie ;-où elle a été résolue en faveur de la simple différence en degré.

Ainsi la dissidence est radicale, elle est complète. Au Collège de France l'homme est un être à part, un être dont la nature doit être soigneusement distinguée de celle des animaux; à la Société d'Anthropologie, l'homme, au contraire, est un être comme tous les autres, un être dont la nature est la même que celle des animaux, et qui ne saurait s'en distinguer autrement que par la différence de complexité de son organisme, par le degré de perfection plus élevé que possède cet organisme.

Cette question de différence soit en nature, soit en degré est apparemment bien pressante et bien importante, puisqu'elle est née pour ainsi dire spontanément au milieu de deux centres intellectuels, de deux foyers, dont le rayonnement ne s'arrête pas aux limites du pays où ils ont été allumés, l'un depuis des siècles déjà, et l'autre depuis un petit nombre d'années ?... elle est bien difficile, sans doute, puisqu'elle a reçu dans chacun d'eux une solution complètement opposée ?

Et, en effet, on ne saurait méconnaître son importance, car si la

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