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font souvent au début et, malgré les vers du poête, les illusions que nous avons perdues.

M. Péreire commence son livre par une remarquable citation de SaintSimon sur le rôle que devrait, de notre temps, remplir l'Eglise. Ce passage est comme l'inspiration maîtresse de son écrit, qu'il serait difficile de lire sans reconnaître combien l'empreinte saint-simonnienne avait de puissance pour rester aussi marquée jusque sur les esprits les plus distingués qui l'ont autrefois reçue. Aucune autre école socialiste n'offre sous ce rapport rien de semblable. Ne retrouve-t-on pas même cette empreinte en plus d'une page de M. Michel Chevalier, notamment dans ses belles leçons d'ouverture de son cours au Collége de France, où cependant la science la plus exacte est si bien exposée ? « Il ne faut pas, disait Saint-Simon aux prêtres, vous borner à prêcher aux fidèles de toutes les classes que les pauvres sont les enfants chéris de Dieu, il faut que vous usiez franchement et énergiquement de tous les pouvoirs et de tous les moyens acquis par l'Eglise militante, pour améliorer promptement l'existence morale et physique de la classe la plus nombreuse. »>

M. Péreire ne cesse de répéter et de justifier cette pensée, fort originale lorsqu'elle était émise, et que les chefs du socialisme actuel seraient si peu portés à partager. Il fait avant tout appel à l'Eglise, ou mieux peut-être à la papauté, pour résoudre, en face « des grandes masses populaires, qui ont conquis la liberté et l'égalité..... les deux redoutables problèmes du paupérisme et du travail. » S'efforçant de l'y intéresser, il lui rappelle ses inappréciables services et son rôle prépondérant de l'invasion à la réforme. Durant douze siècles entiers, en effet, l'Eglise a été l'institutrice de l'humanité, la gardienne des lettres et des sciences, le plus sûr guide, sur toutes les voies, de la civilisation. Jusqu'au XVIe siècle, la papauté et l'Eglise, dit M. Péreire, ont été vraiment l'incarnation du mouvement social et l'âme du progrès. Mais à partir de ce moment, il les peint comme ayant déserté ce magnifique rôle, pour s'enfermer, grâce à la fâcheuse influence d'une compagnie célèbre, dans une constante opposition à toutes les hautes aspirations et à tous les grands intérêts du peuple. Aussi indique-t-il comme châtiment d'une pareille faute et l'expansion du protestantisme et la philosophie du XVIIIe siècle et la Révolution française. Il ne dit toutefois qu'un mot du protestantisme, fort antipathique à tout réformateur ou à tout disciple des réformateurs modernes ; il a plus de sympathie, bien qu'il la blâme pourtant, pour la philosophie du dernier siècle, et surtout pour la Révolution.

Il ne pardonne pourtant pas à la Révolution d'avoir tenté de détruire l'Eglise, en prétendant refaire la société sans elle ou contre elle. Il va jusqu'à condamner, et il n'a pas tort, les tristes doctrines gallicanes et les

divers articles du Concordat, dont le but commun était l'asservissement de l'Eglise à l'Etat. Il ne craint pas d'appeler monstrueux le Culturkampf allemand d'aujourd'hui. La papauté, s'écrie-t-il, traçait magistralement autrefois à l'Espagne et au Portugal le champ de leur action civilisatrice, intervenait comme arbitre dans les querelles des empires, et imposait à tous la trève de Dieu; que n'est-elle restée la souveraine des rois et des nations! Que n'est-elle au moins demeurée à la tête du mouvement de transformation qui s'est révélé à la fin du XVe siècle et qui ne s'est plus arrêté depuis. Mouvement représenté, selon M. Péreire, par la science, la philosophie et la démocratie.

A l'heure qu'il est, l'Eglise, assure-t-il, doit, comme la société, reconnaître ses torts et s'employer à la grande œuvre que Saint-Simon la conviait à réaliser l'extinction de la misère. Par malheur, dans l'examen ou la discussion de cette œuvre, M. Péreire est trop resté sous l'empire de son premier maître et de ses anciennes croyances. Comme il parle de Malthus, de Ricardo, de tous les économistes, « dont la fausse science n'est au résumé que la systématisation de la misère ! » Les ouvriers, affirme-t-il, sont encore en servage; la distribution des richesses est absolument vicieuse; Adam Smith n'a donné pour base à tout son système, qui florit aujourd'hui, qu'une division du travail abrutissante. » Il semble que la somme des produits se soit amoin-⚫ drie et se répartisse plus mal qu'aux siècles passés. S'il en est ainsi, M. Péreire aurait au moins dû nous apprendre plus exactement à quels moyens il faudrait recourir en place de ceux usités jusqu'ici, et qu'on croyait n'avoir pas trop mal réussi. Mais il les donne à deviner beaucoup plus qu'il ne les énumère ou ne les détermine. Chose fâcheuse surtout après avoir remis la conduite des peuples à l'Eglise, qu'il dit tant attardée aux vieux enseignements et aux vieilles pratiques.

Dire qu'il faut l'application générale et gratuite d'un vaste système d'éducation et d'instruction à tous les degrés, l'extension presque illimitée du crédit, la réforme de nos budgets, par la simplification des impôts et la diminution des charges populaires, le plus large développement des travaux publics, la réorganisation des banques, considérées comme intermédiaires entre le capital et le travail, la répartition perfectionnée des objets de consommation, par la diminution des parasites, la généralisation de la retraite au profit de toutes les classes sans exception, ce n'est pas en vérité suffisant. Après cette énumération et l'absolue condamnation de la concurrence, il est encore permis de douter de cette conclusion, quelque affirmative qu'elle soit : « Il n'y aurait plus d'autres causes de souffrance et de misère que les infirmités et les maladies inhérentes à la nature humaine, et le soulagement de celles-ci serait l'objet de l'Assistance publique ou de la charité privée. »

Mais ces défauts sont en partie, à mes yeux, les vrais mérités de ce livre. Ce sont ces souvenirs du passé qui en font l'intérêt principal et le vrai charme, tant il est peu de personnes qui conservent intacts leurs premiers enthousiasmes et leurs premières convictions. On sent surtout ces enthousiasmes et ces convictions se ranimer chez M. Péreire lorsqu'il invoque, dans ses dernières pages, l'incessante et infinie perfectibilité de l'humanité. Qui ne les reconnaîtrait, par exemple, à ces mots si familiers à la doctrine saint-simonnienne : « L'âge d'or ne doit plus consister dans l'ignorance du bien et du mal; il est dans le perfectionnement de l'ordre social; nos pères ne l'ont pas connu? » ou dans les paroles empruntées à Pascal sur « l'homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement », ainsi que dans la poétique recommandation, tirée de Lamennais, au voyageur traversant le désert pour suivre dès le lendemain son pèlerinage « sous un ciel plus doux, à travers des contrées plus belles », il y a là comme un de ces hosanna à l'humanité qui s'entendaient si souvent à Ménilmontant, et qui ont eu sur tout notre temps une très-notable influence. L'éminent homme d'affaires qui, du sein des millions qu'il a su gagner, redit cet hosanna, en pensant surtout à ses semblables restés courbés sous la fatigue et la souffrance, est assurément un esprit d'un ordre très-exceptionnel. Et lorsque M. Péreire veut ramener à la religion la science et la société, il n'y a pas un penseur qui ne lui doive non plus ses éloges et sa reconnaissance. GUSTAVE DU PUYNODE.

L'AVENIR DE L'OR (en allemand), par M. ED. SUESS; Vienne, 1877; un vol. in- 8.

Le livre de M. Suess est appelé à figurer aux premiers rangs parmi les nombreux écrits nés de la grande polémique qui s'est élevée sur la question du double étalon. M. Suess apporte à la solution de ce problème un élément nouveau d'importance majeure.

Il s'est demandé en effet si l'hypothèse du monnayage exclusif de l'or étant admise, non-seulement pour l'Europe et l'Amérique du Nord, mais pour le monde entier, la production actuelle et future de l'or serait suffisante pour une circulation pareille. Cette question, il l'a traitée sous toutes ses faces, géologique, minéralogique, géographique, économique, avec une connaissance parfaite du sujet et en donnant à chaque page la preuve d'un travail approfondi. Il l'a résolue négativement.

Sa conclusion est basée sur des faits dont le caractère démonstratif ne saurait être mis en doute. Mais avant d'en faire connaître les principaux, arrêtons-nous un moment sur la question même et la manière dont l'auteur l'a posée.

Il est certain que le choix entre le système monométallique et le système bimétallique n'est pas pour chaque nation une affaire intérieure, une décision qu'elle puisse prendre sans s'enquérir des décisions analogues ou contraires des nations voisines. En raison de l'extension qu'ont prise les relations commerciales, la solidarité s'est établie entre les marchés monétaires du monde entier. Non-seulement les fluctuations monétaires des grands Etats tels que l'Angleterre, la France, l'Allemagne exercent leur contre-coup immédiat sur les petits pays tels que la Belgique, la Hollande, la Suisse, et à plus forte raison sur les Etats réduits à la circulation fiduciaire; mais la situation monétaire des pays situés hors d'Europe, notamment de l'Amérique du Nord et de l'Inde, réagit immédiatement sur les places européennes, et personne n'ignore par exemple que la hausse de l'argent qui a eu lieu il y a une dizaine d'années avait pour cause l'envoi de grandes quantités de ce métal dans l'Inde. Dès aujourd'hui donc une grande dépendance existe sous ce rapport entre les nations commerçantes, et elle deviendra de plus en plus complète dans l'avenir.

Dans ces circonstances, le système qu'on adoptera, qu'il soit bimétallique ou monométallique, ne pourra produire les effets désirés, c'est-àdire offrir une monnaie dont tous les éléments aient la même valeur vis-à-vis des autres marchandises, qu'à la condition que ce système soit réalisé dans l'univers entier, ou du moins adopté par toutes les nations commerçantes de l'ancien et du nouveau monde. Or si l'extension successive de l'un ou de l'autre de ces systèmes ne devait être qu'une affaire de temps et que pour le surplus aucune autre condition ne fit défaut, on pourrait sans danger essayer la réalisation de l'un des deux. Mais si l'élément matériel manque à l'un ou à l'autre, si par exemple il n'y a pas assez d'or pour réaliser dans le monde entier une circulation exclu. sive en or, il est clair que les tentatives qu'on fera pour établir le système monométallique à monnaie d'or ne pourront s'étendre qu'à un nombre limité de pays, et que les graves inconvénients qui résultent de l'existence de systèmes monétaires différents ne disparaîtront jamais.

On peut prévoir que le besoin de monnaie, loin de diminuer dans l'avenir, ne fera au contraire qu'augmenter. Le commerce international s'élève aujourd'hui à des chiffres que personne n'aurait rêvés au dernier siècle, et tout semble prouver que ces chiffres suivront une progression croissante. Ce commerce exige l'emploi de masses considérables de monnaie, malgré le nombre immense de transactions qui se résolvent par des virements et d'autres moyens de crédit. Mais ce qui accroft surtout le besoin de monnaie, ce sont les petites transactions qui s'établissent dans tous les pays où pénètre l'aisance et le commerce, où la vente et l'achat remplacent l'échange en nature. Tout progrès qui se fait dans la colonisation des contrées incultes, tout trafic régulier qui s'établit

I

avec une peuplade sauvage ou barbare, suscite l'emploi d'une nouvelle quantité de monnaie. Quelles sont vis-à-vis de ces besoins croissants les quantités de métal dont nous disposons aujourd'hui, dont nous pourrons disposer dans l'avenir?

Pour répondre à ces questions, M. Suess commence par rappeler quelques faits généraux empruntés à la géologie et à la minéralogie, sur la nature et les gisements de l'or et de l'argent et des métaux avec lesquels les premiers ont certains rapports, tels que l'étain, le plomb, le mercure. Les métaux, comme tous les corps simples, existent sur la terre en quantité limitée. Pour chacun d'entre eux, la majeure partie de cette quantité paraît située dans l'intérieur de la terre, à des profondeurs inaccessibles à l'industrie humaine. Ce qui s'en trouve à la surface ou à proximité de la surface y est venu à la suite de phénomènes analogues aux éruptions volcaniques. Des fentes et des crevasses se sont produites dans l'écorce terrestre par suite des soulèvements et des plissements dont une partie de cette écorce est constamment le théâtre. Ces fentes ont été remplies par des matières sorties à l'état liquide ou pâteux de l'intérieur de la terre, et au milieu de ces matières se trouvaient les métaux soit sous forme gazeuse, soit à l'état de dissolution dans l'eau surchauffée. Par l'effet du refroidissement et de diverses réactions chimiques, ces particules de métal se sont réunies en grains, en pépites, en masses plus ou moins considérables, disséminées de la façon la plus irrégulière dans la gangue sortie à l'état pâteux. Ainsi se sont formés les filons, plus ou moins riches, dont l'exploitation constitue le travail des mines, travail toujours pénible et dispendieux.

Mais tous les filons ne sont pas restés ensevelis sous terre. Sous l'action des pluies et des autres phénomènes atmosphériques, les roches les plus dures finissent par se désagréger. La gangue des filons qui se trouvent le plus près de la surface passe ainsi à l'état de sable qui est entraîné par les ruisseaux des montagnes, avec les particules métalliques qu'il contient. Quand ces ruisseaux débordaient, et ce phénomène se produisait dans la période géologique qui a précédé la nôtre dans des proportions bien plus grandioses qu'aujourd'hui, le sable métallifère se déposait sur de vastes plaines et ainsi se sont formés les terrains d'alluvion, dont on tire le métal par le lavage.

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Il est remarquable que les deux métaux précieux ne se comportent pas tout à fait de la même manière à l'extrémité des filons qui touchent à la surface de la terre. L'un et l'autre sont sujets à des actions chimiques qui tendent à réunir les particules plus petites en masses plus considérables. Ces masses arrivent à de grandes proportions surtout pour l'argent; on en a trouvé de près de 1,500 kilogr.; mais elles se forment à l'entrée du filon, qui par conséquent est toujours la partie la plus riche de la mine, et ne se répandent pas au dehors; il se rencontre

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