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Nous venions à peine de terminer les lignes qui précèdent lorsque nous avons reçu cet autre travail, composé, lui aussi, pour le concours de la Chambre de commerce de Bordeaux.

Nous l'avons lu avec d'autant plus d'empressement que c'est à son sujet, on se le rappelle peut-être, qu'un désaccord, qui faillit un moment dégénérer en conflit, s'était élevé entre les juges de ce concours.

Une sous-commission, chargée d'un examen préalable, avait été d'avis de lui accorder le prix. M. Marc Maurel, qui faisait partie de cette sous-commission, tout en lui reconnaissant un incontestable « mérite d'érudition et de forme, » en admettant même, bien que ses préférences fussent ailleurs, que ce mérite était assez réel pour justifier la distinction proposée, avait cru devoir faire, quant à un certain nombre de points, des réserves formelles; et l'ensemble de la commission, frappée de l'importance de ces réserves, s'était refusée à adopter les conclusions qui lui étaient proposées.

Des amis de l'auteur, trop pressés de prendre fait et cause pour lui, et n'ayant pas pour l'instant assez en mémoire leur La Fontaine, n'avaient pas craint de crier, avant même d'être en droit de connaître un verdict qui n'était pas encore officiellement rendu, à l'injustice et au parti-pris; l'on avait même (loin du milieu bordelais, il est vrai), paru mettre en doute la compétence, sinon la loyauté de M. Maurel. Songezdonc, un négociant!

Quelque certain que nous fussions, de longue date, de l'une aussi bien que de l'autre, et quelque concluantes que nous eussent paru dès l'an dernier les explications du Rapport, nous étions curieux de connaltre le travail qui avait ainsi divisé des hommes de mérite, et nous avions hâte de l'apprécier à notre tour par nous-même. Cette appréciation ne saurait être, il est vrai, exactement ce qu'elle eût été si nous avions eu à prendre part au jugement du concours; le travail de M. Bondurand a subi, nous dit-on, certaines modifications, et en pareille matière, peu est parfois beaucoup. Quelles que puissent être ces modifications, d'ailleurs, et prenant le travail de M. Bondurand tel qu'il se présente au public, nous n'hésitons pas à dire, tout à la fois, et que nous donnons notre plus entière adhésion aux conclusions du Rapport, et que nous comprenons parfaitement la faveur avec laquelle avaient été accueillies, par la majorité de la sous-commission, ces pages brillantes et vives. Comme œuvre d'ensemble et comme exposé des travaux de Bastiat, l'étude de M. Bondurand est moins bien ordonnée que celle de M. Bonchié de Belle, qui elle-même n'est pas irréprochable, nous l'avons dit. Elle est moins complète aussi (l'auteur, par exemple, ne paraft pas connaître le 7o volume, Ebauches et Fragments, dans lequel se trouve, entre autres, ce morceau sur le capital si merveilleux de forme et de fond). Il est moins sûr dans ses ductrines surtout, et, à notre avis, plus

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aventureux et moins d'accord avec lui-même comme avec le maître dont il expose les doctrines. Son argumentation sur la Valeur, sur la Rente, sur la Propriété, sur la Population, quoique mêlée de réflexions ingénieuses, est plus subtile que décisive; et parfois même, si on la prenait à la lettre, elle risquerait d'ébranler la base de toute certitude scientifique, ainsi que le font, du reste, sans s'en rendre compte, les juristes qui s'obstinent à faire dériver la propriété de la loi, et les utilitaires qui mettent en doute la suffisance de la raison de justice ou admettent un désaccord possible entre le juste et l'utile. M. Bondurand croit aussi, audelà de ce qui est permis, à la méthode mathématique et à son efficacité en des matières qui, par la variabilité incessante des données, se refusent la plupart du temps à la réduction par l'algèbre ou par le calcul différentiel. Tout au moins, et à supposer que ce soit notre trop réelle impuissance à le suivre sur ce terrain qui nous en fasse juger ainsi, est-ce un tort, quand on s'adresse à tout le monde, comme c'était le cas, de pren dre une langue qui n'est pas celle de tout le monde, à plus forte raison une langue d'initiés. Les problèmes économiques sont des problèmes d'intérêt universel; c'est la prose de la vie commune, à bien dire, et l'un des grands mérites de Bastiat, sans oublier les autres, a été de les traiter en prose courante, et coulante, et charmante. C'est bien le moins, quand c'est de lui qu'on parle, qu'on laisse de côté les termes d'école et les formules sybillines.

En revanche (et c'est pourquoi nous ne craignons pas d'être sévère pour ces écarts), M. Bondurand, quand il veut bien se mettre à la portée des gens qui n'ont pas eu la bonne fortune de passer par l'Ecole polytechnique ou d'étudier le dictionnaire positiviste, a un style d'une vigueur et d'une limpidité remarquables; il est certainement alors, comme écrivain, supérieur à son heureux concurrent. Il semble aussi posséder des connaissances plus diverses, plus étendues, et même dans le domaine économique avoir, comme le constatait M. Maurel, une érudition plus nourrie et mieux connaître les écoles étrangères. Son chapitre sur le libre-échange, la remarque en a été justement faite encore, est un morceau des plus distingués, un chapitre à reproduire et à répandre. Enfin, et nous ne dissimulerons pas que c'est là pour nous le grand attrait de ce volume, on sent que M. Bondurand aime son auteur, et l'on sent qu'il aime la justice et la vérité. Ce mathématicien qui vient de vous fatiguer de ses formules, ce légiste qui tout à l'heure avait l'air de mettre la loi écrite au-dessus de la justice, ce positiviste qui voudrait par moments tout ramener aux faits, a des élans de fierté généreuse et de sensibilité attendrie qui émeuvent et qui charment. Il croit à l'économie politique, qui a, dit-il, « son harmonie comme toute autre science »; et il a un culte véritable pour Bastiat, cet homme qui écrit (le mot n'est-il pas charmant ?) «comme la plante fleurit ». « L'Angleterre

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a honoré Cobden de son vivant, » écrit-il en terminant le chapitre sur le libre-échange, «< comme un de ses enfants les plus glorieux. La France a ignoré Bastiat, et s'avise seulement, depuis qu'il est mort, qu'il est un des hommes dont elle a le droit d'être le plus fière ».

En somme, le livre de M. Bondurand est, à notre avis au moins, imparfait. On y sent le bouillonnement et l'exubérance d'une sève encore incomplètement réglée. Mais c'est le livre d'un homme, d'un homme qui promet beaucoup et qui déjà fait plus que promettre. Celui-là aussi fera, nous n'en doutons pas, honneur à l'économie politique, et dès maintenant, en dépit des réserves dont ses opinions ont été l'objet et auxquelles nous nous associons, nous tenons à l'inscrire parmi les plus brillants et les plus sympathiques défenseurs de la justice et de la liberté.

FRÉDÉRIC PASSY.

HISTORIQUE DE L'IMPRIMERIE ET DE LA LIBRAIRIE CENTRALES DES CHEMINS Organisation industrielle et économique de cet établissement. Paris, 1878, Chaix et Cie. In-4o de 338 pages.

DE FER.

Le sous-titre de cet ouvrage indique l'esprit et le but dans lequel il a été conçu. A côté de l'historique et du mécanisme spécial de cette importante maison, figurent, en effet, dans tout leur détail, les institutions qui en font un établissement unique, où tout se trouve réuni, depuis l'école professionnelle d'où sort l'apprenti jusqu'aux institutions de secours, de prévoyance et de retraite. Ce volume, exécuté en vue de l'Exposition de 1878, et que son luxe typographique pourrait classer parmi les œuvres d'art, est un pieux et splendide hommage à la mémoire du fondateur, Napoléon Chaix, et une source de documents intéressants pour quiconque se préoccupe des questions ouvrières.

Un premier chapitre raconte l'origine et les débuts de l'imprimerie Chaix, en juillet 1845, au lendemain, pour ainsi dire, de la loi de 1842 sur les chemins de fer, qui donna à ces entreprises nouvelles leur impulsion définitive. Depuis, les Compagnies naissantes ont pris un développement que ne rêvaient pas alors les plus enthousiastes, et la maison qui s'était en quelque sorte fondée à côté d'eux et pour eux a suivi leur marche et partagé leur fortune. Tout le monde connaît ces vastes et presque riches ateliers, définitivement installés et inaugurés en 1848, dans l'hôtel Lenormand de Mézières, où la vie et l'activité ont remplacé la solitude et les ronces qui avaient fini par envahir cette demeure abandonnée. Peu à peu, une librairie s'est jointe à l'imprimerie; de nombreux journaux et publications périodiques sont venus, comme annexes, fournir un nouvel aliment à cette typographie modèle à tant d'égards; il n'y a donc, à ce sujet, rien à dire que ne sachent ceux qui 4 SÉRIE, T. V. 33 13 mars 1879.

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voient quotidiennement quelques-uns des recueils ou volumes sortis presque journellement de ses ateliers.

Signalons, toutefois, quelques chiffres qui suffiront à préciser cette importance. Divisée en trois grands services, la maison Chaix comprenait, au 1er janvier 1878, un personne! de 684 employés et ouvriers, ainsi répartis Administration, 19,- Imprimerie, 647,— Librairie, 18. Dans ce total, les hommes sont au nombre de 527; femmes, 67; apprentis, 90. Le chapitre des « institutions ouvrières» embrasse : les mesures contre les accidents de machines, les ordres de service et les instructions; les sociétés de secours mutuels en cas de maladie (recettes en 1877, 12,000 fr., dépenses, 10,000 fr.); la participation des ouvriers aux bénéfices (sommes réparties ou portées au compte de prévoyance en 1877 333,655 fr.); les conditions, réglements et programme de l'école professionnelle, dont les cours se terminent, tous les ans, par une distribution des prix où figurent et parlent règulièrement, à côté de M. Chaix, MM. Charles Robert et Jules Périn, l'un vice-président, l'autre secrétaire de la « Société de protection du travail des enfants dans les manufactures. >>

E. R.

CHRONIQUE

SOMMAIRE: Les difficultés du gouvernement en France : police, amnistie, mise en accusation des ministres du 16 mai.-Les discussions d'affaires au Sénat : Mines, Voies ferrées sur les routes, Brevets d'invention, Pensions.- La commission du budget de 1880.- Les gros chiffres de ce budget. Réductions proposées sur l'impôt des voitures et sur celui des patentes. Décision négative à propos de la conversion des rentes. La première discussion sur la marine marchande à la Chambre des députés; le discours de l'amiral Jauréguiberry. - Le discours de M. Jules Simon à la réunion libre-échangiste du théâtre du Châteaud'Eau. - Deux synonymes protectionnistes. Les compensateurs faisant le siége des pouvoirs publics, envahissant la Société des agriculteurs. discours protectionniste de l'empereur d'Allemagne.- Lettre de M. John Bright sur l'esprit économique des Américains, la protection et l'esclavage. dité des principes économiques de M. de Bismarck.

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Le

Soli

Le gouvernement actuel, issu du renouvellement si récent de la Présidence, a un peu de peine à trouver sa voie et à s'orienter dans une situation nouvelle au milieu des partis ou des nuances de partis qui ont constitué la République; il n'y a là rien que de très-conforme à la nature des choses.

Ce qui a empêché le nouveau cabinet, a été d'abord la question de la réorganisation de la police de Paris, puis celle de l'amnistie tranchée par le vote d'une amnistie restreinte, ensuite la question de la mise en accusation des ministres du 16 mai et du 23 novembre.

Un des principaux membres du ministère succédant à celui de M. Dufaure, le ministre de l'intérieur, a été amené à donner sa démission, à propos de la question de l'organisation de la police de Paris; il a été remplacé par un membre du cabinet, le ministre du commerce, lequel, à son tour, a été remplacé par un membre de la majorité qui, à nos yeux, a le grand avantage d'être un des défenseurs déterminés de la liberté commerciale (1).

-Les discussions d'affaires ont commencé. On a adopté au Sénat un important projet de loi relatif à la révision de la loi de 1810 sur les mines, le besoin s'en faisait sentir en effet depuis longtemps, -puis un autre projet de loi sur les voies ferrées à établir sur les routes ordinaires. On a abordé la discussion d'un projet de loi sur les brevets d'invention, réformant et complétant la loi de 1844, dont la révision est réclamée depuis trente ans, ainsi que le nouveau projet de loi sur les pensions.

- La Chambre des députés a nommé la Commission du budget de 1880 qui sera composée mi-partie de membres anciens et mipartie de membres nouveaux (2).

Le budget de 1880 présenté par M. Say, ministre des finances, dès le premier jour de la session est en équilibre avec un léger excédant de recettes. Celles-ci montent à 2 milliards 756 millions et les dépenses à 2 milliards 754 millions; plus 561 millions de dépenses des ressources extraordinaires, 406 millions de dépenses ou ressources spéciales et 93 millions pour les services spéciaux rattachés au budget.

M. le ministre des finances propose un dégrèvement sur les pa

(1) M. de Marcère, ministre de l'intérieur, a été remplacé par M. Lepère, ministre de l'agriculture et du commerce; et celui-ci a été remplacé par M. Tirard, député de Paris, qui s'est fait remarquer dans l'enquête industrielle et qui venait d'en être nommé président, en remplacement de M. Ferry, député des Vosges, devenu ministre de l'instruction publique.

(2) Cette commission a choisi pour président M. Henri Brisson; pour viceprésidents MM. Paul Bethmont et Martin-Feuillée, et pour secrétaires, MM. Casimir Périer, Berlet, Lelièvre et Clémenceau.

La commission du budget s'est subdivisée de la façon suivante:

10 Sous-commission des finances, travaux publics et commerce: MM. Brisson, Wilson, Germain, Latrade, Guichard, Legrand, Clémenceau, Tirard, Rouvier, Parent, Lelièvre et Floquet.

2o Sous-commission de l'intérieur, cultes, justice, instruction publique et beaux-arts: MM. Bardoux, Casimir Périer, Joly, La Caze, Constans, Andrieux, Gatineau, Varambon, Millaud, Antonin Proust, Noirot.

30 Sous-commission des affaires étrangères, guerre, marine, colonies et compte de liquidation: MM. Bethmont, Langlois, Martin-Feuillée, Lamy, Margaine, Farcy, Spuller, Berlet, Liouville et Devès.

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