Page images
PDF
EPUB

Il nous reste à examiner de quelle manière nous devons traiter les Arabes et de quelle façon nous devons agir avec eux.

Les avis sont partagés à ce sujet et défendus dans chaque clan avec la même énergie.

Nous dirons d'abord l'opinion de ceux qui ne pensent pas comme nous, et nous essayerons par le raisonnement de faire prévaloir la nôtre qui nous parait la plus humaine, la plus utile, la plus nécessaire et la plus applicable surtout.

Il y a cinq moyens proposés de traiter les Arabes:

Les exterminer par les armes;

Les refouler par la force;

Les catéchiser ou les évangéliser par la violence ou la persuasion; Les rendre indépendants, en faire un peuple séparé sous la suzeraineté de la France;

Les assimiler peu à peu par la civilisation ou la colonisation. Si vous interrogez un militaire ou un arabophobe féroces, ils vous répondront tous les deux : Il n'y a rien à attendre des Arabes, leur religion, leurs mœurs, leurs usages s'opposent à toute assimilation avec nous, ils nous haïssent, ils nous exècrent, ils nous ont en horreur, il faut s'en débarrasser à tout prix, au plus vite, et il n'y a qu'un moyen : les exterminer, si nous ne voulons pas être exterminés par eux; voyez ce qui s'est passé dans l'insurrection de 1872.

Les arabophobes modérés tiennent à peu près le même langage, mais ils proposent un moyen terme et plus doux: le refoulement par la force.

Les prêtres catholiques et les pasteurs protestants ne veulent ni les exterminer, ni les refouler, mais les attirer à nous par le caté chisme ou par l'Evangile, soit par la violence, soit par la persuasion, affirmant que la religion musulmane est la seule cause de la haine des Arabes pour nous et de leur antipathie pour notre civilisation française; que c'est leur religion qu'il faut attaquer, combattre, anéantir avant tout et la remplacer par la religion chrétienne plus conforme aux idées modernes et aux lois qui régissent le monde européen et qui doivent régir l'humanité.

Les arabophiles ou les séparatistes nous diront avec une certaine raison L'Algérie avec ses deux millions et demi de Musulmans, contre 900,000 Français, européens et autres, est et sera toujours un pays exceptionnel, la force des choses, la logique commandent et exigent qu'il soit organisé et gouverné différemment. Ce ne sera qu'en se plaçant régulièrement sur une base nouvelle, en constituant une principauté particulière, un état nouveau dirigé par un vice-roi, un prince, un dictateur français quelconque qu'on pourra

sortir du provisoire et de l'arbitraire, de l'inconséquence et de l'impuissance contre lesquelles on se débat, et dans lesquelles on se consume depuis bientôt cinquante ans. S'il n'est possible ni d'exterminerles Arabes, ni de les refouler, ni de les catéchiser, ni de les évangéliser, quels moyens connaissez-vous de nous assimiler les indigènes musulmans que vous avez fait les sujets de la France malgré eux ? Quels moyens pourrez-vous employer pour les civiliser, les coloniser et les amener à nous?

Ceux qui ne sont ni arabophobes féroces ou modérés, ni catéchiseurs ou évangéliseurs, ni séparatistes, mais plus éclectiques, plus humains, moins fanatiques et plus croyants, nous appartenons à cette nombreuse catégorie, ceux-là vous diront: Vous n'avez pas besoin d'employer des moyens d'extermination, de force ou de violence, laissez les Arabes en paix, ne les tuez pas, ne les refoulez pas, ne les catéchisez pas, ne les évangélisez pas, laissez-les vivre tranquillement à nos côtés sur le sol qui les a vu naître et où reposent les cendres de leurs aïeux, n'en faites pas un peuple à part, mais travaillez au contraire à les rendre Français, au lieu d'employer des moyens que l'humanité, l'équité, la raison et nos intérêts condamnent; assimilez-les à nous peu à peu, doucement, amicalement par la persuasion et par l'exemple; amenez-les à nos mœurs, à nos usages, à nos lois par la civilisation ou par la colonisation; respectez leur croyance, leur foi religieuse, ne touchez pas à leur liberté de penser, à leur liberté de conscience, que vous ne sauriez atteindre, et vous obtiendrez de ces Arabes qui sont intelligents, sensibles et fiers, des résultats jusqu'à ce jour inespérés.

Le premier moyen est atroce, indigne de nous et repoussé par nos mœurs, notre tempérament et notre caractère. Vous faites un crime aux Arabes d'aimer leur pays, de vouloir le défendre, de chercher à le conserver, lorsque vous élevez en acte de vertu su blime la conduite des Alsaciens-Lorrains qui ont préféré abandonner d'eux-mêmes leur propre pays, le sol natal, pour demeurer Français et fuir le joug de l'envahisseur! Est-ce que les Prussiens ont tenté d'exterminer les habitants des provinces conquises? Non, au contraire, ils ont employé tous les moyens possibles pour les retenir, pour les favoriser, pour les amener à eux. Ce sont les AlsaciensLorrains qui ont refusé les avantages qui leur était faits et ils ont préféré, pour la plupart, la misère en France ou sur un sol français que la fortune ou le bien-être en Prusse qui leur était offert. Et qu'avons-nous fait nous tous Français, de 1870 à 1871, quand les armées allemandes ont envahi notre beau et patriotique pays? Vieux, jeunes, adolescents, enfants même, nous avons tous pris les armes pour défendre notre nationalité. Qu'avons-nous fait à

Paris pendant ces cinq mois, si longs et si durs de siége pour échapper à la conquête allemande? Nous nous sommes battus avec un courage, avec une constance, avec une énergie digne d'un meilleur sort. Est-ce que les Prussiens, qui n'étaient certainement pas tendres pour nous, auraient jamais pu songer (il faut l'espérer du moins) un instant à nous exterminer tous en masse?

Serions-nous plus cruels que les Prussiens?

Ét lorsque le sort de la guerre nous a forcés de capituler, de nous rendre, de faire une paix désastreuse, n'avons-nous pas trouvé les moyens, dans un moment des plus difficiles, de payer l'énorme rançon de cinq milliards qui nous était imposée et ne l'a vons-nous pas acquittée avant terme, à l'aide de grands sacrifices, pour nous débarrasser plus vite de l'occupation ennemie ? Et nous qui avons le sentiment de notre nationalité, l'amour de notre patrie nous ferions un crime aux Arabes d'aimer leur pays et de ne pas nous chérir. Mais ce serait absurde, illogique et entièrement contraire à notre raison. Quand et comment exterminerez-vous les Arabes? Est-ce froidement, sans cause, sans motif? Les égorgerez-vous, hommes, femmes, enfants, comme un troupeau de moutons? Referezvous pour eux des Vêpres siciliennes, une tuerie turque, une SaintBarthélemy? Mais ce serait un cri d'indignation et de réprobation poussé par la France tout entière et par toute l'Europe civilisée. Pour les exterminer il vous faudrait la guerre, et la guerre ils ne vous la déclareront pas. Pour avoir cette guerre il vous faudrait la faire naître et ils ne vous en donneront pas l'occasion. Or, votre moyen d'extermination n'a pas de raison d'être et il tomberait sous le coup de la réprobation universelle si vous osiez le proposer sérieusement. Pour le moment on ne peut et on ne doit qu'en rire, tant il est contraire à notre manière de voir.

La province de Constantine est celle qui contient le plus d'Arabes fanatiques au point de vue religieux. Constantine est pour eux une ville sainte, presque encore essentiellement arabe ou maure, ou se sont réfugiés en grande partie les riches indigènes musulmans. Si une rébellion quelconque venait à éclater, le signal partirait certainement de là. L'administration doit avoir l'œil toujours ouvert sur cette province et surveiller attentivement la contrebande des armes et de la poudre qui se fait sur une assez grande échelle sur les frontières du Maroc et de la Tunisie par les indigènes, d'indignes Européens et même quelques Français. Que les délinquants soient poursuivis à outrance et punis sévèrement en rapport de leur délit ; qu'au moindre mouvement insurrectionnel l'autorité française frappe fort et ferme sur les révoltés. Il faut aux Arabes une main douce et ferme à la fois, qui frappe énergi

quement et sans pitié les insoumis et qui se tende franchement et généreusement vers les amis. Il n'en faut pas davantage pour maintenir les Arabes dans le devoir.

Le deuxième moyen n'est guère plus humain et il est aussi peu pratique que le premier. Vous voulez refouler les Arabes! mais où ? En Tunisie? au Maroc? au désert? Laissez-les donc faire, naturellement ils n'ont pas attendu votre résolution, ceux qui l'ont pu ont déjà quitté l'Algérie. Les riches qui n'ont pas voulu subir la conquête ou le contact des Européens ont déjà depuis longtemps pris la route du Maroc, de la Tunisie, de l'Egypte, de la Turquie, et ceux qui sont restés se sont habitués peu à peu à nos usages, à nos mœurs, à nos lois même ; ils ont servi avec bravoure, avec fidélité, avec dévouement sous nos drapeaux; ils se sont battus dans les rangs de nos soldats ou séparément, en Algérie, en Crimée, en Italie, au Mexique, contre les Allemands avec un courage et une abnégation dignes de toute notre reconnaissance; ils ont versé noblement et largement leur sang pour la France en héroïques soldats, nous ne devons pas l'oublier. Mais, nous répondra-t-on, ceux-là sont à moitié Français, ils ne sont Arabes et même Musulmans que de nom, ils se sont presque identifiés à notre civilisation française, mais les autres, les pauvres, les plus nombreux, ceux qui sont les plus fanatiques et qui sont tenus dans les mains de leurs prêtres qui ne connaissent pas d'autres lois que le Coran, ceux-là vous ne les civiliserez jamais, vous les assimilerez encore moins, il n'y a qu'à les refouler en masse, puisque nous ne pourrons en tirer jamais aucun parti. C'est une erreur, ceux que vous appelez la masse, les plus nombreux, les pauvres, en un mot, ont aussi payé leur dette de sang à la France, les régiments indigènes, spahis, turcos, ont grandement fait leurs preuves à Inkermann, à Balaclava, à Traktir, à Magenta, à Palestro, à Melegnano, à Solférino, à Puebla, à Mexico, à Wissembourg, à Gravelotte, à Borny, sous les murs de Paris, en Algérie même contre les rebelles, en un mot, depuis trente ans, partout où s'est montré le drapeau de la France. Et ce sont ces mêmes hommes que vous voudriez refouler malgré eux en Tunisie! au Maroc ! au désert! Mais ils n'y trouveraient pas de vivres, autant vaudra-il les exterminer.

Soyons donc plus humains et surtout plus Français, sachons nous souvenir de ce que les Arabes ont fait pour nous; au lieu de les refouler par la violence, essayons de les conserver au contraire sur le sol de notre colonie. Que ceux qui veulent partir se retirent librement, mais tendons la main à ceux qui veulent demeurer au milieu de nous, ils nous seront plus utiles que refoulés dans le désert ou

devenant chez les peuples musulmans voisins'un élément de haine, de discorde et de conflits.

XII

Le troisième moyen indiqué de civiliser les Arabes par la catéchisation ou l'évangélisation nous semble idéal, puéril, vicieux. et nous ne croyons pas que jusqu'à ce jour il ait produit le moindre résultat. Il serait bien difficile de nous citer depuis la conquête un certain nombre d'Arabes musulmans ayant renoncé à la circoncision et aux lois du prophète pour accepter le baptême du catholicisme, le protestantisme ou tout autre culte chrétien. La terre suivant les uns compte environ un milliard d'habitants, suivant les autres de huit à neuf cents millions, cette population pratique un grand nombre de religions diverses qu'on peut classer ainsi : CHRISTIANISME, 275 millions d'adhérents se décomposant de la manière suivante : catholicisme, 145 millions; église grecque, 65 millions, églises protestantes, 65 millions; JUDAISME, 4 à 5 millions; MAHOMĖTISME, 180 à 200 millions; BRAHMANISME, 80 à 100 millions; BOUDDHISME, 400 à 450 millions; FÉTICHISME, IDOLATRIE et CULTES DIVERS, 130 à 140 millions. Comme on le voit, les musulmans tiennent le second rang dans cette nomenclature religieuse, ils viennent immédiatement après les bouddhistes et ils sont bien plus nombreux que les catholiques et les protestants qui voudraient les catéchiser ou les évangéliser. La foi musulmane est pratiquée sur de vastes étendues de territoires, en Algérie, en Tunisie, au Maroc, en Egypte, dans une grande partie de l'Afrique connue et inconnue des Européens; en Turquie, en Perse, en Arabie, dans une grande partie de l'Inde et de l'Asie. C'est une religion qui a donc son importance et avec laquelle il faut compter. Les Arabes ne sont pas plus ridicules et plus barbares que les 197 ou 198 millions d'autres musulmans qui partagent leur croyance et pratiquent leur foi. La religion est une affaire de sentiment, de conscience, d'appréciation que chacun doit comprendre à sa manière, suivant son libre arbitre, sa libre pensée, son libre jugement. Il n'appartient à aucun être humain de forcer la conscience de son semblable, il n'est permis équitablement à aucun pouvoir civil ou religieux d'imposer une croyance qui ne peut être que le fruit de la persuasion, de l'étude et de la raison. Les religions quelles qu'elles soient sont souvent un obstacle à la science, au progrès et à la vérité, pourquoi? parce qu'elles ne sont pas toutes subordonnées aux lois civiles et qu'elles cherchent au contraire à s'en affranchir. Dans tous les pays où la loi religieuse est la base fondamentale des institutions, l'amélio

« PreviousContinue »