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occupés, vient le groupe espagnol auquel l'Amérique ouvre d'immenses espaces. Viennent ensuite l'Allemagne, puis la France, Ni l'une ni l'autre, dans les hypothèses indiquées, ne semblent en état de contre-balancer les développements énormes des autres races. Les émigrations allemandes se perdent dans l'autre monde sans laisser de trace, et la France n'envoie plus guère nulle part de colonies. Elle a cependant, mieux partagée que l'Allemagne sous ce rapport, un grand continent ouvert à son activité. C'est là, là seulement, en Afrique, que notre nation pourra trouver, sinon des équivalents, au moins des compensations à l'accroissement plus rapide des autres peuples. Déjà, peu de temps avant la guerre, M. Prévost-Paradol voulant tracer à grands traits les destinées de la a France nouvelle » montrait également, dans notre colonie algérienne, le grand but indiqué à notre activité nationale et peutêtre le centre futur de notre puissance commerciale. Ce ne sont pas les événements de 1870 qui ont pu enlever de la valeur à un pareil jugement, et il n'est pas étonnant que M. Littré, l'éminent académicien, se rencontre aujourd'hui, sur ce point, avec l'écrivain libéral et bien d'autres encore. Cela permet d'apprécier une fois de plus le grand service que la République a rendu à la France, rien que par l'établissement en Algérie d'un gouvernement régulier protecteur de tous les intérêts. La substitution du pouvoir civil au pouvoir militaire est comme une seconde conquête de l'Algérie: c'est la prise de possession véritable, par la civilisation française, de cette terre aux larges promesses. L'Algérie, jusqu'à ce jour, était un territoire occupé par nos soldats; grâce à la République, nous avons maintenant non pas seulement une colonie, mais une France nouvelle.

Nous devons trouver dans les Arabes non pas des vaincus toujours prêts à se soulever contre le vainqueur, non pas seulement des alliés mais des amis, des frères, des compatriotes fondus dans la même nationalité, combattant sous le même drapeau, unis par les mêmes liens, défendant les mêmes intérêts et poursuivant le même but.

Les Arabes sont braves, ils sont fiers, sensibles, intelligents, généreux. Il y a entre leur caractère et le nôtre une certaine analogie; ils aiment le luxe, la pompe, le bruit, le clinquant, les armes, les chevaux, la chasse, la fantasia. Ils aiment à faire parler la poudre et à l'entendre parler. Les exercices militaires leur plaisent et le service dans l'armée est pour eux plutôt un attrait qu'une sujétion. Les régiments indigènes réguliers de spahis et de turcos sont parfaitement organisés et manoeuvrent comme des régiments français. La discipline y est la même et il y a très-peu de cas d'in

subordination. Les soldats irréguliers des goums ont souvent fait leurs preuves de bravoure, de fidélité et de dévouement à la France en combattant contre les Marocains ou contre des Arabes insoumis ou en état de rébellion. Pourquoi ne pas rendre en Algérie le service militaire obligatoire comme il l'est en France? Au lieu de former des régiments essentiellement indigènes, ne vivant qu'en Algérie et n'opérant ailleurs qu'en régiments distincts. Pourquoi ne pas les fondre indistinctement dans les corps français, leur donner les mêmes droits, les mêmes avantages à l'avancement? Par ce moyen les Arabes peu à peu verraient la France, ils s'habitueraient à nos mœurs, à nos usages, à nos lois; ils parleraient notre langue, ce qui est un des moyens les plus efficaces pour établir entre eux et nous des relations amicales qui avec le temps amèneront la fusion des races en une seule nationalité. Quand après leurs trois années de service dans un régiment français ils retourneront dans leur pays, faisant partie de la réserve d'abord, de la territoriale ensuite, ils raconteront à leurs compatriotes ce qu'ils ont vu, appris et retenu en France, ils deviendront eux-mêmes les principaux propagateurs de la civilisation et de l'assimilation. Si les Arabes sont mauvais producteurs, s'ils ont à côté de qualités réelles des vices no mbreux, s'ils sont fanatiques, ennemis des giaours, cela ne tient pas certainement à leur nature qui n'est pas inférieure à la nôtre, mais à leur éducation première, à leur organisation sociale, à une féodalité sans exemple qui n'a pas même pour base l'hérédité des titres et du nom. Ce qu'il faut faire disparaître avant tout c'est le communisme en matière de propriété, remplacer leurs magistrats qui vendent la justice par des magistrats français, les arracher aux mains de chefs improbes et aux prédications des instituteurs fanatiques et ignorants des écoles arabes; les attirer par l'exemple et au besoin par l'obligation dans des écoles mixtes laïques et gratuites. Il faut développer en eux l'amour du sol, de la propriété, en les faisant propriétaires individuels, de serfs qu'ils sont encore; il faut leur accorder nos lois civiles et les y soumettre comme nous; il faut qu'ils vivent à côté de nos colons et qu'ils s'instruisent de leur exemple. Si les Français, si les Européens ne sont pas en nombre, les indigènes seront là pour y suppléer en venant travailler avec eux, sous leur direction. C'est ainsi que se fera insensiblement avec le temps par la civilisation l'assimilation des Arabes, et la prospérité de l'Algérie, devenue une seconde France, sera définitivement assurée.

XV

En parlant des mœurs, des arts, de la littérature des Arabes, nous avons voulu prouver que des hommes qui pensent, qui parlent, qui écrivent et qui agissent comme eux ne sont pas des barbares, insensibles à la civilisation moderne et incapables d'assimilation avec nos idées françaises. Ceux qui se font l'écho de pareil les théories ne les connaissent pas ou ils ne les ont étudiées que dans les classes les plus basses et les plus déshéritées de la population. Que dirait-on d'un étranger quelconque ou d'un Arabe lettré même qui viendrait chercher la civilisation française chez un paysan de la Basse-Bretagne, chez un montagnard de l'Aveyron, de l'Auvergne, de la Lozère ou des Basses-Alpes, et qui dirait ou écrirait ensuite: Le Français n'est pas civilisé, il est à moitié sauvage et il est entièrement rebelle à toute idée d'assimilation avec les autres peuples civilisés. Ce serait à pouffer de rire, et celui ou ceux qui avanceraient une pareille opinion seraient vite et sévèrement jugés. Pourquoi en agirait-on différemment avec les Arabes? Si la masse n'est pas plus avancée, accusons-en les Turcs d'abord, et prenons-en aussi notre petite part ensuite. Les Arabes se civiliseront et s'assimileront à nous si nous voulons nous en donner la peine. Alger, Oran, Constantine, Blidah, Bône et autres villes de la colonie peuvent déjà lutter et rivaliser d'éclat, de bien-être et d'entrain avec certaines grandes villes de France.

Alger est le Paris de l'Afrique française et résume toutes les nationalités parmi lesquelles prédomine le germe français. Cette cité toute européenne aujourd'hui par ses mœurs, ses idiômes, ses constructions à ses pieds et à sa tête, n'a conservé que dans son centre, sur les pentes rapides de la montagne qu'elle embrasse, le type mauresque qui fit sa force sous la domination musulmane; encore est-elle menacée et entamée à chaque instant dans les plus sombres sanctuaires de son passé. L'épanouissement des ruelles du vieil Alger forme le dessin le plus bizarre que l'on puisse imaginer. Tous ces réseaux de la circulation musulmane n'avaient, avant la conquête, qu'une seule artère, la rue de la Casbah, ou les demeures françaises pullulent aujourd'hui, surtout sur le plateau dont le palais du Dey occupait en partie la surface. Les Européens, les Français principalement, ont, à mon avis, fort mal compris la rénovation matérielle d'Alger. Pourquoi s'obstiner à bâtir de grandes et hautes maisons, sans caractère ressemblant à celles que l'on voit partout en France, si frêles de structure qu'elles remuent au moindre vent, et dont les tremblements de terre assez fréquents

en Algérie ébranlent les bases et font craquer les parois? Il fallait ou approprier aux besoins français la demeure mauresque ou emprunter l'idée de la maison italienne. Mais malheureusement, au point de vue des maisons d'habitation, le parisianisme, l'esprit d'uniformité et de nivellement sont venus s'implanter jusqu'en Afrique, pays chaud qui demandait des maisons et des rues particulières.

Quand les Romains s'emparèrent des Gaules ils commirent à peu près la même faute que nous en Algérie, mais il mettaient au moins la splendeur de leur art à la place des bâtiments les plus grossiers. N'eût-il-pas été plus logique, plus rationnel, plus hygiénique, de renchérir sur l'idée mauresque, de plier la maison musulmane aux exigences du goût, de modifier ou embellir le profil, en respectant l'ordonnance générale née de l'influence climatérique ? La police de la grande voirie devrait définitivement, en Algérie, réglementer les conditions matérielles de la maison de telle sorte qu'elle satisfasse aux doubles besoins de la civilisation et de la latitude.

En dépit de ses conditions fâcheuses de régénération matérielle la capitale de l'Algérie plaît singulièrement à ses visiteurs, à ses hôtes par le laisser-aller de la vie coloniale qu'on y mène, par la beauté du site, du ciel, de ses nuits étoilées et par la variété de ses habitants.

Ceux qui veulent s'inspirer du vieil Alger n'ont pas de temps à perdre, car il s'en va en détail comme un sexagénaire qui perd ses dents. Les hautes maisons européennes viennent coup sur coup faire tache dans l'albâtre du delta des quartiers hauts. Les monuments mauresques publics et privés les plus intéressants sont: la Casbah, la Djenina, le palais du Gouverneur général, le palais épiscopal, la Grande mosquée (Djama-el-Kebir), la mosquée de la Pêcherie (Djama-Djedid), le palais du Secrétariat général du gouvernement, celui de la bibliothèque-musée, ceux de l'intendance, du tribunal civil, de l'amirauté, etc., etc. Mais de tous ces palais mauresques d'Alger pas un n'offre l'éclat, la magnificence, l'élégance dans les détails de celui de Constantine, occupé par le général commandant la division de la province de ce nom.

Déjà en 1853 l'Algérie pouvait frapper par son aspect l'étranger qui venait la visiter, et elle laissait en lui des souvenirs. ineffaçables et la meilleure des impressions.

A cette époque mon excellent ami et collaborateur le chevalier Joseph Bard, archéologue des plus distingués, me rendait compte de ses impressions particulières dans une lettre des plus intéressantes et dont je crois devoir extraire quelques passages pour l'é

dification de quelques-uns de nos lecteurs incrédules qui ne veulent pas croire à la beauté de la colonie algérienne et à toutes les richesses qu'on peut tirer d'elle par le travail et la colonisation.

Après l'ivresse d'un premier regard lancé sur le ciel, le golfe, la ville, les paysages d'Alger, le sentiment le plus vif éprouvé par le visiteur de la terre africaine, c'est la prostration profonde de ses forces morales et physiques. Le moindre mouvement l'accable; ses jambes se refusent à le porter; il ne pense littéralement plus. Alors, il puise dans cet abattement, dans cette lassitude de l'esprit et du corps, l'intelligence de la vie, de la maison, des mœurs mauresques. On finit par s'identifier avec ce désœuvrement, cette paresse endémique qui résultent du climat, et à ne trouver le bienêtre que dans le repos, l'inaction, l'atrophie de la pensée. Quand on en est là, plus rien n'étonne en fait de mollesse, et les prodiges d'immobilité de la Perse, de l'Inde et de la Chine méridionale ne paraissent plus étranges que pour les laborieux enfants du Nord, qui n'ont jamais franchi le grand lac méditerranéen.

«Tout dans l'existence, les goûts, l'architectonique des Arabes et des Maures s'explique merveilleusement par les conditions climatériques sous l'influence desquelles ils sont placés et est le fruit des lois hygiéniques instinctivement pratiquées.

« Le voyageur fraîchement débarqué paye donc un large tribut au soleil d'Afrique, il souffre, il se plaint, il regrette les zones plus tempérées, il éprouve des nausées et des vertiges. C'est qu'au fait et au fond la chaleur algérienne a parfois je ne sais quoi d'énervant et de lourd qu'on ne trouve point dans celle de Naples, de Palerme et des autres régions australes un peu plus avancées vers l'Orient. Quand le sirocco (le simoun) se promène majestueusement sur l'Italie méridionale et la Grèce, il n'y arrive qu'adouci par la Méditerrannée dont il a franchi la surface, mais en Algérie il vient en droite ligne du Sahara, sans avoir trouvé la plus petite nappe d'eau pour se désaltérer et se rafraîchir, et il en apporte la brûlante atmosphère.

« Lorsque l'étranger s'est bien assoupi dans le farniente napolitain, lorsqu'il a bien maudit durant quelques jours, l'idée, la marche, le travail, la lumière surtout qui lui dévore la paupière et les yeux, quand le vent brûlant du désert souffle sur le sol poudreux d'Alger, peu à peu il s'accoutume à ce milieu et il sent sa nature se relever plus énergique que jamais. A la verve et à l'inspiration retrouvées s'unit bientôt le besoin de voir, d'étudier, de parcourir. La double activité du corps et de l'esprit ne peut faire longtemps défaut à un Européen. A Alger comme dans les régions tempérées, il vivra dans la plénitude de ses facultés, s'il est sage,

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