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royaliste fervent en 1815, mais dont l'esprit, naturellement dogmatique, s'était progressivement épris d'un sentiment exagéré de l'omnipotence parlementaire. La majorité de cette association était ardente, et prête à tout entreprendre pour assurer le triomphe de ses doctrines. Moins hostile dans le principe, la société Aide-toi, le ciel t'aidera, semblait s'être proposé surtout d'obliger le gouvernement à marcher dans les voies rigoureuses de la Charte : les élections étaient son principal moyen d'action. Plusieurs constitutionnels signalés par leur attachement à la famille régnante appartenaient à cette association, dont les rangs s'étaient insensiblement grossis d'un grand nombre de dissidents, éloignés de la société du Globe par la turbulence de son esprit. Quelques membres de la défection s'y étaient également affiliés depuis leur rupture ouverte avec le parti de la cour. Cette association instituée, comme on le voit, dans un but qui n'avait rien de menaçant pour la monarchie des Bourbons, lui était devenue graduellement hostile. Les dernières révolutions ministérielles avaient empreint son opposition d'un caractère marqué d'irritation et de méfiance, et l'un des organes les plus exaltés du parti libéral, M. Barrot, célèbre par sa prétention d'introduire l'athéisme dans les lois, exerçait sur ses déterminations un grand

ascendant. Ces deux sociétés représentaient le parti parlementaire proprement dit, parti constitutionnel et légitimiste dans des proportions diverses, puissant et nombreux en France, et dont les nuances étaient assez fidèlement exprimées par trois organes influents de la presse périodique, le Journal des Débats, le Globe et le Temps.

Faible encore dans les Chambres et dans la nation, à peine représenté dans la presse périodique, le parti purement révolutionnaire n'était pas cependant dénué de tout moyen d'action et de succès. Ce parti, dans lequel nous comprenons tous ceux qui aspiraient à la destruction violente du régime établi, pouvait attirer à lui les mécontents de l'armée, les débris nombreux encore de la faction impérialiste, et cette portion turbulente de la populace des grandes villes, toujours prête à se rallier à tout noyau d'insurrection contre l'ordre existant. Plusieurs sociétés secrètes, récemment créées soit à Paris, soit dans les départements (1), avaient pour but d'entretenir ces dispositions, dont on espérait

(1) On peut voir, sur l'organisation de la principale de ces sociétés, établie au mois de janvier 1830, la Révolution de 1830, etc., par M. Auguste Fabre, et la brochure de M. Morrhéry, intitulée Réponse aux outrages, etc. L'esprit et les statuts de cette association, qui était en rapport avec Lafayette, et qui comptait dans son sein des adeptes de

profiter un jour. Ces sociétés présentaient une organisation analogue à l'ancien carbonarisme. Mais, le principal avantage du parti révolutionnaire était de reconnaître un chef qu'une haute indépendance personnelle, des moeurs pures, des antécédents historiques, de l'esprit et de la mesure, et par-dessus une constance inébranlable en ses sentimens politiques, plaçaient dans toutes les conditions d'une popularité sérieuse et durable. Ce chef était le général Lafayette. L'athlète de l'émancipation américaine, le commandant de la garde nationale de 1789, le captif d'Olmütz, l'inflexible adversaire de Napoléon, fortifiait son parti de l'ascendant rare de toute une vie dévouée au triomphe d'un principe. Pas une action qui n'eût eu la cause populaire pour mobile, pas un combat qui n'eût été rendu en faveur de la liberté. C'est une figure qui se détache du fond pâle de notre siècle égoïste, que celle de ce vieillard, docile par son abnégation même à toutes les exigences populaires comme à un devoir sacré, épiant, dans une orgie patriotique, les inspirations les plus vulgaires de la licence, ou dotant

toutes les classes de la société, étaient purement républicains. Son organe était le journal appelé la Tribune. Elle paraît d'ailleurs n'avoir exercé qu'une influence secondaire sur les événements postérieurs.

d'obscurs complots du prestige d'un nom qui s'était mêlé à nos plus hautes illustrations contemporaines. Un pareil caractère ne devait exciter à demi ni l'amour ni la haine: il ne pouvait échapper qu'au mépris. Tel était Lafayette, symbole invariable des idées démocratiques en France, et que nous avons déjà vu rallier par sa seule présence toutes les nuances de l'opposition libérale, lors de l'avènement du ministère Polignac.

Le général Lafayette s'était fait remarquer à la tribune par une franchise de langage qui ne manquait pas de mérite dans une assemblée où ses opinions extrêmes étaient faiblement réfléchies. On ne l'avait vu recourir à aucune de ces précautions, de ces hypocrisies oratoires qui sont à l'usage des minorités. Accusé ouvertement, en 1822, d'avoir pris part à la conspiration de Saumur, sa véracité lui avait refusé le courage d'un désaveu. On l'a vu convenir plus tard qu'il ne fut pas calomnié dans cette circonstance (1). Homme d'action non moins

(1) M. Royer-Collard ayant eu, quelque temps après la Révolution de 1830, l'occasion de rappeler au général Lafayette l'acte d'accusation dressé dans cette affaire par le procureur général Mangin, en attachant à cet acte l'épithète de calomnieux : « Je fus outragé, répondit le général, mais non calomnié. » En ce cas, répondit M. Royer-Collard, vous fûtes impuni.

que de tribune, il avait prêté son concours à plusieurs autres complots tramés contre la Restauration (1). L'ardeur de son antipathie pour le gouvernement pacifique des Bourbons l'avait rendu insensible aux périls personnels, et même à l'humiliant avantage qu'il exposait ce gouvernement à prendre sur lui par un acte d'insouciance ou de générosité. Ce n'est que par impuissance et de guerre lasse qu'il s'était résigné aux lenteurs fastidieuses d'une lutte parle mentaire. Quel était le but de ces hostilités reproduites sous tant de formes ? Est-ce la République, est-ce le duc de Reichstadtqu'elles prétendaient servir? On peut répondre qu'elles avaient par-dessus tout pour objet la des

(1) Divers écrits ont fait connaître que le général Lafayette, engagé en 1822 dans le complot de Béfort, céda aux instances de sa famille en retardant de vingt-quatre heures son départ de Paris. Arrivé à ***, ville à quelque distance de Béfort, il apprit par un message des conjurés que le complot avait échoué. Une particularité moins connue, c'est que de zélés affidés profitèrent de la nuit pour briser sa voiture et pour en faire disparaître tous les vestiges, afin que rien n'accusât le passage du général, qui se retira sans bruit. Malgré cette précaution extraordinaire, la présence de Lafayette à *** fut connue du gouvernement, qui eut assez de prudence ou de générosité pour se contenter des explications par lesquelles il la motiva.

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