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Il y eut donc à la fois dans les ordonnances de 1830 précipitation funeste, et méconnaissance de la véritable situation des esprits. En dépit des comédiens de quinze ans, de ces fanfarons de trahison, qui ont calomnié la nation la plus loyale de l'univers en lui prêtant leur propre duplicité, la masse du peuple était calme. Elle avait salué avec sincérité l'avénement de Charles X. Un malentendu habilement exploité avait pu depuis lors altérer son affection pour ce prince; mais elle était indifférente et non hostile, et l'on pouvait tout attendre encore de l'intérêt qui la liait au sort du gouvernement, de son attachement progressifaux institutions fondées par la Charte, et d'un systême de modération qui, franchement embrassé, eût isolé tous les ennemis de l'ordre et de la paix publique.

Il convient d'apprécier une dernière objection proposée en faveur du systême des ordonnances. On a entrepris de les comparer à celle que rendit Louis XVIII, le 13 juillet 1815, en convoquant les Chambres législatives, et qui contenait diverses dispositions électorales. Il n'existe aucune analogie entre ces actes. L'ordonnance du 13 juillet, rendue en l'absence et non en violation d'une loi d'élection, contenait les vues les plus constitutionnelles et les plus libérales; elle annonçait des modifications importantes à la Charte, et proclamait l'intention

du roi de faire jouir dès à présent la France « des avantages d'une représentation plus nombreuse et moins restreinte dans les conditions d'éligibilité ». Et pourtant, quelle dissemblance profonde dans la difficulté des temps ! D'affreux déchirements menaçaient ce royaume où le monarque venait de rentrer à la suite d'une crise effroyable : l'armée presqu'entière, une partie de la population, un grand nombre de fonctionnaires publics s'étaient déclarés contre lui pendant les Cent-Jours; d'amères exigences de la part des étrangers en armes achevaient de dépopulariser la cause royale qu'une partie de l'opinion publique identifiait à leurs succès; partout des hostilités et des alarmes. Toutefois, quel respect pour les lois, quelle application constante à améliorer les institutions dont la France lui était redevable! L'année 1820, marquée par l'assassinat du duc de Berri, par les révolutions d'Espagne et de Portugal, et par divers complots intérieurs, ramena plus tard pour la Restauration des circonstances également difficiles. L'habileté de Louis XVIII franchit ces crises périlleuses sans qu'il en coûtat un seul sacrifice à l'ordre légal. Quels exemples pour le gouvernement de Charles X !

Privées de l'excuse d'un péril imminent et insurmontable pour la couronne, les ordonnances de juillet ne s'offrent plus à l'histoire que comme une

grande infraction à la première loi du gouvernement représentatif, comme la destruction violemment entreprise d'une majorité formée par les voies constitutionnelles et régulières, et disons-le, comme le renversement du système parlementaire en France. Car, le succès une fois obtenu, quelle garantie restait-il que le pouvoir royal ne brisât pas désormais de la même manière toute majorité législative contraire à ses vues ? Qui répondait qu'il acceptât avec docilité les résistances légales que les corps judiciaires et les électeurs eux-mêmes pourraient opposer à ses entreprises? Ainsi, le coup-d'état manquait de la condition essentielle que les publicistes ont attachée à la légitimité de cette espèce de mesure : il était de nature à se reproduire. Nous ne croyons nullement à l'intention, si légèrement attribuée aux ministres de Charles X, de ramener la France au régime absolu : nous n'y croyons pas plus que ceux qui l'ont affirmée avec tant d'assurance. Nous savons que la pensée du coup-d'état ne fut point criminelle et nous voulons, avec M. de Polignac, ne voir dans les ordonnances de juillet «qu'un armistice forcé entre deux principes opposés dont le choc inévitable menaçait l'ordre social d'un bouleversement complet. » (1) Mais nous pensons qu'un premier pas

(1) Considérations politiques sur l'époque actuelle, par M. de Polignac, Paris, 1832.

dans cette carrière d'arbitraire et d'illégalité ouvrait pour la Restauration une ère de périls qu'il n'eût été donné qu'à une habileté supérieure de prévenir ou de surmonter. Or, la science du gouvernement consiste surtout à fonder un système tel qu'il puisse être mis en action par les hommes de tous les temps, et se passer du concours de ces esprits éminents que la Providence ne dispense aux peuples qu'avec une sage et laborieuse parcimonie.

Au sortir du conseil du 25 juillet, aucune trace de préoccupation fâcheuse ne s'était fait remarquer dans les traits des ministres. Ils rapportèrent dans la journée les ordonnances à Paris, et M. Sauvo, rédacteur en chef du Moniteur, en reçut commu nication à onze heures du soir, chez le garde-dessceaux. M. de Montbel, ministre des finances, était présent. Remarquant la vive agitation avec laquelle M. Sauvo parcourait le manuscrit qui venait de lui être remis, il lui adressa ces mots interrogatifs: Eh bien? « Monseigneur, répondit M. Sauvo je n'ai qu'un mot à dire : Dieu sauve le roi et la France!-Nous l'espérons bien», répliquèrent avec émotion les deux ministres. Messieurs, ajouta

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en sortant M. Sauvo, j'ai 57 ans, j'ai vu toutes les journées de la Révolution, et je me retire avec une

profonde terreur de nouvelles commotions. » Telle fut la première impression produite au dehors par les ordonnances : elle dut faire pressentir aux ministres quel orage formidable allait exciter leur publication: mais le sort en était jeté.

Le 26 au matin, le Moniteur apprit à la capitale l'imprudent défi porté par la couronne à une partie nombreuse, éclairée et puissante de la population. Quoique la menace d'un coup-d'état fùt depuis près d'un an le texte des commentaires de toutes les feuilles publiques, cette résolution n'avait jamais rencontré une foi sérieuse. On se persuadait d'ailleurs, d'après les dernières mesures, que le gouvernement avait entièrement renoncé à l'effectuer. Le premier sentiment fut celui d'une stupeur universelle; l'inquiétude et l'exaspération ne tardèrent pas à lui succéder. Ces dispositions se manifestèrent d'abord à la Bourse, dont les environs furent encombrés d'une foule avide de connaître l'influence de ces nouvelles sur le cours des effets publics. La baisse fut de trois à quatre francs sur les rentes cinq et trois pour cent, malgré les nombreux achats opérés par les agents du trésor royal. De la Bourse, où l'inquiétude des classes financières et industrielles s'était traduite sous les démonstrations les plus alarmantes, l'agitation se répandit rapidement parmi le peuple de la capitale. Quelques ras

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