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fit suivre à l'Hôtel-de-Ville par un nombreux détachement d'insurgés, aux cris de Vive la Charte! vive la Liberté! On se rappelle que ce poste avait été évacué depuis minuit par les troupes. Le colonel Zimmer en prit possession presqu'en même temps, et fut l'un des premiers à régulariser le mouvement insurrectionnel par la distribution d'un grand nombre d'ordres sur divers points. Les élèves de l'Ecole polytechnique secondèrent activement par leur zèle et leur dévoûment ces premières dispositions. Tandis qu'un centre d'opérations militaires s'établissait ainsi à l'Hôtel-de-Ville, un autre chef de l'insurrection, M. Baude, songeait à y accréditer la fiction d'un gouvernement civil provisoire. Il prescrivit aux employés de la Préfecture de continuer leurs travaux, et essaya de donner de la vraisemblance à sa conception, en faisant et en contre-signant des arrêtés et des proclamations au nom de ce prétendu gouvernement (1). Quand de crédules patriotes allaient de temps à autre pour s'aboucher avec ses membres, des sentinelles apostées disaient gravement: On ne passe pas; le gouvernement provisoire est en conférence. Il fallait à cette audacieuse fiction le relief ou l'absolution de la victoire. Cet appui ne lui manqua pas.

(1) Voyez, aux Documents justificatifs, pièce O, l'ordre du jour dressé par ce député.

En même temps, le général Lafayette se rendait chez M. Laffitte; il faisait part à ses collègues, réunis cette fois en grand nombre, du vœu exprimé par les Parisiens, qu'il prît le commandement de la garde nationale. L'assentiment des députés, encouragé par les succès du peuple, fut unanime. Le général Gérard accepta la direction des opérations actives. Il parcourut sur-le-champ les boulevards, harangua les régiments de la ligne qui, malgré leur défection, témoignaient encore quelques sentiments de fidélité, et se rendit au Louvre où il établit son quartier-général. Puis il partit pour aller reconnaître les postes militaires autour de Paris. Un manifeste, adressé à toutes les troupes de la garde royale et de la ligne, les invita à se rendre au camp provisoire qu'on allait établir à Vaugirard. Cependant le général Gérard fit donner l'ordre aux régiments casernés dans Paris de conserver provisoirement la cocarde blanche.

Vers deux heures, le général Lafayette se mit en marche pour l'Hôtel-de-Ville, entouré d'un nombreux cortége. Les acclamations les plus exaltées se firent entendre partout sur son passage. Dans la rue aux Fers, une pluie de rubans tricolores tomba sur lui et sur la multitude qui l'environnait. Le général prit lui-même une de ces cocardes, et cet exemple fut imité par tous. Le délire populaire pa

rut à son comble à la vue de ces emblèmes. Le cor

tége, retardé par la foule immense qui remplissait les rues, n'arriva qu'à trois heures à l'Hôtel-deVille. De nombreuses décharges d'artillerie eurent lieu en signe d'allégresse. Quelques personnes voulaient guider le général dans, les salles de ce vaste édifice: «Laissez, dit le héros de 1789, je connais les êtres mieux que vous. Il fit remplacer par le drapeau tricolore le drapeau noir que le général Dubourg avait arboré; on fit disparaître les tentures fleurdelisées de la grande salle et les bustes des deux derniers rois.

Les députés réunis chez M. Laffitte nommèrent de leur côté, par la voie du scrutin, une Commission municipale, composée de MM. C. Périer, Laffitte, de Schonen, Audry de Puiraveau, le comte de Lobau, pour subvenir aux besoins des circonstances. Cette Commission, investie de pouvoirs fort étendus, avait la faculté de s'adjoindre les citoyens qu'elle jugerait convenable. Elle usa sur-le-champ de ce droit en faveur de M. Mauguin, et tous, à l'exception de M. Laffitte, se rendirent à l'Hôtel-deVille, aux crix de Vive la Liberté! à bas les Bourbons! Ils désignèrent M. Baude et M. Mérilhou pour secrétaires, et se constituèrent au milieu d'un immense désordre; la place de Grève était encore jonchée de cadavres, et ruisselait de sang. Le premier

soin de la Commission fut de pourvoir à quelques emplois élevés du gouvernement et de la capitale. Le baron Louis fut nommé commissaire au département des finances; on confia la préfecture de la Seine à M. Delaborde, déjà désigné par MM. Baude et Dumoulin, et la direction des postes à M. Chardel. M. de Villeneuve, titulaire de ces fonctions, protesta avec énergie contre sa dépossession; il fallut user de violence. Tous les courriers partirent dans la nuit, et portèrent dans les départements, ainsi que les voitures publiques, les emblêmes de la Révolution victorieuse. M. Bavoux, désigné provisoirement comme préfet de police, trouva un million dans la caisse de cette administration. Mille écus furent distribués aux élèves de l'Ecole polytechnique. M. George de Lafayette, fils du général, se chargea de partager la même somme entre les ouvriers qui travaillaient aux barricades. On appela aux fonctions municipales, selon la prédiction de M. Odilon-Barrot, les citoyens qui, aux dernières élections, avaient rempli les fonctions de scrutateurs. Des commissaires furent créés dans chaque arrondissement pour organiser la garde nationale, et pour recueillir les souscriptions destinées au soulagement des blessés. Plusieurs citoyens, et entr'autres M. Laffitte, firent à cette occasion des sacrifices considérables.

Il était huit heures et demie, quand MM. de Sémonville, d'Argout et de Vitrolles se présentèrent au perron de l'Hôtel-de-Ville. Malgré l'empressement qu'ils avaient mis à proclamer partout sur leur passage la chute du ministère et le retrait des ordonnances, leur trajet ne s'était pas effectué sans danger. Quelques coups de fusil avaient accompagné les cris de vive la Charte! et ceux de vive la République! devenus plus fréquents, à mesure qu'ils s'étaient rapprochés de la place de Grève. Tous trois furent introduits sans difficulté dans la salle où siégeait la Commission municipale. Un député qui, malgré l'ardeur de son opposition, s'était tenu prudemment en dehors des derniers débats, M. Benjamin Constant, assistait à cette conférence. La présence de M. de Vitrolles excita d'abord un sentiment très prononcé de surprise et de défiance parmi les membres de la Commission (1). M. de Sémonville, qui s'en aperçut, la justifia par quelques explications spirituelles, tirées des intentions conciliantes qui

(1) M. C. Périer, surtout, témoigna à son aspect de vives alarmes, mais qui n'avaient rien que de bienveillant. M. de Vitrolles ici! s'écria-t-il, Nous croit-il done assez forts pour le sauver!

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