1 leur étaient communes à tous; puis, interpellé par drapeau tricolore ne serait pas du moins le fruit de la victoire du peuple de Paris. M. de Sémonville répondit qu'il n'avait point été question de cet objet à Saint-Cloud, et, après avoir échangé quelques propos bienveillants et légers, ils se séparèrent (1). Le grand-référendaire se rendit au Luxembourg, et M. d'Argout alla seul chez M. Laffitte, où plusieurs députés et quelques chefs du parti libéral se trouvaient réunis sous sa présidence. (1) C'est aux sources les plus directes et les plus sûres que j'ai puisé les détails de cette conférence de l'Hôtel-de-Ville, si différente en réalité des récits qui en ont été publiés dans une foule de livres et de brochures. J'observerai en passant que ma relation est pleinement en harmonie avec le Rapport adressé au roi Louis-Philippe, peu de jours après son avénement au trône, par les membres de la Commission municipale. Loin de reproduire les exclamations répulsives qu'on a si souvent citées, ce document officiel énonce positivement que «< la Commission ne voulut pas décider sur-lechamp les graves questions qui lui étaient soumises, et que, quoique sa résolution fût arrêtée (ce qui est plus que douteux), il était de la prudence de ménager encore un parti à qui le désespoir pouvait révéler ses forces. » Ce n'est donc réellement ni par M. Mauguin, ni par le général Lafayette, ni par M. Audry de Puiraveau, ni par M. de Schonen, ainsi qu'on l'a diversement prétendu, que le fameux Il est trop tard fut prononcé, dans la journée du 29 juillet, mais par Charles X lui-même, ainsi que nous l'avons vu, dans l'audience de congé qu'il donna à M. de Sémonville. M. d'Argout fit part à cette assemblée des résolutions qui avaient été adoptées à Saint-Cloud dans la matinée. La majorité parut généralement disposée à accepter les conditions du trône. On craignait que Paris, attaqué sous peu de jours par une nombreuse armée, ne fût réduit à en subir de plus dures. Les esprits, ajoutait-on, paraissaient peu préparés à un changement de dynastie, crise toujours difficile et périlleuse. Ces raisons furent combattues avec chaleur par MM. Thiers et Mignet, qui répondirent que Charles Xne pouvait rentrer dans Paris couvert du sang de ses sujets, que sa dynastie était usée, et qu'il fallait la remplacer par une autre, neuve et libérale. L'assemblée ne prit aucun parti, et se borna à décider qu'on attendrait jusqu'à une heure du matin l'arrivée de M. de Mortemart. Malgré l'extrême circonspection que M. Laffitte avait déployée dans cette conférence, ses sympathies en faveur du duc d'Orléans n'étaient plus incertaines. Il avait, le matin même, expédié un affidé à ce prince, pour l'engager à se rendre immédiatement à Paris : « Le lendemain, écrivaitil, verrait proclamer la République ou le duc de Reichstadt; jamais plus belle occasion ne pourrait se présenter; il lui fallait choisir entre la fuite et la couronne. » Après le départ des députés, M. Laffitte tint conseil avec trois partisans dévoués de la maison d'Orléans, MM. Thiers, Mignet et Larreguy. On s'occupa des moyens les plus propres à préparer l'avénement du prince au pouvoir. Il fut convenu qu'on agirait sans délai. Le succès de la mission de M. de Mortemart paraissait impossible, d'après ce qu'on connaissait des dispositions populaires. On s'assura du silence de quelques journaux, de la coopération de quelques autres, et l'on fit afficher dans la nuit un écrit rédigé par M. Thiers, où le duc d'Orléans était présenté « comme un prince dévoué à la Révolution, qui acceptait la Charte comme le peuple l'avait toujours entendue, et qui ne voudrait devoir sa couronne qu'à la nation française. » L'imposture fut appelée au secours de ces insinuations. Un autre bulletin, affiché dans la même soirée, annonça que l'ex-roi Charles X, avait mis le duc d'Orléans hors la loi pour avoir embrassé la cause du peuple, et que le duc de Chartres, son fils, marchait au secours de Paris, à la tête de son régiment. Des bruits sinistres, répandus à dessein ou enfantés par l'inquiétude des esprits, ne cessérent de circuler. On regardait comme certaine, pour le lendemain, à la pointe du jour, une attaque de l'armée royale qui, disait-on, s'était reformée au bois de Boulogne. Après la conférence à laquelle il avait assisté, M. d'Argout rejoignit M. de Vitrolles, et tous deux repartirent pour Saint-Cloud vers une heure et demie du matin. Le Château, enseveli dans un calme profond, ne conservait aucune trace des agitations de la journée. MM. de Vitrolles et d'Argout apprirent avec étonnement que le duc de Mortemart n'avait point encore quitté cette résidence royale. Ils se firent conduire aussitôt auprès de lui, et le trouvèrent couché sur un canapé, attendant encore que le roi se décidât à signer les ordonnances délibérées le matin dans le conseil. Ce prince s'y était refusé sous différents prétextes, et le Dauphin, non moins blessé de l'attitude modeste prise par la couronne depuis la démarche pacifique de M. de Sémonville, avait entretenu et secondé le roi dans sa résistance. Plusieurs heures s'étaient ainsi écoulées sans fruit dans une conjoncture où chaque minute, pour ainsi dire, comptait dans les destinées de la monarchie de Charles X. Qui peut affirmer, en effet, que l'apparition de M. de Mortemart, présentant dès le 29 au soir les ordonnances de concession à des assemblées sans engagements pris contre la dynastie, ou délibérant sous l'impression des ressources puissantes que conservait encore l'autorité royale, qui oserait affirmer, disons-nous, qu'une telle intervention eût été sans influence sur les résolutions de ces assemblées? |