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>> Attendu qu'elle est, au surplus, irrelevante, puisque les considérants du présent jugement et la conviction du Tribunal sont basés, non pas sur l'entérinement de l'avis de l'expert dissident, mais sur des faits constants, acquis aux débats, en dehors de cet avis et appréciés par les membres du Tribunal, à la lumière de leur expérience et de leurs connaissances personnelles ;

» Attendu que vainement, enfin, le demandeur argumente de ce que le capitaine, après avoir terminé son chargement à Sulina, s'est aperçu qu'il lui manquait environ 180 tonnes. >> Attendu que pareille constatation, réalisée sur l'ensemble de la cargaison, alors que le capitaine ne pouvait plus rien changer aux connaissements, qu'il avait dû signer au fur et à mesure de l'embarquement des divers lots, ne prouve nullement que le capitaine ait eu la possibilité de faire une constatation analogue sur un lot déterminé, embarqué pendant que d'autres étaient chargés dans les autres cales du vapeur;

Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que le capitaine défendeur n'a commis aucune faute de nature à entraîner la perte d'une partie de la marchandise embarquée et les experts sont unanimement d'avis que le déficit litigieux provient de ce que le chargeur a mis à bord 71.120 kilogrammes de moins que le poids déclaré par lui;

» Attendu que l'action manque donc de fondement en ce qui concerne le lot dit être de 138.500 kilogrammes de froment, chargé le 17 Octobre 1903;

» B.- En ce qui concerne la partie indiquée par Fleisch comme comportant 191.486 kilogrammes de froment:

>> Attendu qu'il résulte des éléments de la cause, indiqués à propos du premier lot, que le lot litigieux fut chargé à Braïla, dans la cale 2 du steamer Florida, le lundi 19 Octobre 1903, au-dessus d'un premier lot de 200 tonnes de seigle, d'un second lot de 246 tonnes de froment et à côté d'un troisième lot, dit être de 138.500 kilogrammes de froment pendant qu'on embarquait, dans la cale 1, une partie d'un lot de 740 tonnes de froment, et dans les cales 3 et 4 divers lots petits et grands;

>> Attendu que le chargeur Fleisch n'a livré à l'embarquement que 101.460 kilogrammes au lieu de 191.486 kilogrammes ;

>> Attendu qu'il y eut donc là un écart de 90.026 kilogrammes ou 88 tonnes anglaises; >> Attendu que ce déficit représente une différence d'immersion, en moins, du vapeur de

2 pouces 8 ou 33 lignes 6 ou 7 centimètres 5 et un cubage en moins de 111m3,58443 dans la cale 2, qui cube 1.521m3,6003;

» Attendu que, pour les motifs déjà développés ci-dessus à propos du lot dit être de 138.500 kilogrammes de froment, l'action manque aussi de fondement en ce qui concerne le lot dit être de 191.486 kilogrammes de froment, chargé le 19 Octobre 1903,

>> Par ces motifs,

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>> Déclare l'action non fondée; en déboute le demandeur; le condamne aux dépens. Du 14 Juillet 1904. — Président : M. ENGELS. Plaidant: Mes A. ROOST et MAETERLINCK, avocats.

OBSERVATION. I. La question tranchée par ce jugement présente un grand intérêt. Il ne s'agissait pas de rendre le capitaine responsable d'un manquant, malgré la clause << poids inconnu », en prouvant que les quantités indiquées au connaissement avaient été réellement mises à bord et que le capitaine avait commis une faute en ne livrant pas con

forme, ce qui est un principe constant en jurisprudence. Un écart existait effectivement entre le poids chargé sur le navire et le poids déclaré, et le litige portait sur le point de savoir si le capitaine qui signe un connaissement mentionnant un poids différent du poids réel embarqué commet, malgré la clause « poids inconnu », une faute de nature à le rendre responsable de cette différence.

A cet égard, il a été jugé que le capitaine certifie par sa signature sur le connaissement l'existence à bord de la marchandise et se rend, par suite, personnellement responsable du manquant, sans pouvoir invoquer la clause « poids inconnu » ou d'autres analogues, car cette clause ne peut exonérer le capitaine de la responsabilité des fautes relevées à son encontre. Voyez Havre, 18 Novembre 1891, Rev. Int. Dr. Marit., VII, p. 287; Rouen, 22 Novembre 1889, ibid., v, p. 506; Havre, 6 Avril 1886, ibid., II, p. 168 et la note; Tunis, 25 Décembre 1893, ibid., X, p. 488; Bordeaux, 23 Octobre 1889, ibid., V, p. 377 et la note; Nantes, 13 Juin 1898, ibid., XIV, p. 122 et la note; Marseille, 18 Mars 190 i, ibid., XIX, p. 889 et la note; Gênes, 9 Avril 1894, ibid., X, p. 362. En sens contraire, voyez La Haye, 24 Octobre 1884, ibid., II, p. 476 et la note de jurisprudence étrangère.

Comp. Govare et Denisse, Les Clauses de non-responsabilité dans le contrat de transport el la Jurisprudence, chap. vi, ibid., XVII, p. 276.

Adde, pour le cas de faute volontaire du capitaine, Honfleur, 11 Juillet 1900, ibid., XVI, p. 54 et la note.

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II. IV. Il est de jurisprudence, en France, que l'effet de la clause « poids inconnu >> est de mettre à la charge du réceptionnaire, pour engager la responsabilité du capitaine en cas de manquant à la livraison, une double preuve; il doit démontrer: 1° la concordance exacte entre le poids réel embarqué et le poids déclaré au connaissement par le chargeur, c'est-àdire, l'existence du manquant; et 2° une faute du capitaine. Sur cette double preuve et la nature de la faute du capitaine, voyez Nantes, 13 Juillet 1898, Rev. Int. Dr. Marit., XIV, p. 122 et la jurisprudence en note; Havre, 4 Juillet 1899, ibid., XV, p. 98; 7 Novembre 1899, ibid. XV, p. 326; Marseille, 25 Octobre 1899, ibid., XV, p. 454; Seine, 13 Février 1902, ibid., XVII, p. 724; Douai, 9 Juillet 1903, ibid, XIX, p. 354; Havre, 15 Juillet 1903, ibid., XIX, p. 225 et les notes sous ces décisions.

Le capitaine semble être tenu, à peine de responsabilité, malgré la clause « poids inconnu » à une vérification au moins sommaire des quantités embarquées. Voyez, outre les décisions précitées, Havre, 22 Mai 1901, ibid., XIII, p. 87; Cassation, 23 Juillet 1903, ibid., XIX, p. 177; Marseille, 18 Mars 1904, ibid., XIX, p. 891 et la jurisprudence en note. Comp. Havre, 7 Mai 1901, ibid., XVII, p. 77 et la note; Rouen, 27 Novembre 1901, ibid., XVII, p. 303; Havre, 19 Avril 1904, ibid., XX, p. 48 et les notes.

Dans la plupart des pays étrangers, la jurisprudence part du même principe que les tribunaux français, à savoir le renversement du fardeau de la preuve.

La jurisprudence italienne se rapproche beaucoup de celle des tribunaux français: elle décide que la clause « poids inconnu » a pour effet de mettre à la charge du réceptionna ire, sinon la preuve de la faute du capitaine, du moins la preuve que la quantité déclarée au connaissement a été réellement embarquée. Voyez Cassation de Turin, 8 Août 1898, ibid., XIV, p. 287; 6 Mars 1900, ibid., XVI, p. 114; adde Gênes, 27 Mars 1900, ibid., XVI, p. 115;

27 Avril 1900, ibid., XVI, p. 712; 30 Juin 1902, ibid., XIX, p. 404; 4 Avril 1902, ibid., XIX, p. 739. Il a été également jugé que, malgré la clause « poids inconnu », le capitaine reste tenu de vérifier au moins approximativement si la quantité chargée concorde avec le poids déclaré. Voyez Cassation de Florence, 27 Juin 1896, ibid., XII, p. 222.

La jurisprudence danoise semble aussi, en l'état de la clause « poids inconnu », mettre à la charge du destinataire la preuve que la quantité réellement embarquée n'a pas été délivrée. Voyez Copenhague, 13 Mars 1890, ibid., VII, p. 390.

Voyez dans un sens identique, Tunis, 30 Juin et 13 Octobre 1892, ibid., VIII, p. 165. 'En Belgique, on semble donner à la clause une portée plus large: elle aurait pour effet de rendre inopposable au capitaine le poids inscrit au connaissement et même de le dispenser de vérifier les quantités (mbarquées. Voyez Anvers, 11 Mai 1898, ibid., XIV, p. 207; Bruxelles, 7 Mars 1898, ibid., XIV, p. 247.

En Hollande, la jurisprudence semble décharger le capitaine, en l'état de la clause dont s'agit, de toute responsabilité. Voyez La Haye, 24 Novembre 1884, ibid., II. p. 476 et la jurisprudence en note.

En Allemagne, le nouveau Code de Commerce du 10 Mai 1897, prévoit la question dans son article 655 ainsi conçu:

« Si les marchandises désignées au connaissement quant à leur nombre, leur mesure et leur poids n'ont pas été comptées, mesurées ou pesées contradictoirement avec le capitaine, il peut ajouter au connaissement la clause « nombre, mesure, poids inconnus ». Quand le connaissement renferme cette mention ou toute autre équivalente, le fréteur n'est pas responsable de l'exactitude des indications qui y sont portées relativement au nombre, à la mesure et au poids des marchandises reçues. » Comp. Tribunal supérieur hanséatique, 6 Juin 1902, ce Rec., XIX, p. 254.

Aux États-Unis, c'est à l'armateur qu'incombe, malgré la clause « poids inconnu », la charge de prouver la cause de la différence entre le poids porté au connaissement et le poids délivré, mais sa responsabilité est dégagée lorsqu'il a prouvé la livraison de toute la quantité 'mise à bord. Voyez Cour d'Appel (5o circuit), 1o Mai 1900, ibid., XVI, p. 545.

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V. VIII. Sur le moyen de vérifier l'importance du chargement par le degré d'immersion du navire, le temps employé et le cubage des cales, comp. Cassation française, 17 Novembre 1903, Rev. Int. Dr. Marit., XIX, p. 658.

En Belgique, lorsqu'il y a plusieurs chargeurs, le capitaine, pour sauvegarder son droit à des surestaries, est tenu de protester à chaque retard. Voyez Anvers, 11 Juin 1902, ibid., XIX, p. 285 et la note.

Un protêt unique à la fin des staries suflit, lorsque les chargeurs sont tenus de livrer aussi vite que le navire pourra recevoir. Voyez Gand, 25 Juin 1901, ibid., XVII, p. 795 et la jurisprudence en note.

F.-C. AUTRAN,

Docteur en Droit,

Avocat au Barreau de Marseille,
Président

de l'Association Française du Droit Maritime.

IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20, PARIS. 23201-10-04.

(Encre Lorilleux).

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