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d'être naturalisés; d'autres enfin les ont complètement supprimées. Cette diversité de législations a empêché de modifier par des traités la condition des étrangers: le Gouvernement fédéral n'en peut conclure sur les matières qui rentrent dans la compétence législative des Etats. Ainsi, le traité entre la France et les Etats Unis (23 février 1853) a stipulé, au profit des Français, le droit d'acquérir ou de transmettre la propriété immobilière, de disposer et recevoir par succession; mais il a dû réserver les droits des Etats et ne s'applique que dans ceux où il ne contredit pas la loi locale (1).

253.

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TITRE III. DU CONFLIT DES LOIS.

Résoudre les conflits qui se produisent entre les lois des diverses nations; déterminer, en cas de doute, celle qui doit s'appliquer: tel est l'objet propre du droit international privé.

Les étrangers jouissent en France, à quelques rares exceptions près, des droits privés ; il en est de même des Français à l'étranger. A quelle loi est soumis l'exercice de ces droits? Est ce la loi française ou la loi étrangère qui régit, en France, l'état et la capacité des étrangers, les biens meubles et immeubles qui leur appartiennent, les actes juridiques qu'ils accomplissent? Est-ce la loi française ou la loi étrangère qui régit les Français en pays étranger?

Prenons un exemple.

Un étranger vend à un Français un immeuble situé en France; cette vente soulève, en droit, diverses questions relatives à la capacité du vendeur ou de l'acheteur, à la validité du contrat, dans le fond et dans la forme, au mode de preuve, aux effets du contrat: la translation de la propriété entre les parties ou à l'égard des tiers résulte-t-elle directement du contrat ou nécessite-t-elle une certaine publicité? Le vendeur a-t-il des sûretés particulières, notamment un privilège, pour obtenir le paiement de son prix ?

(1) Weiss, t. II, p. 473 et s.

Pour résoudre toutes ces questions, faut-il appliquer la loi française qui est la loi personnelle de l'acheteur, celle de la situation de l'immeuble et celle du lieu où l'acte a été passé, ou la loi étrangère, loi personnelle du vendeur?

Dans cet exemple, la réponse ne doit pas être uniforme: sur certains points, il faut appliquer la loi française; sur d'autres la loi étrangère. Il est donc nécessaire de déterminer dans quels cas et dans quelle mesure la loi étrangère doit s'appliquer dans un pays, dans quels cas la loi territoriale doit l'emporter.

La solution de ce conflit entre la loi territoriale et les lois étrangères est fondamentale; mais ce n'est pas le seul qui puisse se produire. La loi territoriale écartée, l'hésitation subsistera parfois entre deux ou plusieurs lois étrangères. Des valeurs mobilières qui se trouvent en France dépendent de la succession d'un étranger; il est certain que leur dévolution héréditaire n'est pas régie par la loi française; mais, en les supposant de nationalités différentes, faudra-t-il appliquer la loi du de cujus ou celle de ses héritiers?

Nous devons rechercher la solution de ces conflits à deux points de vue:

Au point de vue rationnel: en théorie quelles sont les règles les meilleures et les plus exactes?

Au point de vue de la loi française : quelles sont les règles que l'on doit suivre en France, sous l'empire des lois actuelles?

Nous répondrons d'abord à ces questions en deux chapitres et nous indiquerons aussi, chemin faisant, les solutions admises par les principales législations étrangères.

Dans les chapitres suivants nous développerons, en nous plaçant aux mêmes points de vue, les solutions que nous aurons formulées.

CHAPITRE I.

284.

Solutions théoriques du conflit.

On a proposé ou suivi divers systèmes pour résoudre le conflit des lois. Nous allons exposer et discuter les principaux d'entre eux ; nous tirerons ensuite nos conclusions.

SECTION I.

Système de la territorialité des lois.
Courtoisie internationale.

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235. A. Exposé. Le système de la territorialité des lois est d'origine féodale (1). La féodalité avait morcelé la France et tous les pays où elle s'étendit, en seigneuries à peu près indépendantes, malgré le lien qui les unissait; dans chacune d'elles s'établit une coutume et le nombre de ces lois locales s'accrut à l'infini. Or, toutes les institutions féodales ont un caractère territorial; la terre est le fondement de la souveraineté : chaque seigneur est souverain dans sa terre; la terre détermine la condition des personnes, et, pour ainsi dire, leur nationalité : chacun est l'homme du seigneur sur la terre duquel il est né. De même, la loi, ou plutôt la coutume, est territoriale; son empire est absolu dans les limites de la seigneurie à laquelle elle s'applique; elle régit, à l'exclusion de toute autre, les choses ou les personnes qui s'y trouvent et les actes qui s'y accomplissent; mais il s'arrête à ces limites; il ne peut s'étendre, ni aux choses, ni aux personnes, dans le ressort d'une autre coutume. C'est le principe que Loisel formule ainsi : les coutumes sont réelles (2).

Né de la féodalité et du morcellement de la souveraineté, le principe survit à son déclin et même à sa disparition. Il s'affirme énergiquement au xvr siècle, lors de la rédaction des coutumes. Il subsiste encore à la veille de la Révolution.

256

A l'origine, la réalité des coutumes dut être absolue. Dans chaque seigneurie, le juge applique exclusivement sa loi sans jamais s'occuper des autres. Une personne qui contracte dans le ressort de la coutume de Paris, sera tenue pour capable suivant cette coutume, bien qu'elle soit incapable d'après la coutume de son domicile. Il faudra apprécier, même en la forme, suivant la coutume de Paris, la valeur des actes invoqués dans son ressort, bien qu'ils aient été passés dans un autre. Aucun texte contemporain ne formule expressément ces conséquences;

(1) Lainé, Introduction au droit international privé, t. I, p. 269 et s.; Weiss, t. III, p. 7.

(2) Institutes coutumières, liv. II, tit. IV, règles 3 et 4.

on peut cependant les tenir pour certaines. Elles résultent logiquement du principe de la réalité et du caractère des institutions féodales.

257.

Le système de la territorialité des lois est encore suivi aujourd'hui dans les pays où la législation privée a ressenti le plus longtemps l'influence féodale: en Angleterre et aux Etats-Unis. On allègue, pour le justifier, que la souveraineté de chaque Etat est, de sa nature, territoriale: absolue dans l'intérieur des frontières, elle ne s'étend pas au-delà. Les lois qui émanent de cette souveraineté doivent être également territoriales (1).

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258. Pour que ce régime de territorialité absolue soit praticable, en fait, il faut que les territoires régis par diverses législations restent isolés les uns des autres, et que les rapports entre eux soient rares et exceptionnels. Dès qu'un contact s'établit, que les relations deviennent fréquentes et suivies, comment faire entière abstraction des lois étrangères ? comment n'en tenir aucun compte lorsqu'il s'agit d'apprécier la valeur des actes accomplis sur leur territoire ou surtout la capacité des personnes qui leur sont soumises? Aussi arrive-t-il fréquemment qu'un Etat consent à écarter l'application de ses propres lois pour admettre celle de lois étrangères. Il obéit alors à des raisons de courtoisie envers les autres Etats, de convenance, d'intérêt bien entendu ; il veut entretenir de bons rapports avec ses voisins, assurer à ses nationaux un pareil traitement, mais il n'est pas obligé de faire l'application de ces lois, pas plus que les autres Etats ne sont en droit de l'exiger. Chaque nation, dit Story, doit être juge en dernier ressort, non seulement de la nature et de l'étendue de

(1) Story, Comentaries on the conflict of laws, chap. II, p. 21 ; Westlake, A treatise on private international law (passim); Fœlix, t. I, nos 9 et s. La doctrine de la territorialité des lois a été récemment soutenue, en France, avec autant de verve que de savoir, par M. le marquis de Vareilles-Sommières dans son ouvrage : La synthèse du droit international prive (2 vol.). Nous avouons que son argumentation ne nous a pas convaincu. V. pour la critique de cet ouvrage Lainé, Considérations sur le droit international privé, Revue critique, 1899, p. 613; 1900, p. 20, 83, 216, 350.

cette obligation, mais encore des cas où on peut justement lui demander de s'en acquitter (1). »

259. – B. Appréciation.

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Le système de la territorialité absolue des lois renferme certaines idées justes, à côté d'une erreur fondamentale.

Il est vrai que la souveraineté s'exerçant sur un territoire particulier et dans ses limites, les lois qu'elle établit sont destinées normalement à s'appliquer sur ce territoire et non pas ailleurs. Il est vrai aussi qu'un Etat n'a aucun moyen d'assurer l'observation de ses propres lois, ou d'en exiger le respect, sur le territoire d'un autre Etat. Mais on tire de ces principes des conséquences exagérées et inexactes, quand on soutient qu'un Etat a le droit d'imposer toutes ses lois à toutes les personnes, même étrangères, qui se trouvent sur son territoire, et n'est jamais obligé de souffrir l'application des lois étrangères.

La nature humaine offre, dans son unité, de nombreuses variétés variétés physiques, qui tiennent à la race, quelquefois aux influences extérieures, comme celle du climat ; variétés morales, de traditions et de mœurs; variétés dans les besoins à satisfaire....; de cette diversité des hommes naît forcément celle des lois. La loi qui convient le mieux à un peuple est celle qui s'adapte à sa race, à ses mœurs, à sa situation géographique, à ses bonnes ou mauvaises qualités. La loi, bonne pour un peuple, ne l'est donc pas de la même façon, et peut-être pas du tout, pour les autres.

Ainsi, les lois qui régissent, en Angleterre, la capacité des personnes et la protection des incapables sont, nous le supposons, parfaitement appropriées au tempérament et aux besoins des Anglais; par là même, elles ne conviendront pas aux Français, et réciproquement. Il n'est donc ni raisonnable ni juste d'appliquer, sur ce point, aux Français qui se trouvent en Angleterre, les lois anglaises qui ne leur conviennent pas, et de ne pas permettre qu'ils soient régis par la loi française.

Du reste, avec la territorialité absolue des lois, une personne est tantôt capable, tantôt incapable suivant le lieu où elle se trouve : conséquence bizarre, car si une personne a l'aptitude physique et morale nécessaire pour se con

(1) Story, op. cit. no 33.

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