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terre détermine la condition des personnes; le jus soli règle la nationalité d'origine. L'enfant nédans la seigneurie est l'homme du seigneur ; plus tard, avec les progrès de la royauté, l'enfant né en France est sujet du roi. Il y trouve, du reste, un certain intérêt, parce qu'il échappe ainsi aux déchéances qui frappent les étrangers.

Le Code civil introduisit dans la législation française le principe de la filiation (jus sanguinis). Depuis lors, la plupart des États de l'Europe l'ont adopté, mais en France même une réaction s'est produite. Commencée en 1851, elle a abouti à la loi du 26 juin 1889, qui, sans abandonner le jus sanguinis, a fait une large place au jus soli et attribué à la naissance en France une grande influence sur la nationalité de l'enfant.

Les législations se partagent aujourd'hui entre l'application du jus soli, celle du jus sanguinis et les systèmes intermédiaires qui combinent les deux principes.

24.

S'il faut choisir entre les deux théories opposées, on doit donner la préférence au jus sanguinis: l'enfant, du moins en règle générale, suivra la nationalité de ses parents.

En effet, tous les éléments naturels de la nationalité, la communauté de race, de mœurs, de traditions, se transmettent avec le sang et par la filiation; la nation, d'ailleurs, se compose de familles, et la filiation, qui rattache l'enfant à une famille, doit aussi le rattacher à la nation dont elle fait partie; enfin, il est avantageux pour lui d'avoir la même nationalité que ses parents et d'être régi par la même loi ; on évite ainsi de sérieuses difficultés.

Si, au contraire, on imposait à l'enfant, jure soli, la nationalité du lieu où il est né, il pourrait, par suite de circonstances fortuites, qui l'auraient fait naître hors du pays de ses parents, appartenir à un État auquel la race, la langue, les traditions le rendraient réellement étranger; il aurait une nationalité différente de son père, ce qui serait, dans leurs rapports juridiques, une source de complications; enfin l'État n'a pas d'intérêt à ranger, sans distinction, parmi ses nationaux, tous ceux qui naissent chez lui : les sujets qu'il acquiert ainsi, loin d'être une force, deviennent souvent un embaras. Comment, lorsqu'ils ont quitté leur pays natal, réclamer d'eux l'accomplissement des obligations

que tout État a le droit d'exiger? Faudra-t-il que, en cas de guerre, ils s'abstiennent de porter les armes contre le pays où ils sont nés? C'est une cause évidente de difficultés et de conflits.

25. Le système du jus sanguinis présente, cependant, dans certaines circonstances, des inconvénients pratiques. Il est donc juste de ne pas l'appliquer exclusivement et de reconnaître aussi au lieu de naissance quelque influence sur la nationalité. La naissance de l'enfant dans un pays autre que celui de ses parents ne résulte pas toujours du hasard. Quelquefois, son père y sera définitivement établi; l'enfant y aura été élevé, il y aura toujours résidé, en fait il n'en aura point d'autre. L'intérêt de l'enfant et celui du pays s'unissent pour demander qu'il en ait, en droit, la nationalité: l'enfant jouira des avantages qui y sont attachés et l'État pourra lui en faire supporter les charges. Du reste, il est dangereux pour un pays que les familles fixées sur son territoire, quelquefois depuis plusieurs générations, restent perpétuellement étrangères; il est utile qu'elles se fondent promptement dans la masse des nationaux.

Pour tenir compte de ces considérations, on peut donner à l'enfant les moyens d'acquérir plus facilement la nationalité du pays où il est né; on peut même la lui conférer d'office, mais alors sans la lui imposer. L'enfant doit conserver le droit d'opter pour celle de ses parents, qui est sa nationalité naturelle; autrement, on se heurte aux objections que soulève le jus soli et l'on risque d'attribuer à l'enfant deux nationalités : celle de ses parents et celle du lieu de sa naissance.

SECTION II. Loi française.

26. Dans l'ancien droit français, l'enfant a la nationalité du pays où il est né. L'enfant, né en France, est alors Français, même si ses parents sont étrangers. Réciproquement, on admit pendant longtemps que l'enfant né en pays étranger, même de parents français, était étranger. Mais, plus tard, la rigueur du principe fléchit sur ce point et on reconnut à cet enfant la nationalité française (1). Ainsi, avant

(1) Pothier, Traité des personnes et des choses, nos 43, 45, 47.

la Révolution, sont Français d'origine : 1° tout enfant né en France, jure soli; 2° tout enfant né en pays étranger de parents français, jure sanguinis.

Ces règles furent maintenues par le droit intermédiaire. Elles étaient également reproduites dans le projet du Code civil, dont l'article 2 portait : « Tout individu né en France est Français », et l'article 3: « Tout enfant né d'un Français en pays étranger est Français. » Cette dernière disposition fut admise sans difficulté. L'opposition du Tribunat fit rejeter la première. On observa que le jus soli était une conséquence du régime féodal et devait disparaître avec lui, et qu'aucun lien ne rattacherait à la France l'enfant que le hasard y aurait fait naître, mais qui l'aurait quittée aussitôt après sa naissance; enfin on considéra la nationalité française comme un bienfait qu'on ne devait pas prodiguer ; on ne devait pas la conférer à des individus, domiciliés en pays étranger, qui en réclameraient les avantages, tandis que leur éloignement les soustrairait à ses charges. Il suffisait donc d'offrir la nationalité française aux individus nés en France, sans la leur imposer, et à la double condition qu'ils manifestent la volonté de l'acquérir et fixent leur domicile en France.

27.- Tel fut le système du Code civil. Tout enfant né d'un Français, même en pays étranger, est Français (art. 10, §1).

L'individu né en France d'un étranger peut, dans l'année qui suivra sa majorité, réclamer la qualité de Français, pourvu qu'il déclare son intention de fixer son domicile en France et qu'il l'y établisse effectivement (art. 9).

En théorie, le système était excellent, mais l'expérience en révéla les inconvénients pratiques et montra que le danger n'était pas là où on avait cru le voir.

Dans le Code civil, la condition de l'étranger était encore notablement inférieure à celle des Français; en particulier il était incapable de succéder ou d'acquérir à titre gratuit. On pouvait donc supposer que son intérêt même le pousserait suffisamment à réclamer la qualité de Français. Mais la loi du 14 juillet 1819 a fait disparaître cette incapacité ; la loi de 1867 a aboli la contrainte par corps : la condition des étrangers est donc devenue à peu près égale à celle des Français. Sans doute, les droits politiques et quelques droits civils leur manquent, mais leur privation est moins sensi

ble que le poids des charges qui les balancent, surtout du service militaire; si bien que les étrangers nés et domiciliés en France trouvaient plutôt leur intérêt à ne pas acquérir la nationalité française. D'autre part, ceux mêmes qui l'auraient acceptée volontiers omettaient par négligence, quelquefois par ignorance, de remplir la formalité nécessaire pour la réclamer. Ainsi, fort peu d'individus bénéficiaient de l'article 9 du Code civil. Beaucoup de familles étrangères s'établissaient en France et les générations s'y succédaient, sans jamais devenir Françaises; en outre, ces individus, souvent en droit, plus souvent encore en fait, avaient cessé d'appartenir à leur ancienne patrie : ils se trouvaient ainsi n'avoir pas de nationalité et échapper partout aux obligations qu'elle impose.

28.

Cette situation anormale devait attirer l'attention du législateur. La loi du 7 février 1851 essaya d'y porter remède. Elle décidait que « tout individu né en France d'un étranger qui lui-même y était né était Français ». Elle ne lui imposait pas, cependant, la nationalité française et lui laissait le droit de réclamer, à sa majorité, celle de ses parents; cette réclamation devait rétroagir au jour de la naissance. En outre, pour éviter que ceux qui abdiqueraient la qualité de Français ne restassent sans nationalité, la loi du 16 décembre 1874 les obligea à prouver qu'ils avaient conservé celle de leurs parents.

29. Ces deux lois donnèrent des résultats peu appréciables. Le nombre des étrangers résidant en France ne cessait de s'accroître, au point de préoccuper l'opinion publique. D'autre part, l'immunité dont ils jouissent à l'égard du service militaire constitue, à leur profit, un véritable privilège, surtout lorsque, nés en France, ils y sont définitivement établis. La loi de 1889 a voulu réduire le nombre des étrangers, non pas, comme quelques-uns l'avaient proposé, par des mesures restrictives, mais en en faisant des Français. Pour cela elle leur permet d'acquérir la nationalité française, ou même elle la confère d'office, avec une facilité que l'on a jugée bientôt excessive, au moins dans certains cas, et que la loi du 22 juillet 1893 a diminuée. Il résulte de ces deux lois que la qualité de Français est acquise tantôt par la filiation - c'est la règle générale tantôt par la naissance sur le sol français.

et

§ 1.

Nationalité française conférée par la filiation.
Jus sanguinis.

30. Tout individu né, en France ou à l'étranger, de parents français est Français (C. civ., art. 8, § 1). Dans l'application de la règle, il faut distinguer entre l'enfant légitime et l'enfant naturel.

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31. — A. Enfant légitime. Deux difficultés peuvent se présenter: 1° les père et mère ne sont pas de même nationalité; 2° le père a changé de nationalité entre la conception et la naissance de l'enfant.

a) Lorsque son père et sa mère ne sont pas de même nationalité, tout le monde est d'accord pour reconnaître que l'enfant suit celle de son père. L'hypothèse est d'ailleurs fort rare, puisque la femme mariée suit la nationalité de son mari: il faut, pour qu'elle se présente, qu'un des auteurs de l'enfant ait changé de nationalité au cours du mariage.

b) Le père change de nationalité entre la conception et la naissance à quel moment faut-il se placer, pour déterminer la nationalité de l'enfant ? La question est beaucoup plus douteuse et il est regrettable que la loi ne l'ait pas tranchée. On a proposé d'appliquer ici la règle: infans conceptus pro nato habetur, quoties de commodis ejus agitur. L'intérêt de l'enfant est d'être Français, il suffira donc, pour que cette nationalité lui appartienne, que le père l'ait eue lui-même, soit lors de la conception, soit lors de la naissance, soit à un moment intermédiaire (1). Nous croyons préférable de s'attacher toujours au moment de la naissance. Si le Code applique quelquefois la règle infans conceptus... il ne la formule nulle part en termes généraux : elle n'est donc pas obligatoire pour nous. Ce n'est que par une fiction qu'on peut considérer l'enfant conçu comme vivant. En réalité, il ne compte

(1) Aubry et Rau (5° éd.) t. I, p. 347, 348, texte et n. 2 et s.; Demolombe, t. I, no 151; Baudry-Lacantinerie et Houques - Fourcade, Traité de droit civil. Des personnes, t. I, n° 339; de Folleville, n° 345; Surville et Arthuys, Cours élémentaire de droit international privé (4 éd.) no 37.

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