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dans la société qu'après sa naissance; il est donc juste de ne lui attribuer une nationalité qu'à ce moment-là. Cette fiction aurait, d'ailleurs, en notre matière, plus d'un inconvénient elle rendrait la nationalité incertaine; est difficile de déterminer avec précision l'époque de la conception, et l'on ne saurait appliquer ici les présomptions de l'article 312, faites pour la filiation et qui sont de droit étroit; Ielle attribue à l'enfant une nationalité différente de celle de son père, devenu étranger avant sa naissance, et cela, sous plus d'un rapport, est contraire à son intérêt;

elle risque enfin d'attribuer à l'enfant deux nationalités: en France, on lui reconnaîtra la nationalité française, qui était celle de son père lors de la conception; à l'étranger, par un raisonnement semblable, on lui reconnaîtra la nationalité que le père a acquise lors de la naissance. On évite ce conflit, en ne tenant compte que du moment de la naissance pour déterminer la nationalité d'origine. C'est le système suivi, en pratique, par la Chancellerie (1).

32. - B. Enfant naturel. L'enfant naturel reconnu, ou dont la filiation a été établie en justice, suit la nationalité de ses parents, ou de celui d'entre eux à l'égard de qui la filiation est prouvée. Mais il faut pour cela que la reconnaissance, volontaire ou judiciaire, soit intervenue pendant la minorité. Après la majorité, elle serait sans influence: l'enfant conserverait la nationalité qu'il a reçue à sa naissance, comme né de parents inconnus. La loi ne veut pas qu'il soit exposé à se voir enlever sa nationalité rétroactivement et contre sa volonté.

La nationalité de l'enfant naturel reconnu soulève les mêmes difficultés que celle de l'enfant légitime.

a) Quelle sera sa nationalité si les père et mère qui l'ont reconnu n'ont pas la même ? La question, qui peut se présenter assez fréquemment, était controversée; mais la

(1) Stemler, Application pratique de la nouvelle loi sur la nationalité par l'administration. Clunet, 1890, p. 388. Weiss, t. I, p. 57; Cogordan, p. 35; Geouffre de Lapradelle, De la nationalité d'origine, p. 183; Vincent, La loi du 26 juin 1889 sur la nationalité, nos 8, 9 (Lois nouvelles, 1889, 1. 748). Cass. belge, 18 avril 1887. Sir. 88, 4, 25.

jurisprudence attribuait constamment à l'enfant la nationalité de son père (1).

La loi de 1889 (Code civ. art. 8-1") fait une distinction. La preuve de la filiation a-t-elle été faite à l'égard du père et de la mère simultanément, par un même acte de reconnaissance ou un mème jugement? l'enfant suit la nationalité de son père. La preuve a-t-elle été faite à l'égard du père et de la mère par deux actes ou jugements séparés et successifs ? l'enfant suit la nationalité de celui de ses parents à l'égard de qui la preuve a d'abord été faite; la reconnaissance qui surviendrait plus tard ne la changerait pas et, de cette façon encore, la nationalité de l'enfant naturel devient plus certaine.

b) A quel moment la nationalité de l'enfant naturel estelle déterminée ? On peut considérer trois époques: la reconnaissance, la naissance, la conception. La reconnaissance est déclarative; elle constate la filiation, mais elle ne la crée pas. Ce n'est pas seulement à partir de ce moment et pour l'avenir que l'enfant prend la nationalité de ses parents; il est réputé rétroactivement l'avoir toujours eue: il faut donc, pour la déterminer, remonter au moins jusqu'à sa naissance (2).

Faut-il se placer au moment de la naissance ou de la conception? Nous retrouvons ici la discussion que nous avons déjà rencontrée : elle comporte les mêmes solutions.

§ 2. Nationalité française conférée par la naissance
en France. Jus soli.

32 bis. Sont Français, jure soli: 1° les enfants nés en France de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue; 2° les enfants nés en France de parents étrangers, lorsque leurs parents y sont nés, ou qu'ils y sont domiciliés eux-mêmes à leur majorité.

(1) V. notamment : Cass. 15 juillet 1840, Sir. 40, 1, 900 et 22 décembre 1874, Sir. 75, 1, 423. Aubry et Rau (4o éd.), t. I, p. 232, n. 4 ; Demolombe, t. II, nos 149 et 150; de Folleville, no 340; Weiss, t. I, p. 65.

(2) Nancy, 23 mars 1890, Sir. 92, 2, 286; Weiss, t. I, p. 69; Cogordan, p. 34; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, t. I, no 334 ; Geouffre de Lapradelle, p. 195.

33.

- A. Enfants de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue. (Code civ. art. 8-2o).- A moins de les laisser sans nationalité, il faut nécessairement leur attribuer celle du pays où ils sont nés. On doit considérer comme nés de parents inconnus: 1° les enfants dont les auteurs sont inconnus en fait comme en droit. Il est d'ailleurs vraisemblable, lorsqu'ils sont nés en France, que leurs parents sont Français (1); 2° les enfants naturels, dont la filiation n'est pas légalement établie, bien que leurs parents soient connus en fait (2).

Aux enfants de parents inconnus, la loi de 1889 a assimilé justement ceux dont les parents n'ont pas de nationalité connue. Ces dispositions s'appliquent aux enfants nés dans les colonies aussi bien que sur le territoire de la Métropole (3).

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34. B. Enfants de parents étrangers. Nous allons rencontrer ici les innovations principales de la loi de 1889. Elle divise en trois catégories les individus nés en France de parents étrangers: 1o les individus dont l'un des parents est lui-même né en France: ils sont Français de droit et dès leur naissance; 2° les individus nés en France, mais dont les parents n'y étaient pas nés : ils sont aussi Français de plein droit, mais à la condition d'être domiciliés en France à leur majorité; 3" les individus nés en France, mais qui n'y sont pas domiciliés à leur majorité: ils peuvent seulement réclamer la qualité de Français.

Nous ne nous occuperons ici que des deux premières catégories; nous retrouverons la troisième en traitant des changements de nationalité.

35.

Avant d'aborder l'étude des règles particulières nous ferons deux observations générales :

1° Antérieurement à la loi de 1889 et jusqu'au décret du 7 février 1897, la naissance dans l'une des colonies françaises produisait, pour l'acquisition de la nationalité, les

(1) La loi de 1889 a confirmé sur ce point la jurisprudence antérieure. Cass. 14 juin 1887, Sir. 88, 1, 77; 22 avril 1898, Clunet, 1898, 734.

(2) Aix, 4 juin 1896, Sir. 98, 2, 103.
(3) Décret du 7 février 1897 (art. 1).

mêmes effets que la naissance en France. Il en est encore ainsi dans les colonies où s'applique la loi de 1889 (1): Algérie, Martinique, Guadeloupe, Réunion.

Au contraire, il résulte du décret de 1897 que l'individu né dans les autres colonies n'est pas Français de plein droit, lorsque ses parents y sont nés ou sont nés en France, ou lorsqu'il y est domicilié lui-même à sa majorité (2). Mais que faudra-t-il décider si un enfant, né aux colonies, est domicilié en France à sa majorité, ou si, dans l'avenir, un enfant naît en France d'un père né aux colonies?

Le décret de 1897 n'a pas prévu cette combinaison de ses propres dispositions avec celles de la législation métropolitaine. Je penche à croire qu'on devrait, dans ces deux hypothèses, appliquer à l'individu domicilié ou né en France les règles du Code civil; à ce point de vue et dans cette mesure, la naissance dans les colonies serait toujours assimilée à la naissance en France. Mais cette solution, il faut le reconnaître, est discutable (3).

36. 2° Un individu doit être considéré comme né en France, lorsque la province où il est venu au monde en faisait partie lors de sa naissance; peu importe qu'elle en ait été séparée par la suite (4). Réciproquement, si, à l'époque de la naissance, le territoire où elle a eu lieu était étranger, mais a été plus tard réuni à notre pays, l'enfant n'est pas né en France. La raison de décider est la même dans les deux cas: le démembrement et l'annexion d'un territoire n'ont d'effet que pour l'avenir et sans rétroactivité (5).

(1) Loi du 26 juin 1889, art. 2.

(2) V. infrà no 95.

(3) V. notre article: La nationalité française dans les colonies, Clunet, 1898, 23.

(4) Cass. 7 décembre 1883, Sir. 83, 1, 89; 25 février 1890, Sir. 91, 1, 7; 22 avril 1890, Sir. 91, 1, 229; 9 décembre 1902, Clunet, 1903, 856.

(5) Sic sur le dernier point: Aix, 27 juin 1900; Clunet, 1902, 343 : Cass. 17 février 1903, Clunet, 1904, 170; Aubry et Rau (5o éd.) t. I, p. 359, n. 37; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, t. I, n° 362; Weiss, t. I, p. 85; Cogordan, p. 77; Despagnet, Précis de droit international privé, (3o éd.) no 124 in fine; Lesueur et Drey

37. — I. Individu né en France d'un étranger qui luimème y est né. (Code civil, art. 8-3°). — Les lois du 7 février 1851 et du 16 décembre 1874 déclaraient Français l'enfant né en France d'un étranger qui lui-même y était né, mais elles lui laissaient la faculté de réclamer, dans l'année qui suivait sa majorité, la nationalité de ses parents. La loi de 1889 supprima ce droit d'option, (1). Cet individu devait être Français d'une façon irrévocable, dès lors que l'un de ses parents était né en France, soit le père, soit même la mère. C'était, du moins, ce que la Cour de cassation avait jugé. L'expression: né d'un étranger, dont se servait la loi, devait s'entendre également des deux sexes: de la mère aussi bien que du père (2).

La loi du 22 juillet 1893 a atténué, par une distinction, ce que cette extension du jus soli avait d'exorbitant. Est-ce le père qui est né en France? L'enfant est définitivement Français. Est-ce la mère? Il peut réclamer, dans l'année qui suit sa majorité, la nationalité de son père.

L'enfant naturel reconnu est définitivement Français lorsque celui de ses auteurs dont il devrait suivre, jure sanguinis, la nationalité est lui-même né en France.

Peut-être aurait-il mieux valu revenir plus complètement encore au passé, et rendre, dans tous les cas, à l'enfant d'un étranger né en France le droit d'opter pour la nationalité de ses parents.

Le législateur a considéré que les deux naissances consécutives du père et de l'enfant en France prouvent que la famille est établie dans ce pays d'une façon définitive, mais

fus, La nationalité, p. 38; Campistron, Commentaire pratique des lois sur la nationalité, no 27; Geouffre de Lapradelle, p. 221.

Mais v. en sens contraire: Aix, 2 décembre 1898, Clunet 1900, 801; Trib. de Nice, 7 avril 1900, Clunet, 1900, 790; Décisions de la chancellerie du 17 novembre 1876, Clunet, 1877, 101 et du 7 juillet 1900, Clunet, 1902, 345 (à la note); Selosse, Traité de l'annexion au territoire français et de son démembrement, p. 315; Surville, Examen doctrinal, Revue critique, 1901, p. 129.

(1) Le droit d'option était retiré, par l'effet de cette loi, aux enfants déjà nés, mais non encore majeurs, en 1889. Cass. 5 juin 1893. Clunet, 1893, 1188.

(2) Cass. 7 décembre 1891, Sir. 92, 1, 81. La pratique administrative était contraire. V. Stemler, Clunet, 1890, 390; Gruffy, Applications pratiques, etc... Clunet, 1894, 766.

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