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Mais la prescription est aussi établie dans l'intérêt du débiteur. Elle le protège contre les réclamations qu'élèverait un créancier de mauvaise foi, à une époque où la preuve de la libération peut, sans négligence répréhensible, s'être perdue. Or le débiteur a certainement cru bénéficier de cette protection, à l'expiration du délai fixé par la loi sous l'empire de laquelle il a contracté. Il s'est obligé sous cette condition qu'après ce délai toute action contre lui serait éteinte on ne doit pas le priver d'un avantage sur lequel il a pu légitimement compter. La prescription sera donc toujours acquise à l'expiration du temps fixé par la loi qui régit l'obligation, même si, d'après la loi du juge saisi, le délai était plus long. S'il en était autrement, d'ailleurs, il dépendrait, dans certains cas, du créancier, d'allonger la prescription au détriment du débiteur (1).

SECTION III.

Engagements qui se forment sans convention (2).

402. L'obligation de réparer le préjudice causé par les délits ou les quasi-délits s'impose à ceux qui les ont commis, indépendamment de leur volonté : il n'y a donc pas à tenir compte de l'intention de la personne obligée pour déterminer la loi applicable. Cette loi, qu'il ne dépend pas d'elle de choisir, est, d'après l'opinion généralement suivie, celle du lieu où l'acte délictueux a été commis (3).

trine anglaise en matière de droit international prive, Clunet, 1882, 14.

(1) Aubry et Rau (5o éd.), t. I, p. 165, texte et note 68; p. 166, texte et note 69; Weiss, t. IV, p. 385; Despagnet, no 317 in fine; Aubry, Clunet, 1896, 474 et s. - Pillet, Principes, p. 456, note 1, combine la loi nationale du débiteur avec la lex fori. La prescription sera accomplie à l'expiration du délai le plus court fixé par l'une ou l'autre de ces lois. Rolin, t. I, nos 338 et 339, combine de la même façon la lex fori avec la loi nationale commune des contractants ou la lex loci contractus, l'une ou l'autre étant appliquée obligatoirement, et non pas en vertu de la volonté présumée des parties.

-

(2) Fiore, Des engagements qui se forment sans convention, Clunet, 1900, 449, 717.

(3) Cass. 16 mai 1888, Sir. 91, 1, 509; Aix, 19 décembre 1892, Sir. 93, 2, 201; Paris, 23 juin 1899, Clunet, 1901, 128; Tribunal supérieur régional de Cologne, 27 février 1894, Sir. 94, 4, 1; Tribunal de l'Empire allemand, 2 mai 1900, Clunet, 1900, 812; Despagnet, no 322:

403.

On applique aussi la même loi aux obligations

nées des quasi-contrats (1).

Toutefois, dans ce dernier cas, l'obligation peut être purement volontaire, au moins pour l'une des parties dont l'intention doit être consultée. Il y aurait lieu, notamment, de suivre la loi sous l'empire de laquelle le gérant d'affaires a voulu s'obliger, si ce n'était pas celle du lieu où la gestion a été accomplie (2). Nous croyons aussi que, si le gérant et le maître étaient de la même nationalité, il faudrait donner la préférence à leur loi nationale commune (3).

CHAPITRE VIII.

étrangère.

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-

Force obligatoire de la loi
Recours en cassation.

Preuve.

404. L'étude que nous avons faite dans les chapitres précédents nous l'a montré : les juges français devront fréquemment appliquer une loi étrangère; par exemple, lorsqu'il s'agit de l'état et de la capacité des étrangers, de la forme des actes passés dans un pays étranger, souvent même du fond des conventions qui y sont conclues, et dans d'autres hypothèses encore. Dans quelle mesure l'applica

Comp. Weiss,

Surville et Arthuys, no 262; Laurent, t. VII, no 10. t. IV, p. 390 et s.; Rolin, t. I, nos 363 et s. La solution que nous indiquons au texte se trouve implicitement consacrée par la loi d'introduction au Code civil allemand (art. 12), avec cette réserve que si l'auteur de l'acte illicite est un Allemand, son obligation est limitée à la mesure fixée par la loi allemande ; elle est aussi expressément adoptée par la loi japonaise du 15 juin 1898 (art. 11), mais en aucun cas la victime de l'acte illicite ne peut réclamer, s'il a été commis à l'étranger, d'autres dommages-intérêts que ceux que la loi japonaise lui accorderait; il ne peut en réclamer aucun si l'acte n'est pas considéré comme illicite par cette dernière loi. Le projet de titre préliminaire du Code civil belge propose aussi d'appliquer aux obligations résultant des délits civils et des quasi-délits la loi du lieu où le fait s'est passé (art. 8).

(1) Loi japonaise du 15 juin 1898 (art. 11). Projet de titre prélimi-naire du Code civil belge (art. 8).

(2) Surville et Arthuys, n° 262; Despagnet, n° 321; Weiss, t. IV, p. 387; Rolin, t. I, no 358.

(3) Weiss, t. IV, p. 388; Despagnet, no 321; Laurent, t. VIII, no 4. Avant projet de revision du Code civil belge, article 17. Contra, Surville et Arthuys, n° 262.

tion de la loi étrangère est elle alors obligatoire pour le juge? Comment se fait la preuve de ses dispositions? Sa violation donne-t-elle lieu au recours en cassation? Trois questions auxquelles nous allons répondre.

408.

- I.

FORCE OBLIGATOIRE DE LA LOI ÉTRANGÈRE. - L'application de la loi étrangère est obligatoire pour le juge français: d'abord, cela est évident, lorsqu'elle est ordonnée par un texte formel de la loi française, comme les articles 47, 170 et 999, relatifs à la forme d'actes reçus en pays étranger. Mais elle est également obligatoire, lorsque, à défaut de texte, elle est commandée par les principes du droit international privé : le juge, en effet, qui doit statuer, même dans le silence de la loi, est obligé de se décider d'après les règles de la raison.

II.

PREUVE DE LA LOI ÉTRANGÈRE.

406. Si le juge est tenu d'appliquer la loi étrangère, une difficulté se présente il connaît nécessairement la loi française, mais il n'en est pas de même des lois étrangères. Comment donc la preuve en sera-t-elle faite?

D'après une opinion que paraît adopter la jurisprudence française, l'existence et l'application d'une loi étrangère serait, pour le juge, une pure question de fait (1); d'où il résulterait :

1° Que c'est à la partie qui l'invoque d'en faire la preuve, comme de tout autre fait qu'elle allègue en sa faveur (2).

2° Que, faute par elle de faire cette preuve, elle succombe dans sa prétention. Le juge n'étant point obligé de vérifier d'office l'existence et les dispositions de la loi étrangère, pas plus que tout autre fait invoqué par les parties, pourrait appliquer sa propre loi nationale (3).

(1) Fœlix, t. 1, n° 18; Westlake, Private international law, §§ 334, 335.

(2) Pau, 14 février 1882, Sir. 84, 2, 129; Paris, 26 janvier 1888, Clunet, 1888, 390; Paris, 15 mars 1899, Clunet, 1899, 794; 15 mai 1900, Clunet, 1902, 822; Cass. Florence, 20 février 1890, Clunet, 1893, 630; Gênes, 11 décembre 1893, Clunet, 1899, 191; 10 décembre 1894, Sir. 96, 4, 9; Haute-Cour d'Angleterre, division du banc de la Reine, 5 février 1891, Clunet, 1891, 257; Circuit court of appeals (EtatsUnis), 23 mars 1900, Clunet, 1900, 1018.

(3) Pau, 14 février 1882, précité; Paris, 15 mars 1899 et 15 mai 1900,

Ni les principes, ni la conclusion ne me paraissent admissibles.

Il n'est pas exact que l'existence de la loi étrangère soit un pur fait pour le juge français. Dès lors que son application est obligatoire, elle constitue une question de droit.

Il est vrai que, s'il y a quelque doute sur l'existence ou l'interprétation de la loi étrangère, celui qui l'invoque en sa faveur doit faire la preuve. Le document le plus probant qui puisse être invoqué est le texte même de la loi (1); on y joindra les décisions de la jurisprudence étrangère, fort importantes pour former la conviction du juge français. On consultera aussi les avis des jurisconsultes étrangers (2).

Mais, si la partie qui invoque la loi étrangère doit en administrer la preuve, il n'en faut pas conclure que le juge ne soit pas tenu de s'en enquérir, même d'office. L'application de la loi étrangère est obligatoire pour le juge français il ne peut se refuser à la faire, sous prétexte qu'il n'est pas assez éclairé. Si les indications des parties sont insuffisantes, il est tenu de se procurer à lui-même la connaissance nécessaire pour asseoir son jugement (3).

407. — III. - RECOURS EN CASSATION. - Lorsque le juge n'a pas appliqué, ou a faussement appliqué la loi étrangère, le recours en cassation est-il admissible?

précités ; Haute-Cour d'Angleterre, division du banc de la Reine, 3 février 1891, précité; Circuit court of appeals (Etats-Unis), 23 mars 1900, précité.

(1) Il ne suffirait pas d'une copie manuscrite de la loi dont rien n'établirait l'origine et ne garantirait l'authenticité. Bordeaux, 1er mars 1889, Clunet, 1892, 990.

(2) L'interprétation donnée par les tribunaux ou les jurisconsultes étrangers n'est cependant pas obligatoire pour les tribunaux français. Montpellier, 28 janvier 1895, Clunet, 1895, 618.

-

(3) Weiss, t. III, p. 167; Despagnet, n° 19; Surville et Arthuys, n° 28; Brocher, t. I, no 51, p. 153; Laurent, t. II, no 269; Rolin, t. I, n° 519; Fiore, t. I, n° 261; De Bar, Theorie und Praxis, t. I, nos 37 à 39. Le Code de Procédure civil allemand (§ 293) admet la même solution, en autorisant le juge à ordonner toutes les mesures qui lui paraîtront nécessaires pour s'éclairer sur les règles du droit étranger. Trib. de l'Empire allemand, 23 mars 1897, Clunet, 1900, 634; 15 mai 1899, Clunet, 1900, 376; Trib. suprême de Bavière, 2 juillet 1898, Clunet, 1900, 162.

Dès lors que l'application de la loi étrangère est obligatoire pour le juge, la sanction de cette obligation devrait être la même que pour la loi française, et le recours en cassation devrait être ouvert dans les deux cas. Cependant, la jurisprudence constante de la Cour suprême se prononce en sens contraire. Elle a maintes fois jugé que le pourvoi ne peut être adinis en raison de la violation d'une loi étrangère, à moins qu'elle n'ait eu pour conséquence la violation de la loi française elle-même (1). Cette solution, peu rationnelle en elle-même, nous paraît exacte au point de vue du droit positif. La Cour de cassation n'a d'autre compétence que celle que lui confère la loi française, et cette loi énumère limitativement les cas où le pourvoi en cassation est admis: la violation d'une loi étrangère n'y figure pas. Le décret du 27 novembre 1790 (art. 3) range parmi les causes de cassation: « la contravention expresse au texte de la loi ». Il s'agit ici, évidemment, de la loi française le législateur, à cette époque surtout, n'a pas prévu l'application des lois étrangères (2).

Le juge est donc tenu d'appliquer ces lois, sans que leur

(1) V. comme arrêts les plus récents: Cass. 29 avril 1885, Sir. 86, 1, 118; 18 mai 1886, Sir. 86, 1, 243; 15 juillet 1889, Clunet, 1889, 835; 26 février 1890, Sir. 93, 1, 126; 10 février 1892, Clunet, 1892, 988; 23 novembre 1892, Sir. 94, 1, 441; 12 février 1895, Sir, 96, 1, 401; 23 décembre 1893, Clunet, 1897, 555; 22 juin 1901, Clunet, 1901, 979; Cass. 27 juillet 1903, Clunet, 1904, 394; 18 juillet 1904, Clunet, 1904, 919. · La jurisprudence étrangère se prononce généralement dans le même sens. V. notamment : Cass. belge, 9 mars 1882, Sir. 82, 4, 17; 16 mai 1889, Clunet, 1889, 890; 23 mai 1889, Clunet, 1889, 891; 4 juin 1891, Sir. 93, 4, 9; Cass. des Pays-Bas, 24 juin 1898, Clunet, 1902, 177; Cass. Florence, 25 avril 1881, Sir. 84, 4, 21. L'art. 549 du Code de Proc. civ. allemand n'admet le pourvoi en revision que pour violation d'une loi de l'Empire. Trib. de l'Empire, 26 septembre 1885, Clunet, 1886, 606; 6 mai 1892, Clunet, 1893, 422; 15 février 1901, Clunet, 1901, 578.

(2) Aubry et Rau (5° édit.), t. I, p. 153; Despagnet, no 20; Laurent, t. II, n° 281; Brocher, I, p. 154; Asser et Rivier, no 14 Contra, Weiss, t. III, p. 177; Surville et Arthuys, n° 28; de Vareilles-Sommières, t. II, p. 1106 et s.; A. Colin, Du recours en cassation pour violation de la loi étrangère, Clunet, 1890, 406; Pillet, notes, Sir. 93, 4, 9; 95, 1, 449; 99, 1, 177; Rolin, t. I, no 507 et s.; Fiore, t. I, no 273; de Bar, Theorie und Praxis, t. I, nos 39 et s.

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