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devient-il Français que pour l'avenir, ou bien sera-t-il réputé l'être depuis sa naissance?

Suivant une opinion, la nationalité française ne serait acquise que pour l'avenir. Ce système serait, en effet, le plus simple; il échapperait aux complications, inévitables avec la rétroactivité, fiction contraire à la réalité des choses; il aurait de plus le mérite de mettre l'harmonie entre deux textes, qu'il est sans cela bien difficile de concilier : l'article 8, 4° et l'article 9, § 9. L'étranger né en France ne pourrait jamais acquérir la nationalité française que pour l'avenir de plein droit, s'il est domicilié en France; par une déclaration expresse, au cas contraire. Il peut de plus l'acquérir par anticipation, pendant sa minorité, au moyen d'une déclaration formelle (1).

Nous croyons, cependant, que ce système n'est conforme ni au texte, ni à l'esprit de la loi.

Aux termes de l'article 8, 4o, est Français tout individu qui, à l'époque de sa majorité, est domicilié en France; cela équivaut à dire qu'il est Français s'il est domicilié en France, c'est-à-dire sous condition suspensive. Or, suivant la règle générale, la condition suspensive accomplie a un effet rétroactif. Aussi, l'article 8 range-t-il évidemment cet individu parmi les Français de naissance et l'article 20, qui indique les diverses hypothèses où la qualité de Français n'est acquise que pour l'avenir (art. 9, 10, 18 et 19) ne vise point celle qui nous occupe. Il est difficile de voir là un oubli. L'article 9, relatif aux étrangers qui réclament à leur majorité la qualité de Français, ne figurait pas primitivement dans l'énumération de l'article 20; il y a été ajouté par la loi nouvelle, pour trancher une controverse. Si l'on avait voulu appliquer aux étrangers domiciliés la même règles qu'aux étrangers non domiciliés et ne conférer aux uns et aux autres la nationalité française que pour l'avenir, ou bien le même article 9 aurait prévu les deux cas, ou bien l'article 20 eût renvoyé à l'article 8 comme à l'article 9. Enfin, plusieurs passages des travaux préparatoires ma

(1) Huc, Commentaire théorique et pratique du Code civil, t. I, no 294; Lesueur et Dreyfus, p. 164; Rouard de Card, p. 163; Campistron, no 145; Geouffre de Lapradelle, p. 298; Stemler, Clunet, 1890, 363; Gruffy, Clunet, 1894, 480; Despagnet, no 128, p. 260.

nifestent en ce sens la volonté du législateur. « Quant à celui qui est né en France d'un étranger qui n'y est pas lui-même né, la qualité de Français lui appartient de par sa naissance sur notre sol. » (1) « Le principe du projet est que tout individu né en France est Français. » (2) Cela ne veut pas dire, sans doute, qu'il est Français dès l'instant de sa naissance, mais cela signifie au moins qu'il doit être réputé Français de naissance, lorsque la condition qui tenait en suspens sa nationalité est accomplie. La Cour de cassation s'est prononcée dans ce dernier sens. (3)

44. Cette rétroactivité produit, entre autres, les conséquences suivantes : l'état et la capacité de l'individu né et domicilié en France seront considérés comme ayant été régis, pendant sa minorité, par la loi française; le mariage qu'il aura contracté à cette époque sera valable, s'il a satisfait aux conditions de la loi française, même s'il a violé celles de la loi étrangère; la femme étrangère, qu'il aura épousée, sera devenue Française; — ses enfants seront Français d'origine.

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48. C. Abdication de la nationalité française. L'étranger né en France, domicilié dans ce pays à sa majorité, est Français de plein droit, mais sous condition résolutoire : « à moins que, dans l'année qui suit sa majorité,... il n'ait décliné la qualité de Français. »

Le décret réglementaire du 13 août 1889 (art. 11) décide que les représentants légaux de l'étranger né en France. peuvent, pendant sa minorité, renoncer en son nom et par anticipation au droit de décliner, à la majorité, la nationalité française; mais la loi de 1889 n'avait prévu nulle part cette renonciation; le pouvoir exécutif avait usurpé sur les attributions du législateur, en donnant au père ou

(1) Rapport de M. A. Dubost à la Chambre des députés. Officiel, Documents parlementaires, 1887, session extraordinaire, p. 231. (2) Discours de M. M. Lecomte à la Chambre : Séance du 16 mars 1889.

(3) 24 juillet 1899, Dal. 1901, 1, 547; Aubry et Rau (5° éd.) t. I, p. 363, texte et n. 11; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, t. I, n° 411; Weiss, t. I, p. 165; Surville et Arthuys, no 391; Vincent, n° 39 (Lois nouvelles, 1889, 1, 759).

au tuteur un pouvoir qu'il n'a pas. On ne s'expliquerait pas, d'ailleurs, comment le mineur pourrait renoncer d'avance à décliner une nationalité qui ne lui appartient pas encore (1). La loi de 1905 sur le recrutement a cependant consacré la solution admise par le décret de 1889. Lorsque les parents ont renoncé au nom du mineur à la faculté qu'il avait de décliner la nationalité française, il doit participer aux opérations du recrutement avec la classe à laquelle il appartient par son âge (art. 14): c'est donc que cette renonciation l'a rendu définitivement Français. Ainsi, en croyant peut-être appliquer une règle déjà existante, la loi sur le recrutement lui a, en réalité, donné pour l'avenir la force légale qui, à notre avis, lui faisait jusque-là défaut.

Au reste, avant la loi de 1905, la question n'avait guère qu'un intérêt théorique pour l'enfant né en France d'un étranger qui n'y était pas né. En pratique, la renonciation à la faculté de décliner la qualité de Français n'était jamais isolée; elle était jointe à la réclamation de cette nationalité que l'article 9, § 10, autorise les parents à faire pour le mineur, et celui-ci, devenu Français, en vertu de cette réclamation, l'était aussi d'une façon définitive, et, quelle que fût la valeur de la renonciation, il avait perdu le droit de décliner cette nationalité (2).

La solution adoptée par la loi sur le recrutement offre, au contraire, un grand intérêt dans l'hypothèse prévue par la loi du 22 juillet 1893, c'est-à-dire pour l'enfant né en France d'une mère qui y est née. Celui-ci est Français de naissance; il ne saurait donc être question de réclamer pour lui, pendant sa minorité, une nationalité qui est déjà la sienne. Il était cependant utile que cet individu pût faire défaillir, avant sa majorité, la condition résolutoire qui affectait chez lui la qualité de Français, afin, par exemple, de s'enrôler dans l'armée ou d'entrer dans les écoles du gouvernement. La chancellerie admettait que ses pa

(1) L'illégalité de l'art. 11 du décret du 13 août 1889 est généralement admise dans la doctrine: Baudry-Lacantinerie et HouquesFourcade, t. I, no 404; Weiss, t. I, p. 169; Gérardin p. 159 et s.; Surville. De la nationalité des enfants nés sur le sol français de parents étrangers; Clunet, 1893, 687. V. aussi Aubry et Rau, 3o éd., t. I, p. 371-372, n. 36; Lesueur et Dreyfus, p. 154.

(2) Infrà, no 79.

rents pouvaient renoncer en son nom au droit de décliner la nationalité française (1); mais, pour les raisons que nous avons dites, rien n'était plus contestable que cette décision (2). Elle sera désormais, croyons-nous, indiscutable (3). A quelles conditions est soumise l'abdication de la nationalité française? Quels en sont les effets?

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46. a) Conditions. 1° Cette abdication résulte d'une déclaration expresse, reçue, en France, par le juge de paix, à l'étranger, par les agents diplomatiques ou consulaires français.

2o Elle doit être faite dans l'année qui suit la majorité, telle qu'elle est réglée par la loi française. Cependant, lorsqu'il s'agit d'un individu du sexe masculin, cette année ne lui est pas laissée tout entière. Il est inscrit sur les listes du recrutement dans le cours de cette même année qui suit sa majorité, et c'est au moment de sa comparution devant le conseil de révision qu'il doit réclamer la qualité d'étranger, en faisant les justifications que nous allons indiquer. S'il s'en abstient, il accepte par là même la nationalité française et renonce dès lors au droit de la décliner. La loi cependant ne le dit pas expressément. L'article 9, § 11 du Code civil: « Il devient également Français si, ayant été porté sur le tableau de recensement, il prend part aux opérations du recrutement sans exciper de son extranéité » s'applique à des individus non domiciliés en France et qui ne deviennent Français que par une déclaration formelle; mais sa formule est assez large pour s'appliquer même à un individu domicilié en France et Français de plein droit; sans doute, il ne devient pas Français, puisqu'il l'est déjà, mais il le devient d'une façon définitive en perdant le droit d'abdiquer cette nationalité. Du reste, si, en prenant part aux opérations du recrutement, un étranger devient Français, à bien plus forte raison un individu,

(1) Circulaire du 28 août 1893, § 6 et déclaration modèle n° 7 en vue de renoncer à se prévaloir de la qualité d'étranger. Lois nouvelles, 1894, 1, 58 et 60.

(2) Elle avait été condamnée, avec raison, croyons-nous, par un arrêt de la cour d'Alger, 27 avril 1904; Clunet, 1904, 929.

(3) Trigant-Geneste, Revue de droit international privé, 1903, p.

déjà Français sous condition résolutoire, doit-il faire défaillir cette condition et rendre irrévocable en lui la qualité de Français (1).

3° L'individu qui décline la nationalité française doit prouver qu'il a conservé celle de ses parents par une attestation en due forme de son gouvernement. Il sera parfois difficile de satisfaire à cette exigence, faute d'autorité étrangère compétente pour délivrer l'attestation dont parle la loi. D'après un avis du Conseil d'Etat, elle devrait être demandée aux agents diplomatiques étrangers, de préférence aux agents consulaires (2). Un arrangement est intervenu entre la France et l'Angleterre pour arrêter les termes du certificat qui sera fourni à ses nationaux par le ministre de l'intérieur anglais (3).

4° Cet individu doit produire, s'il y a lieu, un certificat constatant qu'il a répondu à l'appel sous les drapeaux conformément à la loi militaire de son pays. Il ne faut pas que les étrangers nés et résidant en France puissent échapper au service militaire, tout à la fois, en France et au lieu de leur origine. Mais cette preuve ne sera pas exigée si leur loi nationale ne les soumet pas au service militaire (4).

5° La déclaration doit être, à peine de nullité, enregistrée au ministère de la justice. L'enregistrement peut être refusé, si les conditions requises pour l'abdication de la nationalité française n'ont pas été remplies; mais l'intéressé peut se pourvoir devant les tribunaux judiciaires, seuls compétents pour statuer sur l'état des personnes. (Loi du 22 juillet 1893. C. civ. art. 9).

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47. b) Effets. La déclaration régulière, accompagnée des justifications requises, fait perdre à l'individu né en France la qualité de Français, non seulement pour l'ave

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(1) Sic Aubry et Rau (5° éd.) t. I, p. 366, texte et n. 19; Lesueur Dreyfus, p. 238 et s.; Cogordan, p. 97; Campistron, no 102; Rouard de Card, p. 197; Geouffre de Lapradelle, p. 263; Despagnet, n° 128 in fine. Contrà Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, t. 1. no 405, et Weiss, t. I, p. 173.

(2) Clunet, 1891, 133 (Questions et solutions pratiques).

(3) Clunet, 1892, 1243 et s.; 1903, 235 et s.

(4) Cf. formule du certificat délivré, en Angleterre, par le ministre de l'intérieur. Clunet, 1903, 236 et 237.

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