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577. Nous ne méconnaissons pas la valeur des raisons invoquées à l'appui du système que nous venons d'exposer: elles ne suffisent pas, cependant, à notre avis, pour lui assurer la préférence. De ce que la loi nationale du mari règle, en principe, les effets du mariage, il n'en résulte pas qu'elle doive forcément déterminer le régime matrimonial. La loi qui règle, relativement aux personnes, les effets du mariage est rigoureusement obligatoire pour les époux; ils peuvent, au contraire, déterminer à leur gré les effets de leur union relativement à leurs biens. Ces conséquences du mariage diffèrent donc profondément les unes des autres; elles ne sont pas de même nature et ne doivent pas être nécessairement soumises à la même loi.

Il est vrai que, lorsque le contrat de mariage est annulé, on ne peut expliquer par une convention tacite l'établissement du régime légal. Mais c'est là une situation exceptionnelle. Dans l'hypothèse normale où les époux n'ont fait aucun contrat, il est difficile de contester qu'ils aient volontairement adopté le régime légal, en ce sens du moins qu'ils se sont volontairement abstenus d'y rien changer. Dès lors, en cas de doute, il est rationnel de tenir compte de cette volonté.

Si, d'ailleurs, l'idée d'une convention tacite est, à certains égards, contestable, l'application forcée de la loi nationale du mari ne soulève pas moins d'objections. Elle a cet inconvénient de soumettre la femme à une loi et par suite à un régime qu'elle ne connaît pas. Lorsque, par exemple, une Française épouse en France un étranger fixé dans ce pays et qui n'a conservé avec sa propre patrie que des relations rares et exceptionnelles, il ne vient généralement pas à la pensée de la femme que les effets de son mariage, relativement à ses biens, soient déterminés par une législation étrangère, qu'elle ignore et sur laquelle elle n'a guère de moyens de se renseigner, surtout dans la condi

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la loi du domicile conjugal (art. 40); mais cette loi, aux termes de l'article 1 du même traité, est précisément le statut personnel du mari. V. aussi, dans le même sens, la loi suisse du 25 juin 1891 (art. 31). toutefois la loi du domicile des époux ne s'appliquerait pas au régime matrimonial si elle renvoyait elle-même à la loi de la nationalité. · Savigny, t. VIII, § 379, se prononce aussi pour la loi du domicile du mari, à titre de statut personnel.

tion sociale où se trouvent, d'ordinaire, les personnes qui se marient sans contrat. L'application du régime matrimonial établi par la loi nationale du mari risquerait alors d'être une surprise pour la femme et pour les tiers.

En outre, si le régime des biens dépend forcément de la loi nationale des époux, qu'arrivera-t-il s'ils changent de nationalité au cours du mariage? C'est un point sur lequel nous insisterons plus loin; mais il est facile d'apercevoir l'alternative où l'on se trouve placé : ou bien le régime changera avec la nationalité, ce qui est un grave inconvénient et une source de complications pour les conjoints et pour les tiers; ou bien, au contraire, le régime établi par la loi à laquelle les époux étaient soumis lors de la célébration du mariage, subsistera pendant toute sa durée; et alors il n'est pas exact que la loi qui régit l'union personnelle des conjoints doive aussi régir leur association pécuniaire.

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578. Nous croyons donc devoir admettre, avec la jurisprudence française, que le régime matrimonial dépend de la loi tacitement choisie par les époux, sans dissimuler que ce système laisse le régime matrimonial dans l'incertitude, peut être pendant tout le temps du mariage. Il serait facile, d'ailleurs, de corriger ce défaut; il suffirait au législateur d'obliger les époux, quand l'un d'eux se marie hors de son pays, à déclarer devant l'officier de l'état civil, qui en ferait mention dans le contrat de mariage, la loi à laquelle ils entendent soumettre le régime de leurs biens. Faute de cette déclaration, ils seraient soumis au régime qui est de droit commun dans le pays où le mariage est célébré (1).

II.

Deuxième hypothèse: Les époux ont fait un contrat de mariage.

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579. Nous devons rechercher la loi applicable, au triple point de vue : 1° des conditions du contrat; 2° de la liberté des conventions matrimoniales; 3° du régime adopté.

(1) Weiss, t. III, p. 555; Laurent, t. V, n° 203.

880. A. Conditions.

1o Capacité. – Il suffit de renvoyer aux règles générales. Elle est régie par la loi nationale de chacun des futurs époux (!).

$81. 2° Formes. Le contrat est valable en la forme lorsqu'il a suivi celle du pays où il est fait: Locus regit actum.

Les Français peuvent donc faire, à l'étranger, leur contrat de mariage par acte authentique, avec les formalités prescrites par la loi du pays (2), ou même par acte sous seing privé, si cette loi le permet; la règle locus... s'applique, en effet, même aux actes solennels (3).

Ils peuvent également faire leur contrat devant les consuls de France, suivant les formes de la loi française. Mais le ministère des consuls est toujours facultatif. Nous avons dit précédemment qu'il n'est même pas obligatoire dans les Echelles du Levant (4).

A moins de recourir à l'intervention des consuls, les Français ne peuvent faire leur contrat dans les formes de leur loi nationale, lorsqu'elles diffèrent de la loi locale: la loi française exige, en effet, un acte authentique et, pour ces actes, l'application de la loi du pays où ils sont faits est obligatoire.

582.

Les étrangers peuvent, en France, faire leur contrat de mariage de trois façons :

1° Devant un notaire, suivant les formes de la loi française.

2o Devant le consul de leur nation et suivant les formes de leur loi nationale, si cette loi ou les traités les y autorisent.

(1) Projet de convention de La Haye (art. 3).

(2) Cass. 12 juin 1853, Sir. 56, 1, 20.

(3) Paris, 11 mai 1816, Sir. 17, 2, 10; 22 novembre 1828, Sir. 29, 2, 77; Cass. 18 avril 1863, Sir. 65, 1, 317; Aubry et Rau, t. V, p. 248; Guillouard, Contrat de mariage, t. I, nos 333-335; Weiss, t. III, p. 536 ; Despagnet, no 330. Projet de convention de La Haye (art. 6). Suivant le même article, le contrat est encore valable s'il a été fait conformément à la loi nationale de chacun des époux ; mais si la loi nationale de l'un d'eux exige, pour la validité du contrat, qu'il soit fait, même en pays étranger, dans une forme déterminée, ses dispositions devront être observées.

(4) Cass. 18 avril 1863, précité.

3o Par acte sous seing privé, lorsque leur loi nationale le permet. L'observation de la loi locale n'est pas obligatoire pour tous les actes que les parties peuvent, d'après la loi de leur pays, faire sous seing privé (1).

583. 3o Publicité. a) Publicité exigée pour tous les contrats par la loi du 18 juillet 1850. Les mesures de publicité, prescrites pour qu'un acte soit efficace à l'égard des tiers, sont considérées comme d'ordre public: elles sont donc régies par la loi du pays où l'acte doit produire ses effets et s'imposent même aux étrangers. Cela est également vrai, en principe, pour la publicité du contrat de mariage. Toutefois cette publicité, telle que la loi française l'a organisée, est inséparablement liée aux formes du contrat et à celles de la célébration du mariage. Il ne sera donc possible de l'exiger que si le contrat a été fait, ou tout au moins si le mariage a été célébré, suivant la loi française.

884. a) Un Français se marie en pays étranger. Il se marie devant le consul de France. Le consul, astreint à observer toutes les formalités de la loi française, doit alors interroger les époux sur l'existence d'un contrat et mentionner leur réponse dans l'acte de célébration du mariage, soit que le contrat ait été reçu par lui-même ou par un officier public étranger. La loi de 1850 doit alors être respectée, et sa sanction est la même que si le contrat était fait et le mariage célébré en France (2).

Le Français se marie devant un officier étranger. Dans ce cas, par la force des choses, l'observation de la loi française est impossible. L'officier étranger ne suit que les formes prescrites par sa loi nationale; il n'est pas tenu, si cette loi ne le lui impose pas, de mentionner l'existence du contrat dans l'acte de mariage. Le contrat est donc

(1) Douai, 13 janvier 1887, Sir. 90, 2, 148; Weiss, III, p. 537; Despagnet, no 330. Projet de convention de La Haye, art. 6, précité. (2) Comp. Guillouard, Contral de mariage, t. I, n° 335; Weiss, t. III, p. 337; Despagnet, no 330. D'après ces auteurs la loi de 1850 ne s'appliquerait que si le contrat de mariage avait été reçu par le consul de France, mais non pas s'il avait été rédigé suivant les formes de la loi étrangère.

alors nécessairement efficace en France, sans avoir reçu de publicité (1).

Cependant, après leur retour en France, les époux doivent faire transcrire l'acte de leur mariage sur les registres de l'état civil, au lieu de leur domicile. Si cette transcription a lieu, les tiers s'apercevront que l'acte ne mentionne pas d'interrogation relative au contrat, et cette lacune suffira à les mettre en garde; mais le défaut de transcription n'empêcherait pas le contrat, avec toutes ses conséquences, de leur être opposable, car l'article 171 n'a pas, croyons-nous, de sanction.

Il se peut que la loi du pays où le mariage a été célébré exige, pour la publicité du contrat, d'autres formalités que la loi française : si elles n'ont pas été remplies, le contrat sera néanmoins efficace en France. Il n'y a pas de raison pour s'écarter ici de la règle générale, d'après laquelle les conditions de publicité sont régies par la loi du lieu où l'acte produit ses effets (2). Toutefois, si la loi étrangère prescrit les mêmes formalités que la loi française, on devra les remplir, sinon en vertu de la loi étrangère, du moins en vertu de la loi française, puisqu'aucune impossibilité ne dispense alors de l'observer.

888. Il se maB) Un étranger se marie en France. rie devant le consul de sa nation. Celui-ci, qui suit les formes de sa loi nationale, n'est pas tenu de mentionner le contrat dans l'acte de mariage. La loi française ne peut donc s'appliquer, et le contrat est efficace, même s'il n'a pas reçu la publicité qu'elle exige (3).

L'étranger se marie devant l'officier de l'état civil français. Celui-ci doit interroger les conjoints sur l'existence du contrat et mentionner leur réponse dans l'acte. Si le contrat a été reçu par un consul étranger ou fait par acte sous seing privé, on se trouve quelque peu en dehors des prévisions de la loi de 1850: elle suppose un contrat reçu par un notaire

(1) Rennes, 4 mars 1880, Sir. 81, 1, 265; Surville et Arthuys, no 363. (2) Cass. 5 juin 1855, Sir. 56, 1, 20.

(3) Douai, 13 janvier 1887, Sir. 90, 2, 148; Chausse, Examen doctrinal, Revue critique, 1887, p. 282; Beauchet, Observations sur la rédaction des conventions matrimoniales entre étrangers se mariant en France, Clunet, 1884, 41.

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