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présence de ces hommes « qui, dans leur égoïsme, préfèrent d'être étrangers partout ».

Ces raisons ne sont pas décisives. Si les particuliers ont le droit d'exister et, pour cela, de changer, au besoin, de patrie, les Etats ont aussi le droit et le devoir d'assurer leur existence et leur conservation et, pour cela, d'écarter tout ce qui est susceptible de leur nuire. Or l'admission d'un étranger au nombre de ses citoyens peut être, pour un État, un embarras ou même un danger. Parfois l'étranger qui vient se fixer dans un pays n'a pas de ressources régulières et tombe bientôt à la charge de l'assistance publique; parfois même il demande au crime ses moyens d'existence, ou bien il a été condamné dans sa propre patrie; il y aurait alors de graves inconvénients à lui permettre d'acquérir, par une résidence plus ou moins prolongée, la nationalité du pays où il s'est établi. Ce sont là, sans doute, des hypothèses exceptionnelles; le plus souvent, il n'y aura pas de raison pour refuser à l'étranger la naturalisation qu'il sollicite; l'intérêt de l'Etat lui conseillera même de l'accorder et de grossir ainsi le nombre de ses sujets on comprend donc qu'on rende faciles les conditions de la naturalisation et qu'on ne l'entoure pas d'entraves inutiles; mais l'État doit rester libre de l'accorder en connaissance de cause et de la refuser aux indignes.

Ainsi, le droit de changer de nationalité comporte une limite. Il est absolu à l'égard de l'État qu'on veut quitter; il est subordonné à l'adhésion de celui auquel on veut appartenir. Il faut, en effet, concilier les droits et les intérêts des individus avec ceux des États.

62. C.

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La loi ne doit pas permettre l'abdication pure et simple de la nationalité, ni en imposer la perte, à titre de peine ou de déchéance.

En effet, l'abdication pure et simple laisserait la personne sans nationalité. Il en serait de même de la déchéance pénale, qui, de plus, change contre son gré la nationalité de l'individu. C'est là, au surplus, une peine singulière. Elle prive, il est vrai, celui qu'elle atteint des droits inhérents à la nationalité, mais elle l'exempte aussi de ses charges. Peut-être, en dernière analyse, estimera-t-il n'avoir pas acheté trop cher cette exonération par la perte de certains droits civiques ou politiques. L'Etat veut-il se

réserver de le traiter comme un étranger et de l'expulser au besoin ? Mais un État n'a pas le droit d'exporter ainsi chez ses voisins les citoyens dont il veut se débarrasser. Nous verrons cependant que quelques législations étrangères autorisent l'abdication pure et simple de la nationalité elle n'a jamais été permise en France, mais notre ancien droit et le droit actuel ont toujours admis certaines déchéances de la qualité de Français.

SECTION II.

63.

Acquisition de la nationalité française.

La nationalité française est acquise: 1° Par la naturalisation proprement dite; 2° Par la réintégration; 3o Par une déclaration de nationalité; 4° Par le mariage d'une femme étrangère avec un Français. Dons les deux premiers cas, la nationalité française est librement concédée à l'étranger par le gouvernement, dans les deux autres elle lui est acquise de plein droit.

Nous allons, tout d'abord, rechercher à quelles conditions est subordonnée, dans ces trois hypothèses, l'acquisition de la nationalité française; nous en étudierons ensuite les effets, qui sont, à peu de chose près, les mêmes dans tous les cas.

Nous verrons enfin les règles spéciales aux colonies françaises et aux pays de protectorat.

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64.

La naturalisation, au sens large, est toute acquisition de la nationalité. Dans le sens précis du mot, c'est l'acquisition de la nationalité française en vertu d'une concession du gouvernement.

Depuis le décret de 1809, qui a mis fin au système suivi dans le droit intermédiaire, deux règles fondamentales dominent et résument les conditions de la naturalisation : 1o La naturalisation est une concession du Gouvernement;

2o L'étranger, pour être naturalisé, doit avoir résidé en France un certain temps.

L'application de ces principes a plusieurs fois varié, avec les diverses lois qui se sont succédé, notamment la loi du

11 décembre 1849 et celle du 7 juillet 1867. Nous croyons inutile de les analyser en détail. Il suffira d'iudiquer, chemin faisant, en quoi la loi actuelle leur ressemble et en quoi elle s'en écarte.

La loi du 26 juin 1889 a incorporé au Code civil, pour la plus grande partie, les dispositions relatives à la naturalisation. L'article 8, §5 en détermine les conditions; d'autres textes en règlent les effets. Au fond, pour attirer à la nationalité française un plus grand nombre d'étrangers, cette loi a facilité les conditions de la naturalisation, comme elle en a, ainsi que nous le verrons, étendu les effets.

Voici les conditions:

65. 1° Résidence en France. L'étranger, pour être naturalisé, doit avoir résidé en France pendant un temps déterminé. La résidence en pays étranger, pour l'exercice de fonctions conférées par le gouvernement français, équivaut à la résidence en France.

La durée de ce stage varie suivant les circonstances, plus ou moins favorables, où l'étranger se trouve placé. On doit d'abord distinguer suivant qu'il a été ou non autorisé à établir son domicile en France.

a) L'étranger n'a pas été autorisé à établir son domicile en France. Il peut alors être naturalisé, en justifiant d'une résidence non interrompue pendant dix ans (1).

Il n'est pas nécessaire que, au point de départ, l'étranger ait manifesté l'intention de s'établir en France; il lui suffit, au moment de sa demande de naturalisation, de produire des documents prouvant qu'il y a résidé pendant le temps voulu.

b) L'étranger a obtenu l'autorisation de fixer son domicile en France (2). D'après les lois de 1849 et de 1867, l'étranger, désireux de se faire naturaliser, devait d'abord obtenir cette autorisation; le domicile autorisé était le seul dont il fût tenu compte. La nouvelle loi a supprimé cette exigence, et avec raison : c'était une entrave inutile à la naturalisation. L'autorisation de domicile est un avantage pour l'étranger, on ne voit pas pourquoi on l'obligerait à la solli

(1) Ce délai se rencontrait également dans la constitution de l'an VIII et dans la loi de 1849.

(2) Sur l'autorisation de domicile, v. Code civ. art. 13 et infrà, n° 240.

citer. La demande en naturalisation et l'enquête qui la suit suffisent pourquoi renouveler deux fois la demande et l'enquête? Toutefois, cette autorisation est une garantie de plus; on s'explique donc que la durée de la résidence soit abrégée au profit de ceux qui l'ont obtenue.

La loi de 1889 reproduit, dans ce cas, avec quelques modifications, celle de 1867. En règle générale, l'étranger pourra être naturalisé après trois ans de domicile, à compter de l'enregistrement de la demande d'autorisation au ministère de la justice. Par exception ce délai sera réduit à un an: «) Au profit de l'étranger qui aura rendu à la France certains services déterminés, ou dont le séjour en France est considéré comme utile à l'intérêt général (1); 3) au profit de celui qui a épousé une Française.

66. 2 Capacité. Le législateur n'a pas indiqué la capacité nécessaire pour être naturalisé Français. La question se pose principalement pour les mineurs et les femmes mariées.

a) Mineurs. L'individu qui sollicite la naturalisation reste étranger jusqu'au moment où il l'a obtenue. Il appartient donc à sa loi nationale de déterminer dans quelle mesure il est capable de changer de nationalité. Sans doute, chaque État a le droit de subordonner aux conditions qu'il lui plaît l'acquisition de sa nationalité. La loi française peut donc très bien exiger une capacité qui ne serait pas nécessaire d'après la loi étrangère: décider, par exemple, que l'étranger, pour être naturalisé, devra être majeur, bien que sa loi nationale lui permette de changer de nationalité pendant sa minorité, ou fixer un âge au-dessous duquel, même majeur d'après la loi de son pays, il ne pourra cependant obtenir la naturalisation; mais jamais on ne devrait l'accorder à un individu incapable d'après sa loi nationale: autrement, en effet, il aura acquis sa nationalité nouvelle sans avoir perdu sa nationalité primitive, il en aura donc deux à la fois.

En d'autres termes, l'étranger, pour être naturalisé, doit satisfaire à la fois aux conditions de capacité requises par la loi de son pays et à celles qu'exige expressément la loi de

(1) V. le texte : Code civ. art. 8, § 5-3°.

l'État auquel il veut appartenir. Si cette loi n'en exige spécialement aucune, celles que détermine sa loi nationale, toujours nécessaires, seront aussi suffisantes; ce qui ne saurait, d'ailleurs, avoir d'inconvénient, l'État restant toujours libre de refuser la naturalisation.

La loi française garde le silence sur ce point. On reconnaît cependant unanimement que l'étranger, pour obtenir la naturalisation, doit être majeur.

Antérieurement à la loi actuelle, toutes celles qui se sont succédé exigeaient de l'étranger qui veut être naturalisé l'âge de 21 ans, c'est-à-dire la majorité, telle qu'elle est fixée par la loi française. Le texte, voté en première lecture par le Sénat, mentionnait encore expressément cette condition; elle a disparu entre les deux lectures, sans qu'on en ait dit la raison : nous ne croyons pas cependant qu'on ait voulu modifier la règle jusqu'alors suivie.

Jusqu'à la loi de 1889, le mineur était, dans tous les cas, incapable d'acquérir la nationalité française. La loi actuelle s'est, dans diverses hypothèses, écartée de ce système, mais, quand elle a voulu le faire, elle l'a dit expressément; elle a pris soin d'indiquer par qui et comment le mineur serait représenté. Nous ne trouvons rien de pareil pour la naturalisation et il est hors de doute que le mineur reste, comme par le passé, incapable de devenir Français, toutes les fois que la loi n'a pas dit le contraire. Nous ne ferons même pas, au profit du mineur émancipé, une exception qui serait cependant bien explicable, mais que la loi française n'a jamais admise.

Mais par quelle loi l'âge de la majorité sera-t-il fixé, par la loi du pays auquel l'étranger a jusque là appartenu, ou par la loi française? La première solution serait incontestablement la plus rationnelle et la loi ne l'a pas expressément repoussée (1). Nous ne la croyons pas, cependant, conforme à l'intention du législateur et elle n'aurait, sans doute, aucune chance d'être admise dans la pratique.

L'étranger sera réputé majeur à 21 ans. Il sera nécessaire qu'il ait atteint cet âge, même si, d'après sa loi natio

(1) V. en ce sens : Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, t. I, no 446; Cogordan, p. 132; Weiss, t. I, p. 310: Despagnet, no 139; Rouard de Card, p. 100; Gruffy, De l'unité de nationalité dans la famille, p. 177.

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