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No 2 a. Observations de MM. les députés de la ville de Mayence.

L'illustre Commission nommée pour régler la navigation du Rhin, ayant manifesté le désir de s'instruire à fond sur les véritables avantages ou défauts des établissements de station sur le Rhin, avant de proposer une décision définitive, les soussignés prennent la liberté de donner encore quelques éclaircissements à cet égard, et de répondre aux objections que l'on a faites.

I. Les stations et relâches forcées (dit-on) ne sont pas nécessaires à la sûreté de la navigation parce que rien n'empêche de descendre sans relâcher, de Bâle, par exemple, jusqu'en Hollande, et de remonter également.

Il est vrai qu'avec de petits bateaux, venant du Haut-Rhin, il est possible de descendre jusqu'en Hollande, sans qu'il soit nécessaire absolument de relâche. Mais ces bateaux ne pouvant être que d'une trèspetite capacité, ne seraient d'aucune utilité pour le commerce, car il faudrait, pour les transports un peu considérables, multiplier selon les différentes directions le nombre de ces petits bateaux, et éparpiller ainsi les cargaisons, ce qui, en retardant le départ, augmenterait nécessairement de beaucoup les prix du fret, particulièrement encore par la raison toute simple que tous ces bateaux ne trouveraient point de chargements de retour. C'est ainsi que si l'on voulait par exemple à Strasbourg mettre en chargement pour Mayence, pour Coblentz, pour Cologne et pour plusieurs ports de la Hollande, autant de bateaux qu'il y a de destinations, combien de temps ne faudrait-il pas pour compléter la cargaison de chacun? Combien de temps ne resteraient-ils pas dans le port, et quel fret faudrait-il payer, parce qu'il n'y aurait pas pour eux des chargements de retour?

Ce n'est donc pas la possibilité physique ou absolue de dépasser les lieux de station, qui peut faire envisager ces derniers comme superflus à la navigation du Rhin, quoique cette possibilité même soit encore très-restreinte, et dépende d'une infinité de circonstances particulières toujours renaissantes sur le Rhin, dont le batelier seul, qui en vertu de l'institution des stations ne parcourt que les mêmes distances, doit avoir une connaissance plus parfaite encore que le pilote lamaneur confiné en de certains endroits.

C'est au contraire le véritable intérêt du commerce qui rend la navigation nécessaire sur le Rhin. Ce commerce est notoirement pour la plupart commerce de commission et d'expédition. Des marchandises venant de tous les points du Rhin et de presque toute l'Allemagne par les rivières qui s'y jettent, sont transportées et dirigées vers autant de

destinations différentes. Mais ces transports pourraient-ils se faire avec ordre, avec cette sûreté et célérité et à des prix si modiques qu'ils se font depuis des siècles au moyen de cette sage et excellente institution des stations et des relâches forcées? C'est par elle seule que de tous ces points les marchandises arrivent bien plus vite à la station, puisque le batelier qui les y conduit, sûr de trouver un chargement de retour, n'a pas besoin d'attendre dans son port une cargaison pleine. Elles s'y rassemblent donc de toutes parts, et sont rechargées sur-lechamp dans un bateau prêt à partir, du bon état duquel on s'est préalablement assuré, et dont le conducteur doit posséder les qualités nécessaires pour avoir la confiance du commerçant.

La navigation en remontant le Rhin avec le même navire est encore plus difficile qu'à la descente, et presque impossible; à moins qu'elle ne se fasse avec des bateaux plus petits encore, ou en employant des bateaux d'allége, comme cela se pratique sur la route entre Mayence et Strasbourg. Mais qui ne voit pas que les frais de remonte seraient doubles nécessairement, tandis que par l'institution des stations et des relâches forcées on est à même d'employer des navires propres à chaque distance, et que les frais restent toujours les mêmes.

Il est donc vrai de dire que les stations et les relâches forcées sont nécessaires pour le bien du commerce et pour la sûreté de la navigation.

II. On prétend que la ville de Francfort, quand même les relâches forcées et les stations seraient conservées, doit en être exemptée et autorisée à descendre directement à Cologne.

Pour motif de cette assertion on allègue: 1° le droit que cette ville soutient lui appartenir à cet égard; et 2° qu'il serait contraire à l'intérêt du commerce de soumettre cette ville à la règle générale.

Quant au prétendu droit, on est persuadé qu'il n'en peut plus être question dans un moment où il ne s'agit que de discuter et de rechercher ce qui peut donner à la navigation commerçante un état solide et durable de prospérité pour tout l'avenir, sans s'arrêter à d'anciens droits ou prétentions quelconques. Mais s'il fallait néanmoins entrer en discussion à cet égard, il serait très-aisé de démontrer que la ville de Francfort n'a jamais eu ce droit, et l'on se réfère sous ce rapport aux mémoires imprimés de la députation de Mayence.

Quant au second motif que l'on rapporte, il est difficile de concevoir comment on a pu l'avancer. Si sous l'intérêt du commerce, auquel on prétend être contraire à la règle générale des stations, on entend celui de la ville de Francfort en particulier, ou plutôt de ses négociants expéditionnaires, alors il se peut très-bien que ceux-ci n'y trouvent pas tout à fait leur compte, parce qu'ils espèrent, au moyen d'une pareille exemption, attirer dans leur port l'expédition de toutes les villes du

Mein qu'une pareille exemption, en ne profitant qu'aux expéditionnaires francfortois, nuirait nécessairement au commerce en général, parce que la distraction de toutes ces cargaisons qui doivent se diriger dans le port de station, empêcherait le complétement du bateau en chargement à tour de rôle, et rendrait ainsi nulle l'institution des stations. Il est donc très-faux de dire que l'intérêt général du commerce souffrirait, en astreignant la ville de Francfort à se soumettre à la règle générale, tandis que ce n'est que dans la stricte exemption de la navigation par station que le commerce en général peut trouver la garantie de ses intérêts les plus chers, de la sûreté et célérité des transports, et de la modicité du prix du fret.

Que l'on examine, pour rendre la chose plus claire, avec impartialité la marche et la règle, d'après lesquelles s'exerce la navigation par station, et l'on se convaincra qu'il est difficile, sinon impossible, de remplacer cette belle institution par une autre qui présente les mêmes résultats. Toutes les marchandises du Rhin supérieur, du Neckar, du Mein, pour toutes les directions quelconques du Rhin inférieur, se dirigent vers le port de station de Mayence, qui est le centre pour la navigation d'amont et d'aval. Ces transports partiels se font bien vite dans les ports respectifs, parce que leurs conducteurs sont certains de trouver dans la station des chargements de retour. Ces marchandises, à leur arrivée dans le port de station, sont sur-le-champ rechargées dans le bateau qui, appelé par le tour de rôle, se trouve prêt à recevoir toutes ces différentes cargaisons. Il se complète donc nécessairement vite, et part pour l'autre station de Cologne sans délai, et ainsi de suite le second, le troisième bateau (selon l'exigence des quantités arrivées); les marchandises destinées pour les lieux intermédiaires entre ces deux stations sont chargées de la même manière dans les bateaux également en chargement pour ces directions à tour de rôle. La même chose s'exécute dans l'autre station à Cologne, à l'égard des marchandises dirigées sur le Rhin supérieur, et, tandis que celles venant à la descente y sont rechargées pour aller plus bas encore, cette station renvoie celles pour l'amont; et c'est ainsi que les bateliers de la première station reçoivent une cargaison pour le retour, et que ceux arrivés de différents ports, dans la première station, en reportent les marchandises qui y sont arrivées pour leurs ports respectifs,

Et c'est ainsi qu'il y a un mouvement régulier et continuel dans les transports, qui se font avec une célérité qu'il est impossible d'obtenir d'une autre manière. Les bateliers, de leur côté, si leur nombre n'est pas excessif, sont pendant toute l'année utilement employés; ils font constamment des transports en allant et venant, et peuvent par conséquent les faire à un prix de fret très-modique, ce qui ne pourrait pas avoir lieu sans cette navigation par station.

III. On oppose que la relâche forcée augmente les frais, et on se récrie particulièrement contre les frais de commission.

Cette objection en elle-même, si elle était vraie, ne serait pas assez importante pour faire supprimer les relâches forcées; car les frais ne sont rien en comparaison des avantages qui en résultent, et il n'est aucunement problématique que, sans cette institution, les transports et expéditions coûteraient encore davantage, sans y compter les retards, les avaries de tout genre sur une longue route, et l'arbitraire du commissionnaire et du batelier. Mais on n'a rapporté aucune preuve de l'objection que l'on fait. Il est, au contraire, très-aisé de faire, d'après l'article VIII de la Convention, le calcul de tout ce que peuvent coûter les relâches forcées. Les frais ne sont aucunement exorbitants, en proportion de l'avantage qu'ils procurent, et rien n'empêche de les modérer s'ils excèdent cette juste proportion.

Quant aux droits de commission, ceux-ci se perçoivent par l'expéditionnaire pour les déboursés du prix du fret qu'il avance, pour la surveillance qu'il doit employer lors du rechargement des marchandises, et pour la correspondance qu'il est obligé de tenir régulièrement. Mais ces frais ne sont pas considérables; ils se règlent d'après l'usage du commerce généralement reçu et consenti par les commerçants, et le commissionnaire francfortois les perçoit aussi bien et au même taux pour les commissions qu'il fait, et il les prendrait doubles, en proportion des expéditions directes, si l'exemption des relâches lui était accordée. Mais les propriétaires des marchandises, et ceux à qui elles sont adressées, ne s'étant jusqu'ici jamais plaints de la perception de ce droit de commission, on doit s'étonner justement que ce ne soit que les expéditionnaires de Francfort qui fassent une pareille plainte.

IV. On prétend que l'on pourrait, en laissant à la volonté de chacun de se servir des lieux de station et de relâche, établir néanmoins une police de navigation sur le Rhin.

Ce serait une de ces demi-mesures qui porterait le désordre à son comble, qui ferait qu'une anarchie complète s'organiserait peu à peu sur le Rhin.

On dit, parce qu'il n'est pas douteux que l'institution des stations et des relâches est réellement bonne en elle-même, qu'elle présente tous les avantages que le commerce peut désirer, il ne sera aucunement nécessaire de la prescrire pour règle générale, parce que l'on s'y conformera sans cela et sans y être contraint. »>

Mais cet argument n'est que spécieux; l'intérêt privé, les spéculations et le désir de s'attirer le plus de commissions possible, feront sans doute négliger les vues du bien général, et les efforts que la ville de Francfort se donne pour se faire exempter de la règle générale prouvent

assez qu'il ne faut pas supposer que l'on se conformerait volontairement à une mesure établie pour le bien de tous.

Si donc une partie se conforme aux relâches dans les lieux de station, tandis que l'autre ne le fait pas, pourrait-on douter encore que le plus grand désordre n'en résultera pas nécessairement? Car il n'y aura plus dans les stations de versements suffisants pour compléter aussi vite qu'auparavant la cargaison du bateau appelé au chargement à tour de rôle. Les transports languiraient; les stations, ne pouvant plus assurer les mêmes avantages, seront désertes; les bateliers se disperseront. L'on fera des entreprises de transports; des contrats d'assurance, devenus nécessaires alors, augmenteront les frais. Une désorganisation complète enfin sera à l'ordre du jour, et le commerce cherchera alors autant que possible à éviter la route du Rhin qui aura perdu tout son crédit.

Et quelle police générale ou centrale voudrait-on introduire à la place de celle existante qui puisse remédier à cette anarchie? La navigation, par la suppression des lieux de station et de relâche forcée devenue libre, ne saurait plus être assujettie à une règle quelconque qui génât cette liberté et augmenterait la confusion. En vain croira-t-on pouvoir établir, par des lois réglementaires pour les bateliers, ou par le maintien de leurs associations, une police; on se tromperait fortement, parce que celle-ci ne serait toutefois que pour les corporations des bateliers, tandis qu'elle ne contribuerait en rien au maintien d'un bon ordre dans les transports qui, d'après le principe d'une liberté absolue, doivent se faire librement; elle ne pourrait rien faire ni pour la sûreté, ni pour la célérité, ni pour la modicité du prix de fret, puisque sans le maintien des lieux de station et des relâches forcées, il n'y aurait aucun point central d'où une surveillance générale puisse être dirigée. Une telle police devrait être ambulante et ne parviendrait à aucun but. — Comment surveillerait-elle la sûreté des transports, lorsqu'il est libre. de charger comment et où l'on voudra? De quelle manière apporteraitelle de la célérité dans les transports, lorsqu'il ne dépend aucunement d'elle de faire rassembler les marchandises qui, au contraire, se dirigeront isolément et librement? Comment procurera-t-elle enfin la modicité du fret, tandis que les stipulations du prix ne peuvent être qu'un objet de transaction particulière entre le batelier et le commerçant ; parce que celui-ci, ne pouvant pas être obligé de donner ses marchandises, doit aussi être le maître de stipuler le fret. Mais les bateliers ne recevant pas, comme par le passé, des chargements de retour et étant obligés d'employer un temps plus long à compléter leur cargaison, ne peuvent plus accorder comme auparavant des prix modiques; ou si le désir de composer une cargaison fait qu'un particulier pauvre accorde un prix modéré, c'est alors que l'expéditionnaire moins délicat partage

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