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ne peuvent pas agir fur notre efprit: donc ils ne font pas vifibles: donc ils ne peuvent être connus par notre efprit. C'eft le fophifme que les Logiciens apellent à dicto fecundum quid ad dictum fimpliciter.

Il ne me reste plus qu'à dire un mot fur une autre équivoque du mot d'intelligible, afin que l'on puiffe juger fi les corps matériels font ou ne font point intelligibles: & par-là on poura voir qu'il y a un très-bon fens, felon lequel de grands Philofophes ont pu dire que le monde matériel n'étoit pas intelligible.

Il faut donc remarquer que le mot d'intelligible vient d'intelligere, & qu'il fignifie proprement quod poteft intelligi. Or le verbe d'intelligere a deux fignifications. L'une generale, quand il fe prend pour connoitre, de quelque maniere que cette connoiffance se faffe. L'autre particuliere, quand on le reftreint à une feule maniere de connoitre, qui eftcelle de pure intellection, laquelle confifte en ce que notre ame connoît les objets, fans qu'il s'en forme d'images corporelles dans le cerveau pour les reprefenter: & alors intelligible eft opole à fenfible, ou à imaginable.

Dans le premier fens intelligible fignifie ce qui peut-être connu : comme qui diroit connoiffable, & alors il eft fans doute que les chofes matérielles font intelligibles, puifqu'il eft plus clair que le jour, comme je l'ai prouvé

ci

con

ci deffus, que notre ame a la faculté de noitre les chofes matérielles, & que par conféquent les chofes matérielles en peuvent être connuës.

Dans le 2. fens les chofes matérielles fingulieres, comme un tel cube, un tel cylindre, ne font point proprement intelligibles, mais fenfibles, parce que nous n'apercevons les corps finguliers que par le moïen de nos fens. Mais en general elles font intelligibles, & ne font même proprement qu'intelligibles. Car, comme il n'ya que des corps finguliers qui puiffent fraper nos fens, n'étant pas poffible qu'un cube quelconque, c'est-à-dire, un cube en general, qui n'eft en aucun lieu, comme je l'ai déja remarqué,puiffe faire impreffion furmes yeux, en ébranlant les filets du nerf optique par les rayons de lumiere qui en feroient refléchis, il faut néceffairement ou que nous ne connoiffions aucun corps en genéral (ce que l'on ne peut pas dire, chacun le pouvant convaincre du contraire par fa propre experience) ou que nous les connoiffions par la pure intellection, & que par conféquent ils foient intelligibles, fans avoir befoin d'autres idées que de nos perceptions, & non de ces êtres reprefentatifs, que l'on voudroit qui en fuffent diftinguez. Il faut feulement remarquer que la perception d'un corps fingulier, que nous n'aurons euë que par les fens, nous peut

veiller

veiller l'idée d'un corps en général, comme la figure d'un quaré, tracé fur du papier, nous réveille l'idée univerfelle d'un quaré: mais cela n'empêche pas, à ce qu'il me femble, que l'idée univerfelle de ce quaré ne foit une pure intellection, lors même qu'elle eft acompagnée d'une image dans le cerveau, parce que notre efprit ne s'arête point à ce qu'il y a de fingulier, ni dans cette image du cerveau, ni dans celle qui eft tracée fur le papier, mais qu'il s'aplique feulement à l'idée abstraite d'un quaré en général, qui ne peut être tra cée ni dans le cerveau, ni fur du papier.

Que fi on demande pourquoi Dieu a voulu que les corps finguliers ne fuffent pas intelligibles, mais que nous ne les puiffions apercevoir que par le moïen de nos fens, en voici,ce me femble, la raifon. La capacité de notre efprit étant bornée, & ne devant pas même être toute emploïée à la connoiffance des corps, Dieu n'a pas jugé à propos que nous connuffions tous les corps finguliers,ce qui auroit été prefque à l'infini : il a donc cru qu'il faloit qu'il y eût en nous quelque raifon de connottre les uns plûtôt que les autres, & que ce fût principalement par raport à la confervation de notre corps. Et c'eft pour cela qu'il nous a donné les fens, qui font des organes corporels qui étant frapez en diverfes manieres par de petits corps, qui y caufent des mouvemens,

font

font une ocasion à notre ame de porter fon atention vers l'endroit d'où fes corpufcules nous semblent partir pour venir fraper nos fens. Mais, ayant par-là les perceptions ou idées des corps finguliers, il eft aifé à notre efprit, en feparant de cette idée ce qu'elle a de fingulier, ou d'en faire une idée générale, ou de reveiller celle qu'il en a déja, de la maniere que nous avons dit dans le ch. 6. Et par-là ce qui eft contenu dans cette idée, c'est à dire,dans cette perception abftraite,devient intelligible, parce qu'il peut alors être conçu par une pure intellection. Et ainfi,de quelque maniere que l'on confidere les chofes matérielles, ou comme fingulieres,ou comme uni verfelles, il n'y a nulle raifon de dire qu'elles ne puffent être aperçuës par notre efprit d'où il s'enfuit, que de quelque côté qu'on fe tourne il n'y a rien qui puiffe donner de la vrai-femblance à cet étrange paradoxe: que quand nous regardons les corps qui nous environnent, & même notre propre corps, c'est à dire, quand nous tournons nos yeux vers matériels que eux, ce ne font pas ces corps nous voïons, mais des corps intelligibles.

CHA

CHAPITRE XII.

De la maniere dont l'Auteur de la Recherche de la Verité veut que nous voïons les chofes en Dieu. Qu'il a parlé peu exactement, ou beaucoup varié, touchant les chofes qu'il prétend que l'on voit en Dieu.

N

Ous avons déja vu que cet Auteur n'a pris tant de foin de bien établir la Philofophie des êtres reprefentatifs diftinguez des perceptions, aufquels ils donne le nom d'idées, que pour nous obliger de reconnoître, comme une chofe très avantageufe à la Religion, qu'il n'y a que Dieu qui puiffe faire à l'égard des efprits la fonction de cet étre reprefentatif; & qu'ainfi c'eft en Dieu que nous voïons toutes choses.

C'eft dans ce deffein qu'il a fupofé que ces êtres reprefentatifs ne pouvoient être unis à notre ame, & lui donner moïen de voir les objets de dehors qu'en 5. manieres; afin qu'après avoir montré les inconveniens des 4. premieres, il ne reftât plus que la derniere qu'il faudroit néceffairement embraffer. Et c'est par-là auffi qu'il commence le 6. ch. P. 199. qui a pour titre: Que nous voions toutes chofes en Dieu.

Nous avons examiné dans les chap. prece

dens

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