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tableau de famille, ni M. le Dauphin, ni mademoiselle d'Orléans, ni les ducs de Chartres, de Nemours et d'Aumale, ni le prince de Joinville, ni les deux jeunes et jolies princesses d'Orléans, ni Mademoiselle, si gaie, si gracieuse, si spirituelle ! regrettons de n'y pas voir M. le duc de Bourbon, que ses infirmités retiennent à son château de Saint-Leu, où il devait espérer de mourir tranquille et heureux. Mais réservons toute notre attention pour cet enfant, qui bientôt doit jouer un rôle si important parmi les augustes convives.

Déjà les deux premiers services ont épuisé la patience. de ces deux jeunes cœurs, où le respect arrête encore l'élan joyeux: le moment est enfin venu, et tous les yeux se sont tournés vers l'officier de la bouche, qui porte sur un plateau d'argent, recouvert d'une serviette, les quinze gâteaux, dont un seul contient la fève désirée. C'est le duc d'Aumale, qui, par le droit du plus jeune, les distribue aux convives, en ayant soin d'en garder un pour lui. Chacun s'empresse de connaître son sort, et les exclamations de l'ambition déçue se font entendre de tous côtés. Un seul enfant rougit et se tait; non qu'il soit embarrassé du rang où il est appelé, mais il ne veut pas humilier ses compétiteurs par l'éclat de sa joie innocente. Sa nouvelle majesté ne peut cependant pas garder longtemps l'incognito, et le duc de Bordeaux. est proclamé roi de la fève aux acclamations unanimes. C'est alors qu'à l'exemple du nouveau souverain tous les enfants se livrent à une gaieté que le Roi et Madame aiment et partagent et que la Dauphine ne cherche point à contenir. Déjà le choix de la reine est fait : c'est madame la duchesse d'Orléans, qui se prête volontiers à recevoir un honneur qu'elle n'a peut-être pas envié; et le dîner s'achève au milieu des éclats de rire et des cris

de « Le roi boit! La reine boit!» mille fois répétés.

Les augustes personnages, assis autour de cette table royale, n'étaient pas les seuls admis à prendre leur part du gâteau des Rois. Les parcelles de ce gâteau se répandaient avec profusion sur toute la France. Je vous atteste ici, vous, poètes et écrivains, dont Charles X aimait à encourager les nobles travaux; vous, artistes habiles dont les tableaux peuplent nos musées et décorent nos palais, dont les statues ornent nos ponts et nos places publiques; vous, disciples d'Euterpe et de Thalie, dont sa munificence récompensait les talents; vous, simples artisans dont il enrichissait l'industrie; et vous, villages incendiés; vous, vieux et infirmes serviteurs de la République et de l'Empire; vous, veuves désolées et orphelins délaissés; vous-mêmes aussi grands et puissants du jour, ne receviez-vous pas votre part du gâteau des Rois?

Mais on va se lever de table et Charles X demande un moment de silence qu'il obtient avec peine.

«Sire, dit-il à son petit-fils, votre règne va finir dans cinq minutes: Votre Majesté n'a-t-elle pas d'ordres à me donner?

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<< - Vous voulez! prenez garde: en France, le roi dit: Nous voulons, et quelquefois même : Ils veulent.

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- Eh bien, nous voulons que notre gouvernement

nous avance trois mois de notre pension....

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Que ferez-vous de tant d'argent?

Bon papa, la mère d'un brave soldat de votre garde a eu sa chaumière incendiée, et ce n'est pas trop pour la faire rebâtir....

«C'est bien, je m'en charge....

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Non, bon papa, parce que si c'est vous ce ne sera pas moi.

«

mois?

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Et que ferez-vous sans argent pendant ces trois

Je tâcherai d'en gagner par les bons points que j'aurai de mes instituteurs et que vous me payez toujours.

« Ah! vous comptez là-dessus?

Sans doute, ne faut-il pas que j'habille mes pauvres? car j'ai des pauvres, comme vous, comme maman, comme ma tante.... Oh! j'ai fait mon calcul, et je suis bien content, quand j'aurai donné dix francs à la pauvre femme du bois de Boulogne qui a un petit enfant malade, il me restera encore vingt sous pour faire le prince. »

A ces mots, Charles X embrassa avec tendresse son petit-fils, et s'écria: « Heureuse France, si jamais il est roi! »

CHAPITRE VI

LOUIS-PHILIPPE

I

Après avoir soutenu dans les Chambres pendant trois années une lutte ardente en faveur des idées libérales, les libéraux finirent par l'emporter; car, le 29 juillet 1830, après un combat de trois jours auquel le gouvernement de Charles X était loin de s'attendre, la révolution était accomplie et le peuple vainqueur était le maître de Paris. Pendant donc qu'à Saint-Cloud où était réunie la famille royale, se passaient des scènes terribles de désolation et où on prenait des mesures de départ avec de profondes douleurs et une désespérante contrainte, à Paris, un gouvernement provisoire venait d'être nommé. Tout aussitôt de nombreuses allées et venues commencèrent, des convocations avaient lieu et des pourparlers se faisaient de tous côtés. Tous les hommes politiques avaient leurs missions; les uns s'occupaient à suivre Charles X et de veiller à ses démarches; les autres de surveiller les administrations;

quand les plus influents étaient chargés de se rendre auprès du duc d'Orléans et de lui offrir le trône vacant. Parmi ces négociateurs étaient MM. Jacques Laffitte, Lafayette et Odilon Barrot.

Le duc d'Orléans les accueillit fort bien; néanmoins, vu l'importance du but de leur démarche, il demanda à réfléchir. Naturellement une négociation aussi délicate demandait quelques jours et de nombreux entretiens. Aussi n'entreprendrai-je pas de donner ici connaissance au lecteur de ceux qui eurent lieu à cette occasion et me contenterai-je de dire, qu'au bout de quelques jours, l'offre du trône faite au duc d'Orléans par les libéraux fut acceptée, ainsi qu'ils y avaient compté d'avance. Mais cela n'était pas suffisant; si, de ce côté, une grande victoire était gagnée, il restait à la faire accepter au peuple, et c'était le côté le plus difficile; car, alors, le peuple était le maître, et on ne pouvait rien faire sans. obtenir sa sanction.

Ce ne fut donc que le 7 août que le duc d'Orléans, entouré de ses nombreux partisans put se présenter à l'Hôtel de ville. Il y vint à cheval, accompagné des hommes les plus importants du parti libéral; comme MM. J. Laffitte, Lafayette, Odilon Barrot, Guizot, Thiers, Royer-Collard, de Kératry, Benjamin Constant, Casimir Périer, Dupont de l'Eure, Dupin aîné, le général Foy et une foule d'autres libéraux bien connus, qui n'hésitaient pas à soutenir le nouveau roi de leur choix.

Les salles de l'Hôtel de ville étaient combles et sur la place stationnait une foule considérable de peuple où régnait la plus grande agitation qu'on puisse voir. Trois partis s'y trouvaient réunis dans un grand désaccord. D'un côté, c'étaient les légitimistes qui voulaient acclamer le duc de Bordeaux; de l'autre, les républicains

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