Page images
PDF
EPUB

de la population, ses mœurs, ses usages, ses coutumes et ses besoins. Il ne suffit donc pas toujours qu'un peuple soit actif, spirituel, intelligent pour lui faire adopter un nouveau gouvernement qui n'est ni dans ses goûts, ni dans ses habitudes; d'autant plus que le peuple français est peut-être celui de tous qui a le plus besoin de stabilité, d'unité et de sécurité pour pros pérer. Dans tous les cas, si nous admettons que les Français aient assez de qualités pour subir un changement quelconque, ne devons-nous pas reconnaître qu'ils ne sont pas sans défauts et sans avoir des passions qu'il faut craindre et souvent combattre? Or, ce n'est pas un gouvernement républicain qui, dans son principe, n'a ni stabilité, ni force morale, ni autorité, qui pouvait y parvenir. Non, ce n'était pas un gouvernement constamment discutable, à la merci d'un parti quelconque, donnant prise à toutes sortes de critiques, de blâmes et de menaces; un gouvernement auquel le premier venu se croyait le droit de participer, qui pouvait arriver à satisfaire une nation comme la nôtre, dont les tendances d'esprit et les exigences de caractère sont si excessives. Voilà donc ce qui fait que la république, dans la fin du siècle dernier, n'a eu aucun succès. En soutenant cette thèse, je ne crois pas me tromper.

Si encore cette Révolution, comme je l'ai déjà dit, qu'avaient prévue et même préparée sous une forme libérale les savants écrivains, Fénelon, Voltaire, Montesquieu, J.-J. Rousseau, d'Alembert et Diderot, eût éclaté sous le règne de Louis XV, à la suite de ses excès et de sa triste conduite, il n'y aurait eu personne qui ne · l'eût comprise et qui ne l'eût pas applaudie, mais avoir fait tomber tout le poids des fautes commises par ce roi indigne sur son successeur, cela n'était ni juste ni

rationnel. Car tout le monde savait que Louis XVI était extrêmement bon, que la droiture de son caractère et ses sentiments honnêtes et généreux étaient connus du monde entier. Si encore les révolutionnaires s'étaient contentés de conquérir la liberté? de dicter des lois plus équitables et de prendre des mesures administratives plus économiques, rien de mieux! mais l'avoir renversé et lui avoir infligé une mort ignominieuse! Voilà qui fut un immense malheur en même temps qu'un crime abominable, à jamais regrettable pour l'honneur du nom français et pour la France elle-même.

Non! Louis XVI ne méritait pas cet épouvantable outrage, car d'abord il n'avait rien fait pour attirer sur lui un tel châtiment et ensuite il était incapable d'imposer à son pays un gouvernement tyrannique, pas plus que d'abuser de son pouvoir! Si donc on lui eût laissé son libre arbitre, confiant dans la loyauté de ses ministres Malesherbes, Turgot et Necker, avec le temps nécessaire, bien certainement il eût pu donner à son peuple toutes les satisfactions qu'il pouvait désirer. Mais, une fois que les impatients libéraux eurent donné l'élan, rien n'arrêta les ardents révolutionnaires.

Si Louis XVI avait d'excellentes qualités, il faut bien le dire, malheureusement, à côté de cela, il manquait de résolution dans le caractère et il était un peu faible de nature, défaut de tous les hommes bons. Alors, dans son désir de bien faire, il cédait facilement aux conseils de ses courtisans, et c'est ce qui le perdit; car, retenu d'un côté par ceux-là et ayant la main forcée de l'autre par les libéraux, il ne savait plus quel parti adopter. Qu'en résulta-t-il? qu'il ne put contenter personne et qu'il en fut victime avec tant d'autres.

RÉVOLUTION FRANÇAISE

CHAPITRE II

REGNE DE LOUIS XVI

Louis XVI s'était marié à vingt ans ; il avait épousé Marie-Antoinette, archiduchesse d'Autriche, qui n'avait que seize ans, possédant autant de qualités qu'elle était belle. De grandes fêtes avaient eu lieu à l'occasion de leur mariage et bientôt la cour s'était emplie de courtisans. Les fêtes et les plaisirs se succédèrent, d'abord à Marly, puis lorsqu'il monta sur le trône, en 1776, des années encore à Versailles; d'autant plus que les comtes de Provence et d'Artois, nouvellement mariés, dont l'un devint Louis XVIII et l'autre Charles X, par leur jeunesse, conjointement avec d'autres princes et princesses, les soutenaient de leur bruyante gaieté. Douze années se passèrent donc ainsi, sans trouble ni trop de tourments, tant à la cour que dans la bourgeoisie et le peuple.

Mais vint le moment où la bourgeoisie, fatiguée des charges fiscales qui pesaient sur elle et sur le peuple, malgré les efforts que fit Louis XVI pour les éviter,

jalouse, d'une autre part, des privilèges dont jouissaient si largement la noblesse et le clergé, finit par s'émanciper et par réclamer des réformes dans les lois du pays; c'est donc à partir de ce moment que, l'accord cessant entre les divers pouvoirs de l'État et la cour, que commencèrent les embarras de Louis XVI et de son gouvernement et que commença la Révolution.

Les prodigalités de Louis XIV et les désordres de Louis XV avaient épuisé les finances de l'État; jusquelà, cependant, ses ressources avaient encore suffi. C'est donc à partir de 1787 que le besoin de les rétablir se fit vivement sentir; et c'était fort difficile, dans la situation. où se trouvait être le gouvernement. La jeunesse de Louis XVI, son aménité et la confiance qu'il avait dans ses ministres avaient du reste singulièrement affaibli son autorité royale. Néanmoins, il réclamait des subsides qui lui furent refusés. D'un côté, la noblesse et le clergé, qui avaient pris un grand empire sur le gouvernement et qui persistaient à maintenir leurs prétentions, ne voulurent consentir à faire aucuns sacrifices; de l'autre, la bourgeoisie, accablée de charges, se refusa à se soumettre à de nouveaux impôts. De là, naturellement, sortirent de grands débats qui embarrassèrent énormément le pouvoir. Louis XVI, alors, chargea M. de Calonne, son premier ministre, d'aviser aux moyens d'obtenir les fonds nécessaires à son gouvernement. M. de Calonne, sur les ordres du roi, assembla, en conséquence, une deuxième fois, les États-Généraux et leur fit la demande d'un emprunt de 440 millions; mais ce fut en vain l'emprunt fut repoussé. M. de Calonne, dont le talent était médiocre et qui manquait de résolution, résista encore quelque temps et, voyant qu'il ne pouvait vaincre les difficultés, finit par se

« PreviousContinue »