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moins celle de me poser en prophète. En conséquence, je ne me permettrai pas de prédire l'avenir. L'expérience que j'ai acquise dans ma longue carrière pourrait peut-être m'y autoriser, mais je préfère en laisser la responsabilité à de plus compétents que moi. Or, je vais m'en tenir à invoquer un souvenir encore présent à ma mémoire.

Vers 1840, le hasard a fait tomber sous ma main un livre écrit en 1832 je crois, par Monseigneur de Quélen, le célèbre archevêque de Paris. Ce livre avait été saisi, mis à l'index et ne devait plus reparaître. Si mes souvenirs me sont fidèles, voici, en substance, à quoi concluait Monseigneur de Quélen.

« Du moment où la révolution de 1830 exclut du trône de France les deux grands principes qui ont soutenu la monarchie et maintenu nos rois pendant toute la durée des siècles passés, la légitimité et le droit divin, l'esprit révolutionnaire ne s'en tiendra pas au règne de Louis-Philippe. Il durera encore de longues années et il n'y a que Dieu qui sait où il s'arrêtera. Dans tous les cas, il est facile de prévoir dès à présent que s'il doit s'arrêter un jour, il ne s'arrêtera qu'après que les Français auront fait l'essai de tous les systèmes de gouvernements connus; qu'après que tous les partis se seront usés les uns après les autres; qu'après que le pays fatigué, épuisé par les changements et la guerre civile, tombant dans l'anarchie, se donnera un gouvernement militaire avec un soldat pour chef. Alors seulement la France pourra se relever et avec le temps devenir grande et forte. » A vous, lecteurs, de tirer de cette prédiction les conséquences qu'il vous plaira.

CHAPITRE VII

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DE 1848

I

La journée du 24 février peut être considérée comme faisant partie de la République. Sous beaucoup de rapports elle est mémorable et si intéressante, que pour mieux en détailler les faits curieux qui s'y sont passés, je crois devoir encore une fois recourir au Dictionnaire de la conversation. Voici en quels termes il raconte l'histoire de cette journée.

« La Chambre des pairs et la Chambre des députés s'étaient réunies dans leur palais respectif. Ala Chambre des pairs les membres de l'opposition voulurent encore en vain adresser des interpellations et pousser l'assemblée à quelques démonstrations. Le président annonça. qu'on attendait les membres de la famille royale, mais aucun ne vint. Un message fut envoyé à la Chambre des députés. Le messager revint dire que la Chambre des députés appartenait au peuple. La Chambre des pairs se sépara sans avoir rien fait. Depuis midi la Chambre des

députés était réunie. On était en quête de nouvelles. M. Thiers arrive. « Vous êtes ministre ! » lui crie un groupe de députés. « La marée monte, monte, » répond M. Thiers, puis il disparaît. On ne sait où est M. Odilon Barrot. M. Sauzet a quitté l'hôtel de la présidence. Enfin, vers une heure, M. Sauzet ouvre la séance publique, quoique l'ordre du jour indiquât une réunion. dans les bureaux. Le banc des ministres est vide, les tribunes sont désertes. Les députés sont à leur place. M. Charles Laffitte demande que la Chambre se déclare en permanence. La séance reste suspendue. Un officier arrive, parle au président. M. Sauzet réclame le silence et annonce l'arrivée de la duchesse d'Orléans. En effet, la princesse paraît, tenant d'une main le comte de Paris, de l'autre le duc de Chartres. Elle venait se placer entre ses deux enfants, au milieu de l'hémicycle, où un fauteuil et des chaises ont été préparés. Le duc de Nemours, quelques officiers et des gardes nationaux l'accompagnent. La princesse est pâle, sa figure est défaite, des larmes coulent silencieusement sur son visage, malgré les efforts qu'elle fait pour les retenir. Le duc de Nemours, en costume de lieutenant général, se tient debout derrière le fauteuil de la duchesse. Sa figure est calme. Un profond silence règne dans l'Assemblée. Il semble que personne n'ose parler. « La parole est à M. Dupin, » dit le président. « Je ne l'ai pas demandée,» répond le procureur général, qui avait amené le comte de Paris à la Chambre. Cependant, pressé de questions, il monte à la tribune: « Vous connaissez, dit-il, la situation de la capitale, les manifestations qui ont eu lieu, elles ont eu pour résultat l'abdication de Sa Majesté Louis-Philippe, qui a déclaré en même temps qu'il déposait le pouvoir, et qu'il

en laissait la libre transmission sur la tête du comt de Paris, avec la régence de Mme la duchesse d'Or léans. » Ces paroles sont accueillies par de vives acclamations dans les centres. On crie: « Vive le roi! Vive le comte de Paris! Vive la régente! » La droite et la gauche gardent le silence. M. Dupin ajoute : « Messieurs, vos acclamations, si précieuses qu'elles soient pour le nouveau roi et pour madame la régente, ne sont pas les premières qui l'aient saluée; elle a traversé à pied les Tuileries et la place de la Concorde, escortée par le peuple, par la garde nationale, exprimant e e vœu comme il est au fond de son cœur, de n'administrer qu'avec le sentiment profond de l'intérêt public, du vœu national, de la gloire et de la prospérité de la France. » M. Sauzet veut constater les acclamations unanimes de la Chambre, mais les extrémités protestent; et des exclamations partent des tribunes qui se sont remplies depuis l'arrivée de la duchesse.

La place de la Concorde, que des postes de gardes municipaux avaient défendue le matin, était au pouvoir du peuple. Une fois le premier poste pris, le général Bedeau avait fait fuir les gardes du second; et il avait fait cesser le feu de la troupe. Les combattants arrivaient donc sans gêne jusqu'à la Chambre des députés. Le silence ne s'était pas rétabli que la Chambre était envahie par des hommes armés et par la garde nationale. Des interpellations assez vives sont échangées entre le duc de Nemours et les nouveaux venus; ceux-ci, sur l'observation de quelques députés, finissent par reculer à droite et à gauche de la tribune. M. Marie s'élance à la tribune: mais il ne peut obtenir le silence. M. de Lamartine indique de la main qu'il veut parler. Il demande que la séance soit suspendue. Le président

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