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tion qu'ils soient, qui tiennent un pareil raisonnement, non seulement c'est manquer d'honnêteté, mais c'est encore se montrer dépourvus de tout bon

sens.

N'est-ce pas ridicule en effet de la part de bien de nos républicains d'aujourd'hui, d'avoir la prétention de vouloir faire croire à notre génération nouvelle que l'émancipation des progrès en France, dans nos mœurs, dans nos arts, nos sciences et notre industrie, ne date que de 1789, quand, au contraire, nous avons des preuves évidentes que la Révolution n'a fait que d'en retarder la marche de vingt ans au moins?

N'est-il pas pitoyable encore de voir tant d'autres républicains ne tenir aucun compte des progrès des temps passés, même de ceux obtenus sous les règnes de saint Louis, François Ier, Henri IV et Louis XIV, qui illustrèrent à un si haut degré la France? Mais s'ils vivaient encore et s'ils pouvaient entendre ce raisonnement, que diraient les Sully, Colbert et Mazarin? Que diraient Newton, Christophe Colomb, Guttemberg et tant d'autres savants innovateurs dans ces époques éloignées? Que diraient nos grands et savants écrivains du XVII et du XVIIe siècle? Nos grands peintres, nos savants chimistes, nos habiles architectes? Que diraient les Lebon, inventeur du gaz, Papin, inventeur de la vapeur, Vaucanson, Jacquart et cent autres qui tous existaient avant la Révolution? Comme bienfaiteurs de l'humanité que diraient encore saint Vincent de Paul, saint François Xavier, Bossuet, Fénelon? Ils diraient nous avons marché avec notre temps comme vous marchez avec le vôtre. L'immortalité est notre récompense; mais vos républicains du XVIe siècle, à part l'abolition des privilèges enlevés à la noblesse et au clergé, quel

bonheur ont-ils donné à la France ?... et quelle récompense ont-ils le droit d'attendre?...

Ce qu'il a de certain, ce n'est qu'au fur et à mesure que se sont étendues les lumières par l'instruction, que nos progrès intellectuels sont arrivés au point où ils sont parvenus aujourd'hui; la Révolution n'y est donc que pour peu de chose, et dans tous les cas ce n'est pas la politique de la première république qui n'a produit que du mal, qui ait pu y contribuer. Ce n'est pas non plus la république de 1848 qui a pu nous faire faire des progrès; car elle ne nous a donné que des embarras, des souffrances, et de la misère, et ce n'est pas dans un tel état qu'un pays progresse. Est-ce encore la république de 1875, votée à la majorité d'une voix par nos députés, qui a pu tant nous faire avancer, attendu que jusqu'à présent, nous n'avons fait que marcher à reculons dans nos finances et nos institutions? Donc nous devons en conclure que les progrès dont nous jouissons, nous en sommes redevables au temps. passé et à nos monarchies contemporaines.

Au surplus, pour contenter tout le monde, admettons plutôt qu'il y a chez les peuples deux genres de progrès, l'un que nous appellerons intellectuel, qui est positif et dans tous les temps applicable aux arts et aux sciences; l'autre, mobile, que nous nommerons politique, moral et religieux, qui alors est très discutable; de cette manière nous aurons la vérité. Or, sous ce dernier rapport, avons-nous réellement fait des progrės? Voilà la question que je ne me charge pas de résoudre et à laquelle le temps seul répondra.

C'est comme si l'on me disait, que dans les temps passés, la France était républicaine ! eh bien ! naturellement je répondrais: non, la France n'était pas républi

caine, car depuis qu'elle s'appelait, La Gaule, bien que jusqu'à la fin du XVIe siècle elle subit bien des épreuves, de graves événements, bien des changements de gouvernement, bien des réformes sociales, bien des contradictions religieuses; la France, même dans ses plus mauvais temps, est restée toujours fidèle à la monarchie.

Napoléon III dit dans son livre (l'Histoire de César): rendons à César ce qui appartient à César. Or, je dis moi; laissons à l'histoire ce qui appartient à l'histoire, c'est-à-dire respectons au moins nos anciennes traditions, ne dénigrons pas nos ancêtres, ne dénaturons pas la vérité. La république, quoiqu'il en existât à Rome, dans l'ancienne Grèce, à Venise et en Amérique, ne put donc en quelque sorte être connue en France que sur la fin du siècle dernier. Ce fut alors Montesquieu, Voltaire, J.-J. Rousseau, Diderot, d'Alembert et quelques autres philosophes qui par leurs livres fort recherchés. autant qu'estimés au XVIII° siècle, donnèrent la première idée de la Révolution; puis vinrent quelques bourgeois érudits qui convaincus que la noblesse et le clergé d'alors abusaient de leurs droits et privileges, rendaient indispensable une réforme gouvernementale. C'est enfin lorsque les Américains se furent séparés de l'Angleterre et eurent adopté pour leur gouvernement la forme républicaine, que quelques hommes marquants dans le monde, possédant suffisamment d'esprit et d'indépendance, se décidèrent à entreprendre les réformes qu'ils jugeaient possibles et utiles en même temps à leur pays.

Ainsi ce furent Bailly, Sieyės, Lafayette et Mirabeau, puis encore Mounier et Dumouriez qui furent les premiers à demander au gouvernement de Louis XVI les

réformes jugées nécessaires. Mais que voulaient en principe ces sages révolutionnaires? ils voulaient l'abolition des privilèges dont alors en effet, il faut bien en convenir, la noblesse et le clergé jouissaient trop largement, quand le peuple était accablé de charges de toutes sortes. Comme aussi à cette époque il existait des lois restrictives et oppressives qui avaient fait leur temps. En cela la population française d'alors désirait donc de sérieuses réformes lui accordant quelques libertés dans de justes mesures. Malheureusement ces hommes qui eurent le courage de prendre cette initiative, on sait comment ils furent récompensés; la plupart, et après eux les girondins, furent les premiers conduits à l'échafaud. Dans l'histoire de Louis XVI on verra bientôt comment ils se conduisirent. Au début de la Révolution, il pouvaient donc avoir raison. Car ce qu'ils demandaient était un corps législatif au lieu et place du Tiers-État. Ils demandaient ensuite une constitution nouvelle dans laquelle devaient entrer la liberté individuelle et un règlement juste et équitable sur la liberté de la presse. Mais le gouvernement y mit tant d'hésitations que ces réformes furent ajournées. Cette opposition opiniâtre de la cour contre le TiersÉtat causa une si grande agitation dans Paris, que le peuple s'impatienta. C'est alors que de nombreux ras. semblements eurent lieu et qu'enfin de ce moment commença la Révolution.

Si les intentions de tous ces députés étaient bonnes, celles du roi Louis XVI ne l'étaient pas moins; car, sans la résistance que fit son gouvernement, la noblesse et le clergé, il eût bien certainement consenti à ces réformes réclamées. Cependant il faut bien le dire: si les ministres persistèrent ainsi à refuser ces conces

sions, c'est qu'ils étaient bien convaincus que, une fois entrés dans cette voie, on en exigerait de nouvelles ; tant il est vrai que le peuple se borne rarement à se contenter des concessions justes et raisonnables qu'on lui accorde. Ce qui se passa plus tard, sous la Commune et la Convention, prouva suffisamment du reste que les ministres de Louis XVI n'avaient pas tout à fait tort.

Ainsi, que nos républicains d'aujourd'hui approuvent et admettent la conduite et les principes de ces hommes qui furent de vrais défenseurs du peuple, je le comprends, mais je n'admettrai jamais qu'ils excusent les crimes commis par la Commune, par la Convention et par le peuple lui-même, qui déshonorèrent tant la France, tels que la mort de Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette, le sacrifice des nombreuses victimes qui périrent sur l'échafaud; les massacres de septembre, les noyades de Nantes etc. qui n'étaient nullement nécessaires, ni aux intérêts du pays, ni à ceux du peuple; attendu que les révolutionnaires pouvaient bien faire ce qu'a fait plus tard Napoléon Ier, c'est-àdire se contenter de reviser nos codes, de réformer nos lois. Mais ils ne le voulurent pas, pourquoi cela? c'est qu'ils voulaient ni plus ni moins s'emparer du gouvernement et devenir les maîtres du pays, ainsi qu'ils en donnèrent des preuves. S'il en eût été autrement, la France n'eût point eu à subir tous les désastres qu'elle a eu à supporter, et le peuple n'eût pas souffert tant d'années, comme il l'a fait.

Ce n'est malheureusement que trop vrai, que la résistance que les ministres de Louis XVI et sa cour mirent à ne pas consentir aux réformes réclamées, fut la cause déterminante de la Révolution; mais si ce fut

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