Page images
PDF
EPUB

Que venez-vous dire encore, M. de Lamartine! que la substitution de la république à la monarchie n'a fait verser ni une goutte de sang, ni coûté la vie à aucun homme. Cela peut être vrai, pendant les deux mois que le gouvernement provisoire a eu le pouvoir en main, mais avant, vous ne tenez pas compte des pertes énormes en tout genre qu'a supportées la France dans les insurrections si nombreuses provoquées par les républicains, des morts et des blessés dans les combats livrés par eux au gouvernement de Louis-Philippe; vous ne comptez pour rien les morts et les blessés qu'ont données les journées des 21, 22 et 23 février; puis après, les insurrections de Rouen, d'Elbeuf, de Limoges, de Nantes et de tant d'autres localités qui ont eu lieu à la fin d'avril à la suite des élections. Vous ne comptez pour rien l'insurrection du 15 mai, le chômage de milliers d'ouvriers, leurs souffrances, le déplacement et la détresse de tant de pères de famille, les veuves, les orphelins, les désespoirs, les larmes versées, les fortunes perdues, les déshonneurs occasionnés par les faillites nombreuses qui se sont succédé, les ruines enfin accumulées dans l'industrie. Vous ne comptez pour rien cette fratricide bataille des 23, 24 et 25 juin, et une année après l'échauffourée du 13, et l'insurrection de Lyon du 15 juin.

Dès que vous avez eu en votre possession la République et la liberté, tout cela ne fut plus que bagatelle pour vous. Mais tout le monde n'a pas été de votre avis, M. de Lamartine, et le peuple lui-même vous en a donné la preuve dans les 7,439,216 suffrages donnés à l'empire après le 2 décembre.

Enfin, dans son histoire de la Révolution de 1848, M. de Lamartine ne s'est pas tenu aux éloges qu'il s'ap

plique à lui-même, et à ceux qu'il fait de la révolution et du peuple souverain; il rehausse encore le plus qu'il peut les qualités, les actes et le caractère de ses amis politiques, sans rien dire du mobile qui les a fait agir. Tout cela peut être bon pour nos jeunes générations qui n'ont ni assisté à ces événements, ni connu les hommes de ce temps; mais ce ne sont pas ceux qui, comme moi, ont vu les républicains à l'œuvre, et qui ont pu suivre leur conduite et juger leurs actes, qui pourront croire à la modestie, à la justice et au désintéressement que M. de Lamartine veut bien leur attribuer.

Mais laissons là l'histoire de la Révolution écrite par M. de Lamartine, c'est assez en faire ressortir le mauvais côté. Rappelons-nous maintenant que, si M. de Lamartine a eu ses époques de gloire, ses heures de bonheur, ses jours de triomphe, qu'après le 2 décembre 1851, il eut aussi ses déceptions, ses tristesses; rappelons-nous que les dernières années de sa brillante carrière se sont passées dans une paisible retraite, en dehors de toutes illusions, loin des affaires. et du monde, sinon oublié, du moins à peu près abandonné des hommes pour lesquels il s'était dévoué sans penser qu'un jour, comme ses victimes, il tomberait dans un semblable isolement. Oui, laissons M. de Lamartine et tous ses amis avec leurs regrets et leurs remords, laissons-les avec leurs principes d'indépendance, de popularité, et de leur soi-disant amour de la liberté. Pour eux, c'est la base de toute morale, de toute religion, de tout bien-être. Que leur importent les trônes. renversés, les ruines accumulées, nos meilleures institutions disparues; que leur importe que les hommes soient divisés, que les révolutions déciment ou cor

rompent nos populations? pour atteindre leur but, ils promettent monts et merveilles pourvu qu'ils arrivent à imposer leur autorité à la société, à répandre leurs journaux, leurs écrits et leurs discours à foison; dès, enfin, qu'ils parviennent à renverser les dynasties et se substituer à leurs places, tout leur est bon, dussent-ils après user du despotisme qu'engendrent toutes les révolutions, qu'elles soient politiques, religieuses ou sociales. Ils tiennent s'ils peuvent leurs promesses: mais ils succombent le plus souvent à leur tour, comme l'a fait en 1848 le parti que nous nommons libéral qui n'est autre que le centre gauche; après avoir compromis l'empire, de nos jours, il s'est fait républicain modéré.

CHAPITRE IX

NAPOLÉON III

On sait que les pouvoirs accordés au président de la République dans la personne du prince Louis-Napoléon, expiraient le 2 mai 1852. C'est donc en appro chant de cette date fatale que les esprits s'agitaient de plus en plus. A la fin de 1851, la confiance était loin. d'être revenue. A Paris on était en élections, les sociétés secrètes s'étaient reformées, des clubs s'étaient ouverts, une agitation extraordinaire régnait partout; les journaux démagogiques étaient extrêmement exaltés, enfin tous les partis étaient on ne peut plus préoc cupés des questions gouvernementales à venir, et chacun songeait au moment de faire triompher ses préférences. De tous côtés on s'attendait à un dénouement quelconque. Lequel? Chacun se le demandait. L'incertitude dans laquelle on était, inspirait une telle frayeur qu'il en résultait, comme nous venons de le dire, que toutes les affaires étaient suspendues ou remises après les élections présidentielles; que les gens

riches ou libres s'éloignaient de la capitale, enfin toutes les valeurs, rentes ou propriétés, s'offraient à moitié prix. La position n'était véritablement plus tenable, on ne voyait qu'une catastrophe en perspective. Les hommes politiques allaient jusqu'à dire tout haut qu'incessamment Louis-Napoléon allait être dépouillé de son autorité et enfermé à Vincennes. LouisNapoléon connaissait tous ces dires et ces complots et cela lui donnait à réfléchir. Il ne disait rien, mais il n'en pensait pas moins.

Louis-Napoléon avait eu la précaution, peu de jours. avant le 2 décembre, de passer une grande revue de l'armée où il réunit tous les officiers; après s'être placé au milieu d'eux il leur fit un discours où entre autres paroles il dit celles-ci : « Si jamais le jour du danger arrivait, je ne ferais pas comme les gouvernements qui m'ont précédé, je ne vous dirais pas : Marchez! je vous dirais Suivez-moi, marchons! >>

Louis-Napoléon avait ses hommes de confiance, c'était le général Saint-Arnaud, le général Magnan, MM. de Morny, de Maupas, préfet de police, et M. de Persigny. Entre eux toutes les mesures à prendre furent parfaitement combinées. M. de Morny serait le ministre de l'intérieur et des commandements, M. de Saint-Arnaud le ministre de la guerre et MM. Magnan et de Maupas les exécutants pour tous les ordres à donner.

C'était donc ainsi que le 2 décembre 1851, dès huit heures du matin, on entendit des tambours et des clairons suivis de nombreuses troupes à pied et à cheval, s'avancer le sabre au poing sur les deux rives de la Seine et dans la largeur du boulevard, se dirigeant du côté des Tuileries et des Champs-Élysées, puis entourer

« PreviousContinue »