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que ma conduite fùt examinée publiquement, mais mon cœur est déchiré de trouver dans l'acte d'accusation l'imputation d'avoir voulu faire répandre le sang du peuple et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués. J'avoue que les preuves multipliées que j'avais données dans tous les temps, de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m'étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m'exposer pour épargner son sang et éloigner de moi une pareille imputation. »

Rentré au Temple à cinq heures, le roi causa quelques instants avec ses défenseurs puis, prenant à part M. de Malesherbes il lui dit : « Vous voyez dans quel état de dénuement je suis réduit et je ne sais comment m'acquitter envers vos deux collègues qui viennent de se dévouer à ma défense. » — « Sire, répondit Malesherbes, ils seront suffisamment récompensés de la reconnaissance que vous leur témoignerez. » Le roi voulut leur adresser la parole, mais son émotion était si profonde qu'à peine put-il trouver un mot à leur dire; alors i se jeta dans leurs bras en pleurant et il les pressa sur son cœur. Le silence en dit souvent bien plus que des paroles.

Vint le 1er janvier, le roi ne put voir sa famille ni recevoir ses souhaits. Un garde municipal voulut bien se charger de ceux du roi et les porter à sa famille, où ils furent reçus avec allégresse, mais la tristesse au fond du cœur.

L'Assemblée délibéra jusqu'au 16 janvier sur le sort du roi. Il y eut de vifs et nombreux débats et le décret ne fut rendu que le 17. M. de Malesherbes avait promis au roi qu'il viendrait lui-même le lui faire connaître.

Le 18, dès six heures du matin, il entra chez le roi;

étouffé par les sanglots, il fut quelques minutes sans pouvoir dire un mot et il se jeta à ses pieds. Louis XVI le releva et ils se pressèrent l'un contre l'autre, le cœur brisé. Quand M. de Malesherbes eut prononcé les mots de condamnation à mort, il n'en éprouva aucun mouvement de surprise ni d'émotion; il n'était affecté que de la douleur du vieillard qu'il cherchait à consoler. Puis une heure s'écoula à s'entretenir des détails de la séance. Une fois M. de Malesherbes parti, le roi dit à Cléry: « Ce qui m'afflige le plus, c'est de voir que le duc d'Orléans, mon parent, ait voté ma mort. »

Louis XVI avait préparé une protestation adressée au peuple contre sa condamnation. M. de Sèze s'en était chargé, mais elle n'eut aucun effet.

Le 20 janvier à deux heures, on ouvrit tout à coup les portes du Temple; c'était le conseil exécutif: Garat, ministre de la justice, Lebrun, ministre des affaires étrangères, Grouvelle, secrétaire du conseil, le président et le procureur général, syndic de la commune: enfin plusieurs autres membres de la Convention. Santerre qui les devançait, dit à Cléry: «Annoncez le conseil exécutif. » Le roi était debout, dans une attitude imposante, Garat, le chapeau sur la tête, porta la parole et dit:

<< Louis, la Convention nationale a chargé le conseil exécutif provisoire de vous signifier les décrets des 15, 16, 17 et 20 janvier, le secrétaire du conseil vous en fera la lecture. » Cette lecture fut faite. Le roi l'entendit sans aucune émotion, il resta impassible et son visage ne montra aucune altération. Il prit le décret, le plia et le plaça dans son portefeuille; puis il écrivit une lettre qu'il adressa à la Convention dans laquelle il demandait un délai de trois jours, un prêtre pour se préparer

à paraître devant Dieu et à voir librement sa famille ; il demandait encore à la Convention de ne pas oublier ses malheureux protégés et de laisser la reine et ses enfants en liberté. La lettre fut immédiatement remise par Garat à la Convention. Deux heures après il revenait accompagné de Santerre et voici la réponse qu'il donna au roi :

.....

On le laissait libre d'appeler tel ministre du culte qu'il jugerait à propos; la nation s'occuperait du sort de sa famille; des indemnités seraient accordées aux, créanciers de sa maison, mais quant au sursis de trois jours il lui était refusé.

Garat avait eu la précaution d'amener l'abbé Edgeworth que le roi avait lui-même désigné. L'abbé Edgeworth entra, le roi était alors seul et calme, il le fit entrer dans son cabinet et le pria d'attendre quelques instants: « Le temps seulement de recevoir ma famille qui va descendre, » lui dit-il.

Mais je crois devoir m'arrêter ici.

Il est des douleurs qui ne peuvent se raconter. En conséquence gardons un silence respectueux sur cette cruelle et dernière entrevue d'une famille éplorée dans son immense et incomparable malheur. Respectons les épanchements de ces cœurs si unis qui vont se séparer pour se retrouver dans un autre monde. Respectons ces adieux éternels de celui qui va mourir d'une mort ignominieuse quand il est plein d'innocence. Respectons les derniers devoirs de cette àme pieuse, aussi pure qu'elle est digne de paraître devant Dieu; cette victime d'un peuple égaré dont le souvenir sera éternel.

Je crois devoir épargner également à mes lecteurs les détails affreux si connus de la fin suprême de ce roi

magnanime, moins à plaindre que les hommes coupables qui l'ont conduit dans cet abîme.

Voilà pourtant par quels actes atroces débutèrent les. républicains en France. Si beaucoup de Français ont pu l'oublier, il n'en est certainement pas de même du Dieu qui nous gouverne et qui connaît le bien et le mal; car si parmi les révolutionnaires de cette époque, il en est qui dans ce monde ont reçu leur châtiment, combien en est-il qui ont dù le recevoir dans l'autre, sans qu'on s'en soit aperçu. On aura beau dire, beau vanter les bienfaits et les avantages de la république, les crimes de ce temps sont autant de taches imprimées sur son front qui ne s'effaceront jamais! A quoi bon nous parler du patriotisme, de l'amour du peuple, du désintéressement, des vertus des républicains? Qui pourra y croire au souvenir de 1793, qui aura foi dans leurs sentiments, quand on se souviendra de leur cruauté, de leur despotisme abominable, des malheurs dont ils ont accablé la malheureuse France? Ah! s'il se trouve encore des approbateurs! où se trouvent-ils ? Ils se trouvent parmi les hommes sans cœur, les exaltés, les égarés, les ignorants, et le plus souvent dans les hommes sans conduite et sans aveu, toujours prêts à faire le mal. Si c'est avec ces éléments-là, républicains d'aujourd'hui, que vous croyez faire le bonheur de votre pays, vous vous trompez. Le souvenir des victimes, des martyrs de 93 est là qui vous arrêtera, et, bien que vous ne croyiez pas en Dieu, ce n'est pas moins lui qui, dans tous les temps, vous dira: « Non! vous n'irez pas plus loin! >>

CHAPITRE III

LE PREMIER EMPIRE.

Comme je viens de le faire au sujet de la Révolution, je n'entreprends pas d'écrire l'histoire de Napoléon Ier dans tous ses détails, tant sous le rapport de ses nombreuses conquêtes que de sa vie privée. Assez d'impor tants écrivains s'en sont acquittés pour qu'il reste la moindre utilité à s'en occuper de nouveau, si ce n'est d'apprécier dans leur ensemble ses actes administratifs.

En 1796, les souffrances de la nation et la misère du peuple étaient en effet si grandes et si générales, que la population commençait enfin à reconnaître que la république était loin d'avoir fait son bonheur. Le Directoire, composé d'hommes inexpérimentés, sans énergie et sans autorité, n'avait pu ranimer la confiance dans. le pays. Le gouvernement perdait donc chaque jour de sa force et de son prestige. On venait encore une fois de décréter des impôts forcés, ce qui mécontenta singulièrement tout le monde, et comme on ne voyait pas de termes à ce triste état de choses, différents partis s'agitaient de nouveau. Les anarchistes surtout se mon

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