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je me suis proposé d'appliquer le calcul à cette partie importante de la physique. Avant d'entrer en matière, je vais exposer avec quelques détails les principes qui servent de base à mon analyse, et faire connoître les résultats les plus remarquables. auxquels elle m'a conduit.

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Considérons un corps métallique, de forme quelconque entièrement plongé dans l'air sec, et supposons que l'on introduise une quantité donnée de l'un des deux fluides. En vertu de la force répulsive de ses parties, et à cause que le métal n'oppose aucun obstacle à son mouvement, ou conçoit que le fluide ajouté va être transporté à la surface du corps, où il sera retenu par l'air environnant. Coulomb a prouvé en effet, par des expériences directes, qu'il ne reste aucun atôme d'électricité dans l'intérieur d'un corps conducteur électrisé, si ce n'est toutefois l'électricité naturelle de ce corps tout le fluide ajouté se distribue à sa surface; il y forme une couche extrêmement mince, qui ne pénètre pas sensiblement au-dessous de cette surface, et dont l'épaisseur en chaque point dépend de la forme du corps. Cette couche est terminée extérieurement par la surface même du corps, et à l'intérieur par une autre surface très-peu différente de la première; elle doit prendre la figure propre à l'équilibre des forces répulsives de toutes les molécules qui la composent, ce qui exigeroit d'abord que la surface libre du fluide, c'est-à-dire, sa surface inté rieure, fût perpendiculaire en tous ses points à la résultante de ces forces; mais la condition d'équilibre de la couche fluide est comprise dans une autre, à laquelle il est nécessaire et il suffit d'avoir égard.

En effet, pour qu'un corps conducteur électrisé demeure dans un état électrique permanent, il ne suffit pas que la couche fluide qui le recouvre se tienne en équilibre à sa surface; il faut, en outre, qu'elle n'exerce ni attraction, ni répulsion, sur un point quelconque pris au hasard dans l'intérieur du corps; car si cette condition n'étoit pas remplie, l'action de la couche électrique sur les points intérieurs décomposeroit une nouvelle quantité de l'électricité naturelle du corps, et son état électrique seroit changé. La résultante des actions de toutes les molécules qui composent la couche fluide, sur un point pris quelque part que ce soit dans l'intérieur du corps, doit donc être égale à zéro ; par conséquent elle est aussi nulle pour tous les points situés à la surface intérieure de cette couche; la condition relative à sa direction devient donc superflue; ou, autrement dit, l'équilibre de la couche fluide est une suite nécessaire de ce qu'elle n'exerce aucune action dans l'intérieur du corps.

Il résulte de ce principe, que, si l'on demande la loi suivant laquelle l'électricité se distribue à la surface d'un sphéroïde de forme donnée, la question se réduira à trouver. quelle doit être l'épaisseur de la couche fluide en chaque point de cette surface, pour que l'action de la couche entière soit nulle daus l'intérieur du corps électrisé. Ainsi, par exemple, on sait qu'un sphéroïde creux, terminé par deux surfaces. elliptiques, semblables entre elles, n'exerce aucune action sur tous les points compris entre son centre et sa surface intérieure, en y comprenant les points mêmes de cette surface; on en conclut donc que, si le corps électrisé est un ellipsoïde quelconque, la surface intérieure de la couche électrique sera celle d'un autre ellipsoide concentrique et semblable à l'ellipsoïde donné, ce qui détermine son épaisseur en tel point qu'on voudra cette épaisseur sera la plus grande au sommet du plus grand des trois axes, et la plus petite au sommet du plus petit; les épaisseurs de la couche, ou les quantités d'électricité, qui répondent à deux sommets différens, seront entre elles comme les longueurs des axes qui aboutissent à ces sommets.

M. Laplace a donné, dans le III. livre de la Mécanique céleste (1), la condition qui doit être remplie pour que l'attraction d'une couche terminée par deux surfaces à-peu-près sphériques, soit égale à zéro, relativement à tous les points intérieurs; en supposant donc que l'épaisseur de cette couche devienne très-petite, on en concluera immédiatement la distribution de l'électricité à la surface d'un sphéroïde peu différent d'une sphère; mais ce cas et celui de l'ellipsoïde sont les seuls où l'on puisse assigner, dans l'état actuel de la science, l'épaisseur variable de la couche fluide qui recouvre un corps conducteur électrisé.

Lorsque la figure de la couche électrique est déterminée les formules de l'attraction des sphéroïdes font connoître son action sur un point pris en dehors ou à la surface du corps électrisé. En faisant usage de ces formules, j'ai trouvé qu'à la surface d'un sphéroïde peu différent d'une sphère, la force répulsive du fluide électrique est proportionnelle à son épaisseur en chaque point; il en est de même à la surface d'un ellipsoïde de révolution, quel que soit le rapport de ses deux axes; de sorte que sur ces deux espèces de corps, la répulsion électrique est la plus grande dans les points où l'électricité est accumulée en plus grande quantité. Il est naturel de penser que

(1) Tome II, page 37.

ce résultat est général, et qu'il a également lieu à la surface d'un corps conducteur de forme quelconque; mais quoique cette proposition paroisse très-simple, il seroit cependant très-difficile de la démontrer au moyen des formules de l'attraction des sphéroïdes; et c'est un de ces cas où l'on doit suppléer à l'imperfection de l'analyse par quelque considération directe. On trouvera, dans la suite de ce Mémoire, une démonstration purement synthétique, que M. Laplace a bien voulu me communiquer, et qui prouve qu'à la surface de tous les corps électrisés, la force répulsive du fluide est partout proportionnelle à son épaisseur.

La pression que le fluide exerce contre l'air qui le contient, est en raison composée de la force répulsive et de l'épaisseur de la couche; et puisque l'un de ces élémens est proportionnel à l'autre, il s'ensuit que la pression varie à la surface d'un corps électrisé, et qu'elle est proportionnelle au quarré de l'épaisseur ou de la quantité d'électricité accumulée en chaque point de cette surface. L'air imperméable à l'électricité doit être regardé comme un vase dont la forme est déterminée par celle du corps électrisé; le fluide que ce vase contient, exerce contre ses parois des pressions différentes en différens points, de telle sorte que la pression qui a lieu en certains points, est quelquefois très-grande et comme infinie, par rapport à celle que d'autres éprouvent. Dans les endroits où la pression du fluide vient à surpasser la résistance que l'air lui oppose, l'air cède, ou, si l'on veut, le vase crève, et le fluide s'écoule comme par une ouverture. C'est ce qui arrive à l'extrémité des pointes et 'sur les arêtes vives des corps anguleux; car on peut deinontrer qu'au sommet d'un cône, par exemple, la pression du fluide électrique deviendroit infinie si l'électricité pouvoit s'y accumuler. A la surface d'un ellipsoïde alongé, la pression ne devient infinie en aucun point; mais elle sera d'autant plus considérable aux deux pôles, que l'axe qui les joint sera plus grand par rapport au diamètre de l'équateur. D'après les théorêmes que je viens de citer, cette pression sera à celle qui a lieu à l'équateur du même corps, comme le quarré de l'axe des pôles est au quarré du diamètre de l'équateur; de manière que si l'ellipsoide est très-allongé, la pression électrique pourra être très-foible à l'équateur, et surpasser la résistance de l'air aux pôles. Ainsi, lorsqu'on électrise une barre métallique qui a la forme d'un ellipsoïde très-alongé, le fluide électrique se porte principalement vers ses extrémités, et il s'échappe par ces deux points, en vertu de de pression sur la résistance que l'air lui oppose. En général, l'accroissement indéfini de la pression électrique, en certains

son excès

points des corps électrisés, fournit une explication naturelle et précise de la faculté qu'ont les pointes de dissiper dans l'air non-conducteur le fluide électrique dont elles sont chargées

Le principe dont je suis parti pour déterminer la distribution du fluide électrique à la surface d'un corps isolé, s'applique également au corps d'un nombre quelconque de corps conducteurs soumis à leur influence mutuelle: pour que tous ces corps demeurent dans un état électrique permanent, il est nécessaire et il suffit que la résultante des actions des couches fluides qui les recouvrent, sur un point quelconque pris dans l'intérieur de l'un de ces corps, soit égale à zéro: cette condition remplie, le fluide électrique sera en équilibre à la surface de chacun de ces corps, et il n'exercera aucune décomposition du fluide qu'ils renferment dans leur intérieur, et qui s'y trouve à l'état naturel. L'application de ce principe fournira, dans chaque cas, autant d'équations que l'on considérera de corps conducteurs, et ces équations serviront à déterminer l'épaisseur variable de la couche électrique sur ces différens corps. S'il se trouvoit, en outre, près de ceux-ci, d'autres corps qui fussent absolument non-conducteurs, il faudroit avoir égard à leur action sur le fluide répandu à la surface des corps conducteurs; mais comme le fluide électrique ne peut prendre aucun mouvement dans l'intérieur des corps non-conducteurs, on n'auroit, par rapport aux corps de cette espèce, aucune condition à remplir, et le nombre des équations du problème sera toujours égal à celui des corps conducteurs.

Je me suis borné dans ce Mémoire à donner ces équations pour le cas de deux sphères de différens rayons, formées d'une malière parfaitement conductrice, et placées à une distance quelconque l'une de l'autre. Les deux équations que j'ai trouvées sont aux différences finies, à deux variables indépendantes et à différences variables: on les réduit d'abord à deux autres équations à une seule variable indépendante, et la solution du problême ne dépend plus que de leur intégration. Lorsque les deux sphères se touchent, ces équations s'intègrent sous une forme très-simple par des intégrales définies. C'est ce cas par ticulier que je me suis spécialement attaché à résoudre, et l'on trouvera, dans la suite de ce Mémoire, des formules au moyen desquelles on peut calculer l'épaisseur de la couche électrique en chaque point de chacune des deux sphères. Cette épaisseur est nulle au point de contact, c'est-à-dire que quand deux sphères s dont les rayons ont entre eux un rapport quelconque, sont mises en contact et électrisées en commun, le çalcul montre qu'il n'y a jamais d'électricité au point pa r

lequel elles se touchent. Ce résultat remarquable est pleinement confirmé par l'expérience, ainsi qu'on peut le voir dans les Mémoires que Coulomb a publiés sur ce sujet (1).

Dans le voisinage du point de contact, et jusqu'à une assez grande distance de ce point, l'électricité est très-foible sur les deux sphères: lorsqu'elle commence à devenir sensible, elle est d'abord plus intense sur la plus grande des deux surfaces; mais elle croît ensuite plus rapidement sur la plus petite; et au point diametralement opposé à celui du contact sur cette sphère, l'épaisseur de la couche électrique est toujours plus grande qu'elle ne l'est au même point sur l'autre sphère. Le rapport des épaisseurs de la couche électrique en ces deux points augmente à mesure que le rayon de la petite sphère diminue; mais cet accroissement n'est pas indéfini; il tend au contraire vers une limite constante que le calcul détermine, et qui est exprimée par une transcendante numérique, égale à 4,2 à-peu-près. Coulomb & aussi conclu de ses expériences que ce même rapport s'approche continuellement d'être égal à quatre et une fraction qu'il n'a pas assignée (2).

Lorsque l'on sépare deux sphères qui étoient primitivement en contact, chacune d'elles emporte la quantité totale d'électricité dont elle est recouverte ; et après qu'on les a soustraites à leur influence mutuelle, cette électricité se distribue uniformément sur chaque sphère. Or, j'ai déduit de mon analyse le rapport des épaisseurs moyennes du fluide électrique sur les deux sphères, en fonction du rapport de leurs rayons; la formule à laquelle je suis parvenu renferme donc la solution de ce problême de physique: Trouver suivant quel rapport l'électricité se partage entre deux globes qui se touchent, et dont les rayons sont donnés ? La formule fait voir que ce rapport est toujours moindre que celui des surfaces; de sorte qu'après la séparation des deux globes, l'épaisseur de la couche électrique est toujours la plus grande sur le plus petit des deux. Le quotient de cette plus grande épaisseur, divisée par la plus petite, augmente à mesure que plus petit rayon diminue; mais ce quotient tend vers une limite constante que l'on trouve égale au quarré du rapport de la circonférence au diamètre, divise par six, quantité dont la valeur est à-peu-près, ainsi, quand on pose sur une sphère électrisée une autre sphère d'un diamètre très-petit relativement au diamètre de la première, l'électricité se partage entre ces deux corps, dans le rapport d'environ cinq fois la petite surface à trois fois

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(1) Mémoires de l'Académie des Sciences de Paris, année 1787. (2) Mémoires de l'Académie des Sciences de Paris, année 1787, pag. 457.

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