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son élément; il ne tarderait pas à fondre sur les états voisins, et à y traîner nos enfans.

»Ne l'a-t-il pas refusée aux vœux du Corps législatif, et même à ceux des étrangers, cette paix qui, en offrant de s'asseoir sur les bords du Rhin, eût conservé à la France des conquêtes faites avant lui? Les rois assemblés, qui sont encore en armes, n'ont oublié ni ses entreprises ni ses succès, et la politique les portera peut-être à prévenir ses attaques...... Dieu! à quelles calamités notre pays ne serait-il pas en proie! L'âme la plus stoïque s'en effraie, car les imaginations sont encore éclairées par l'incendie de Moskou, et j'en vois la fatale lumière se réfléchir sur les colonnes du Louvre.

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» Mais écartons, messieurs, des augures aussi sinistres ; la petite armée dont il est environné cause plus de douleur que d'effroi maintenant que les premiers momens de surprise sont passés, tout s'agite. Nous nous sommes levés avec respect devant l'armée française, et ses nobles chefs nous assurent la délivrance. Tandis que vous vous promettez, immobiles sur vos siéges, ce calme, courage que l'histoire fit admirer chez les anciens, la jeunesse des écoles, comme en Prusse, comme en Allemagne, se précipite contre le même homme. La valeur des volontaires de toutes les classes est secondée par les gardes nationales, et les bataillons civils seront dirigés par les nobles soldats qui les soutiennent.

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Que les hommes de tous les partis oublient donc leurs ressentimens pour ne se ressouvenir que de leur qualité de Français ! Nous réglerons, nos différens après; mais aujourd'hui réunissons nos efforts contre l'ennemi commun. Que de petits peuples, que de simples villes, surmontant la première impression, irrités des menaces de la servitude, se sont subitement levés, et ont anéanti, aux pieds de leurs murailles, des armées bien autrement formidables qui leur apportaient un joug moins humiliant! Je n'ai pas le teinps de vous en citer les exemples; la mémoire émue les rappelle aisément quand on se trouve dans les mêmes occurences. Nous n'avons à craindre ni les mêmes forces auxquelles ces villes étaient exposées, ni des dangers aussi imminens.

» La nation est pour ainsi dire en armes dans ses gardes nationales. La population de Paris suffirait pour sauver la France, quand bien même l'armée fidele n'aspirerait pas à cueillir des lauriers encore plus beaux que ceux dont elle est couverte, des lauriers civiques!

> Nous sommes placés, messieurs, entre un opprobre éternel et un honneur immense : vous avez déjà frémi de la pensée du premier, tandis que, si la terre française engloutit son oppres

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seur, des jours brillans se leveront sur un peuple réconcilié avec son gouvernement, sous un roi protecteur de la liberté commune, et défendu par une armée rapatriée.

» Je

propose, messieurs, qu'il soit voté une adresse à Sa Majesté pour lui exprimer les sentimens de ses fidèles sujets et les vœux de la France. »

La Chambre adopte avec empressement la proposition de M. Lainé. De son côté la Chambre des Pairs s'occupait d'une semblable démarche auprès du trône. Voici les deux adresses.

ADRESSE de la Chambre des Pairs au roi, présentée par M. Dambray. - Du 17 mars 1815.

«Sire, les pairs de France ont été vivement émus du discours que Votre Majesté a prononcé du haut du trône. Elles ont retenti jusqu'au fond de tous les cœurs ces paroles si énergiques et si touchantes, qui expriment à la fois votre amour pour vos peuples et votre attachement à la Constitution que vous leur avez donnée ! Les sentimens qui animent la grande âme de Votre Majesté se sont déployés dans cette séance solennelle avec un uoble élan, qui ajoutait encore une plus vive empreinte au caractère auguste et sacré de votre promesse royale. Monsieur, votre digne frère, et tous les princes de votre sang ont voulu déposer aux pieds de Votre Majesté, en présence des deux Chambres, sous la simple garantie de l'honneur, leur serment de fidélité à la Constitution.

» Cette Constitution, Sire, est le gage d'une nouvelle alliance entre le peuple français et l'antique race de ses rois. Les plus sages institutions se sont associées aux plus illustres souvenirs; ils se prêtent un mutuel appui, et composent une puissance inébranlable. Quel insensé a pu croire qu'une nation généreuse, unie à son roi par des noeuds aussi forts, recevrait la loi de la violence et de la trahison ! qu'elle reconnaîtrait pour maître celui qui n'a usé du pouvoir que pour fouler aux pieds toute liberté, tout honneur, toute justice! celui contre lequel l'Europe indignée s'est levée tout en armes pour le rejeter de son sein!

» Ce que nous avons à défendre ce n'est pas seulement la sûreté de l'Etat, ce n'est pas la France contre l'invasion d'un ennemi; c'est toute l'existence de la patrie, c'est l'honneur national, c'est la gloire même de nos armées, cette gloire qui nous rendait si fiers, et que nous montrions encore avec orgueil aux autres nations au milieu de nos calamités intérieures et de l'op

pression tyrannique sous laquelle nous gémissions! Quel peuple eut jamais à combattre pour de si chers intérêts!

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Sire, c'est par une confiance sans bornes que nous devons répondre à la sagesse et à la fermeté dont vous donnez un si noble exemple. La Constitution met entre les mains de Votre Majesté toutes les forces et les ressources de l'Etat quand il s'agit de la défendre; et quels pouvoirs d'ailleurs ne trouvez-vous pas dans cet accord unanime de sentimens et de volontés qui rassemble autour du trône les représentans de la nation dans les deux Chambres, et dont nous venons ici vous apporter l'hommage! »

RÉPONSE du roi.

« Je reçois avec la plus vive satisfaction l'adresse de la Chambre des Pairs. Je n'ai pas moins de plaisir à voir la confiance qu'elle met en moi. Je la mériterai en employant toujours les moyens qui sont en mon pouvoir pour la sûreté de L'État. >>

ADRESSE de la Chambre des Députés au roi, présentée par M. Lainé. Du 17 mars 1815.

« Sire, nos larmes ont coulé lorsque Votre Majesté, s'exprimant en père et en roi, a parlé de couronner sa carrière en mourant pour son peuple. Dans ce moment, à la fois terrible et doux, il n'est aucun de ceux qui vous ont entendu qui n'ait désiré vous consacrer sa vie pour répondre à vos généreux sentimens. Bientôt tous les Français vont éprouver le même enthousiasme, et la France sera sauvée!

» La Chambre des Députés des départemens, Sire, vient porter au pied du trône l'hommage de sa reconnaissance. Elle a entendu avec confiance le serment solennel de votre auguste famille pour le maintien de la Charte constitutionuelle. Organe de la nation, la Chambre répond au noble appel sorti de la bouche de son roi : plus les peuples ont la garantie de leurs droits, plus ils sont pénétrés de la sainteté de leurs devoirs. C'est pour maintenir les uns et remplir les autres que les soldats et les citoyens courent aux armes. Il ne s'agit pas seulement, comme autrefois, de n'être pas la proie d'un ennemi étranger; il s'agit de ne pas subir le joug le plus dur et le plus humiliant!

» Pour sauver la France des maux qui la menacent, Votre Majesté demande que le concours des deux Chambres donne à l'autorité toute la force qui lui est nécessaire. Déjà Votre Majesté a pris contre notre oppresseur des mesures de sûreté publique ;

et quel Français pourrait jamais reconnaître les titres et les droits de souverain dans la personne de Napoléon Bonaparte, cet ennemi de la France et du monde? Oui, Sire, les deux Chambres viendront vous entourer, et se feront un devoir de concourir avec Votre Majesté au salut de la patrie et du trône! Découvrons la trahison partout où elle se cache; frappons-la partout où elle existe; comblons d'honneurs et de reconnaissance l'armée généreuse qui, défendant son chef, notre liberté, qui est aussi la sienne, va combattre ces soldats égarés que leur barbare chef porte à déchirer les entrailles de leur patrie!

» Mais, Sire, ces protestations des cœurs ne suffiraient pas, et nous supplions Votre Majesté de nous permettre de proposer à son intime confiance des moyens que nous croyons propres à ranimer de plus en plus l'espérance publique. Tandis que les Chambres prêteront ainsi au gouvernement, qui doit sauver la France, la force de la nation tout entière, vos fidèles sujets sont convaincus que le gouvernement concourra au salut public en se confiant à des hommes énergiques à la fois et modérés, dont les noms seuls soient une garantie pour tous les intérêts, une réponse à toutes les inquiétudes; à des hommes qui, ayant été à diverses époques les défenseurs des principes de justice et de liberté qui sont dans le cœur de Votre Majesté, et forment le patrimoine de la nation, sont tous également solidaires de la stabilité du trône, et des principes que l'ennemi public vient anéantir! »

RÉPONSE du roi.

« Je reçois avec une vive satisfaction l'expression des sentimens de la Chambre des Députés, et du concours qu'elle me promet dans ces circonstances difficiles; de mon côté elle peut être sûre que les instrumens que j'emploierai seront toujours dignes de la patrie et de moi. »

Le 18, dans sa dernière séance, la Chambre des Députés, prenant en considération une proposition faite et développée par M. le général Augier, la renvoya dans les bureaux pour y être délibérée sur le champ. Elle accueillit également, sur la proposition de M. Barrot, des considérans regardés comme nécessaires pour motiver les mesures réclamées par M. Augier. Ces deux projets, imprimés par ordre de la Chambre, forment en quelque sorte sa protestation.

CONSIDERANS proposés par M. Barrot.

<< La Chambre des Députés des départemens,

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Considérant que Bonaparte s'avance vers la capitale, suivi d'une poignée de soldats égarés, avec la prétention de remonter sur le trône de France; qu'une stupeur inconcevable et des trames criminelles ont secondé sa marche; qu'il est instant de l'arrêter pour prévenir une guerre civile des plus affreuses, et les entreprises que les puissances voisines pourraient tenter contre la France sous prétexte et à la faveur de nos dissensions;

» Considérant que la nation française s'était levée en masse en 1789 pour reconquérir, de concert avec son roi, les droits naturels et imprescriptibles qui appartiennent à tous les peuples; que la jouissance lui en est assurée par les Constitutions qu'elle a librement acceptées en 1791, en l'an 3 et l'an 8; que la Charte constitutionnelle de 1814 n'est que le développement des principes sur lesquels ces Constitutions étaient basées, et son application au système qui s'est établi à cette époque; Considérant que depuis 1791 tous les gouvernemens qui ont méconnu les droits de la nation ont été renversés, et que nul gouvernement ne peut plus se soutenir en France qu'en suivant très exactement la ligne des principes constitutionnels ;

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Que Bonaparte les avait tous méconnus et violés, au mépris des sermens les plus solennels et les plus sacrés;

Que, contre l'honneur et l'intérêt de la nation, il avait entrepris les guerres les plus injustes, et sacrifié pour les soutenir toutes les ressources de l'Etat en hommes et en argent ; enlevé à toutes les familles tout espoir de régénération, aux sciences, aux arts toutes leurs ressources;

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» Considérant qu'après avoir fait périr dans les neiges de la Russie la plus belle armée qui ait jamais existé; après avoir sacrifié, pour la campagne de 1813, tout ce qui nous restait de moyens de défense, et avoir mis la nation française dans la position la plus fâcheuse où elle se soit jamais trouvée, il refusa de renoncer aux pouvoirs qu'il avait usurpés, et de reconnaître les droits de la nation, qui lui offrait encore à cette condition, par l'organe de ses représentans, de le tirer de l'extrême embarras où il s'était mis;

» Considérant que, par l'effet de son obstination, le territoire français a été envahi en 1814 par des armées innombrables; que la France a été livrée à toutes les horreurs de la guerre; que dans ces circonstances malheureuses il fut du devoir des représentans de la nation de déclarer déchu de tout

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