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AFFAIRE DES TROIS ANGLAIS,

WILSON, BRUCE ET HUTCHINSON.

23 avril 1816.

AUCUN

UCUN des nombreux procès politiques, intentés depuis la restauration, n'a excité la curiosité publique plus vivement que l'affaire des trois Anglais, Wilson, Bruce et Hutchinson. C'est à l'occasion de leur affaire qu'on a commencé à donner des billets d'entrée, signés du président de la Cour d'assises et du procureur-général.

On a dû à cette mesure le choix brillant des personnages distingués de toutes les nations qui occupaient la première enceinte de la salle d'audience. Plusieurs Anglais de marque sont venus exprès de Londres pour assister aux débats; on y remarquait des princes, des ambassadeurs, des généraux, des pairs et des députés : la foule occupait le reste de la salle; un public innombrable assiégeait toutes les avenues du palais.

Quelle est cette cause en effet? tout y est extraordinaire ; la qualité et les relations des accusés, le genre du délit, les moyens de défense.

Ce sont trois étrangers, trois Anglais, dont l'un est général, décoré des croix de plusieurs ordres qui annonçent de nombreux services publics et particuliers; tous les trois appartiennent à de grandes familles, et jouissent dans leur pays d'une haute considération; ils correspondent familièrement avec ce qu'il y a de plus distingué dans toute l'Europe; ils ont l'estime et même l'amitié de plusieurs souverains dont ils produisent les lettres honorables.

L'action dont on les accuse, délit prévu par nos lois, est en soi-même un acte de générosité. Ils ont facilité sans autre I Même celui de la Porte Ottomane.

motif, disent-ils, que celui de l'humanité, à leurs frais, et en s'exposant à des dangers de plus d'une espèce, l'évasion d'un homme condamné à périr sur un échafaud. Cet homme esi sans doute un parent, un ami, une connaissance ou un compatriote au moins? Non, c'est un Français qu'ils n'avaient jamais vu ; ce Français vient se jeter dans leurs bras; il leur dit qu'il n'attend que d'eux son salut; à leurs yeux sa condamnation est injuste: d'ailleurs c'est un homme, il est malheureux.... il est sauvé! aussi se glorifient-ils du délit qu'on leur impute.

Jusque-là tout homme impartial ne pourra s'empêcher d'applaudir tacitement au motif qui semble avoir dirigé la conduite des trois Anglais. Mais écoutons l'accusation : on a saisi leur correspondance; on y a trouvé la révélation de leurs plus secrètes pensées, et l'an croit y voir que l'évasion de Lavalette et sa fuite hors de France ne sont, pour ainsi dire que l'accessoire d'un projet beaucoup plus coupable.

Ils se déclarent les chevaliers du genre humain; ils rêvent l'indépendance universelle; ils sont, dit-on, à la tête d'un complot dirigé en général contre le système politique de l'Europe et ayant pour but spécial de détruire ou changer le gouvernement français.

Tel fut en effet, dans l'origine, le caractère assigné à l'accusation; ce système avait même été adopté par l'ordonnance de la chambre du conseil.

Wilson, Bruce et Hutchinson, voulant rester unis dans leur défense, comme ils l'avaient été dans l'action pour laquelle ils étaient poursuivis, choisirent d'un commun accord Me Dupin pour leur avocat.

Le premier soin de ce jurisconsulte fut de s'instruire de toutes les circonstances du fait. Il se fit donner par ses cliens les détails les plus circonstanciés sur la part qu'ils avaient prise à l'évasion de Lavalette; et rédigea, pour fixer les fails, la relation de sa fuite hors de France.

Cette pièce a le double mérite d'une grande simplicité et d'une sévère exactitude. L'illustre Madame de Staël écrivait, le 17 décembre 1816, « qu'elle avait été très-intéressée » par la lecture de ce petit écrit. » Cette relation a paru dans le temps, avec la traduction italienne qu'en a fait la femme de l'auteur, qui, dans une affaire dont le souvenir est si honorable pour les dames, a voulu s'associer aux travaux de

son mari.

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L'accusation était assez menaçante pour mériter d'être conjurée dans son principe. Aussi, dès que l'ordonnance de la chambre du conseil fut connue, Mo Dupin s'empressa de

rédiger un mémoire où il réfute l'imputation gigantesque de ce complot prétendu subversif de tous les gouvernemens européens!.....

Ce mémoire fut aussitôt traduit en anglais ', et recherché avec avidité. Dans les deux premiers jours, il s'en vendit à Londres plus de dix mille exemplaires.

A Paris, il produisit l'effet qu'on s'en était promis; il dissipa ce fantôme de conspiration européenne, et fit réduire l'accusation à ce qu'elle devait être réellement, au chef d'avoir procuré l'évasion d'un prisonnier.

Ramenée à ces termes, l'accusation, sans entraîner le même risque pour les accusés, n'en offrait pas moins d'appât à la curiosité publique.

Elle augmenta encore par les scènes de l'audience.

On vit pour la première fois invoquer en France les principes de la jurisprudence criminelle anglaise, dans ce qu'elle a de protecteur pour les accusés.

On eut une idée nette de l'habeas corpus, lorsqu'on entendit Wilson et ses deux amis, réclamer contre l'odieuse pratique du secret, qu'ils qualifièrent de torture morale, substituée à la torture physique.

On apprit qu'un accusé n'était pas obligé de s'incriminer lui-même dans ses interrogatoires; et qu'il pouvait licitement se refuser à en accuser d'autres, lorsqu'on les entendit répondre à toutes les questions qui auraient pu compromettre des tiers: Notre mémoire n'est pas organisée pour trahir la confiance et l'amitié.

Dans leurs discussions à l'audience, soit avec le président de la Cour, soit avec l'avocat-général, ils prouvèrent que sans cesser d'être respectueux, l'homme accusé peut se défendre avec noblesse et fierté; et que si toute la force du pouvoir est du côté de l'accusation, toute la protection des lois doit environner la défense.

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Aussi la leur fut libre; et l'un des plus beaux mouvemens de l'orateur, qui voulait par là prévenir les interruptions, fut sans doute lorsqu'il s'écria : « Mais je connais ma nation; elle est grande; elle est généreuse; elle a le senti<< ment des convenances; elle sait bien qu'il faut que des étrangers, accusés parmi nous, soient défendus aussi libre«ment qu'ils le seraient chez eux par des avocats de leur << nation. »Après cela, toute interruption devenait impossible.

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1 Dans l'édition du procès donnée par Guillaume, cette traduction est placée en regard du texte.

Et en effet, les développemens de cette cause furent écou tés avec une attention qui ne fut troublée que par des applaudissemens, indiscrets sans doute, puisque la loi les réprouve, mais qui, par cela même, attestaient la puissance exercée par l'orateur sur un auditoire qui s'y laissait entraîner.

"

Aussi cette plaidoirie est une de celles qui ont fait le plus d'honneur à Me Dupin. L'histoire en conservera le souvenir. << En plaidant cette cause qui rappelait, au milieu des scènes sanglantes de cette époque, ce que la tendresse conjugale « avait de plus sublime et l'humanité de plus héroïque, « Me Dupin (disent les auteurs de la Galerie des contemporains imprimée à Bruxelles) porta dans toutes les âmes « l'attendrissement et l'admiration pour ses nobles cliens, et << obtint ainsi le triomphe le plus doux auquel l'éloquence << puisse aspirer. >>

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L'éditeur du Procès annonce que ce plaidoyer a été recueilli par le sténographe. Cela est possible. Tout nous porte néanmoins a croire qu'il avait été composé par écrit, au moins en grande partie. On n'improvise pas avec autant de fini et de précision: et dans les plaidoiries réellement improvisées dont la conservation n'est due qu'à la sténographie, si nous retrouvons toujours le nerf et le piquant qui caractérise la manière de Me Dupin, il est aisé de voir à certaine rudesse et à quelques négligences toujours inséparables des véritables improvisations, qu'elles n'ont pas ce moelleux de style et ce choix parfait d'expressions qui distinguent le plaidoyer pour les trois Anglais.

Au plaidoyer de Me Dupin, nous ajouterons comme un appendice de la défense, et peut-être aussi parce qu'il eut quelque part à leur rédaction, les discours prononcés par MM. Bruce et Wilson. Ces discours ont d'ailleurs fait époque, en ce que depuis, presque tous les accusés en matière politique ont voulu, à l'exemple des Anglais, mais souvent avec moins de bonheur, ajouter personnellement quelques phrases aux plaidoyers de leurs avocats.

A la suite on trouvera l'extrait de l'arrêt.

Le Procès entier, avec les interrogatoires, et plusieurs autres pièces dont quelques-unes sont très-intéressantes, a été publiée à Paris, chez Guillaume. Un vol. in-8°. Il a eu deux éditions. La dernière est beaucoup plus complète que la première.

MÉMOIRE

DEVANT LA CHAMBRE D'ACCUSATION

POUR

SIR ROBERT WILSON,

ET

MM. BRUCE ET HUTCHINSON.

PRIVÉS du secours d'une communication de pièces qu'ils n'ont cessé de solliciter depuis le commencement de leur procès, et qui leur a été constamment refusée, sous prétexte que cette communication pourrait compromettre le succès de l'instruction, en leur procurant la facilité de se justifier; sir R. Wilson, MM. Bruce et Hutchinson entreprendront cependant de discuter les motifs de l'ordonnance du 2 mars 1816.

Dans cette ordonnance, il est dit que « le nommé << Wilson, d'après ses aveux, et d'après sa corres

pondance dans laquelle il manifeste des opinions << condamnables et subversives de tout ordre social, « est suffisamment prévenu d'avoir concerté et ar« rêté, avec ses correspondans et complices, une ré

1 Arrêt de la chambre d'accusation du 9 mars 1816.

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