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professeurs et les étudians, et pour paralyser dans son exécution cette ordonnance du roi, qui promettait un enseignement plus complet, plus libéral, plus généreux ? »

Quoi qu'il en soit, M. Bavoux, d'abord atteint par des mesures académiques, vit son cours suspendu, et se trouva lui-même en butte à des poursuites judiciaires.

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Il fut renvoyé devant la cour d'assises comme « accusé d'avoir, par des discours proférés les 22, 24, 26 et 29 juin, << dans des lieux et réunions publics, provoqué à la désobéis<< sance aux lois. »

M. Bavoux choisit pour défenseurs MM. Persil et Dupin, ses amis, qui, en 1810, avaient concouru avec lui pour les chaires alors vacantes à l'École de droit.

Avant la plaidoirie, M. Dupin publia des Observations préliminaires, où l'on trouvait rassemblés, avec beaucoup d'érudition, une suite d'autorités et d'exemples très-remarquables, pour prouver que M. Bavoux, en critiquant certaines dispositions de nos lois, était loin d'avoir excédé les bornes dans lesquelles ce droit de critique avait pu s'exercer dans tous les temps. Les recherches que renferment ces observations leur ont mérité une durée qui s'étendit au delà du procès. Nous regrettons que les limites que nous nous sommes tracées ne nous permettent pas de les insérer ici.

M. Dupin ne s'est pas seulement distingué comme orateur dans cette cause, il y a donné aussi une preuve de son tact comme défenseur. S'attachant, dès le commencement des débats, à cette idée première que le délit était dans ce qu'avait dit le professeur à ses élèves du haut de la chaire, et non dans ce qu'il avait pu écrire chez lui sur un manuscrit resté dans son portefeuille, il exigea que chacun des témoins fût interrogé précisément sur le point de savoir « s'il avait en<< tendu M. Bavoux professer le mépris ou la désobéissance << aux lois. » Après plusieurs réponses toutes négatives, M. le président, lassé de demander à tous la même chose, et cependant toujours prié par l'avocat de leur adresser sa question, finit par lui dire : Eh! que ne la faites-vous vous-même ?

Il la fit donc, et avec une constance qui, amenant toujours les mêmes réponses, détruisait radicalement l'accusation.

En effet, toute la cause était là. M. Bavoux avait enseigné publiquement, en chaire, à l'École de droit, en présence d'une foule d'auditeurs; on devait donc le juger sur ses discours publics 1.

A toutes les interpellations qui lui étaient adressées, il pouvait répondre comme notre Sauveur Pourquoi m'interrogez-vous? Que n'adressez-vous vos questions à ceux qui ont entendu ce que je leur ait dit? Ceux-là seuls savent ce que je leur ai enseigné 2.

M. Bavoux fut acquitté à l'unanimité, et reconduit chez lui aux acclamations d'une foule de citoyens.

C'est dans ce procès qu'on a appris, de la bouche même du doyen, qu'il y avait à l'École de droit une tribune aux

écoutes.

Plusieurs élèves en droit traduits quelque temps après devant la police correctionnelle, comme prévenus d'avoir pris part aux troubles de l'École, et d'avoir résisté aux autorités civiles et militaires, ont également été défendus par M. Dupin, et acquittés.

1 Ego palàm locutus sum mundo; ego semper docui in synagogá et in templo, quo omnes Judæi conveniunt; et in occulto locutus sum nihil. SAINT JEAN, XXIII, 20.

2 Quid me interrogas? Interroga eos qui audierunt quid locutus sum ipsis. Ecce hi sciunt quæ dixerim ego. XVIII, 21.

RÉPLIQUE

POUR M. BAVOUX.

MESSIEURS,

En prenant la parole pour un professeur, un magistrat, un ancien émule devenu mon ami, je n'éprouve qu'un regret, c'est que mes forces ne me permettent pas de le défendre avec toute la chaleur d'âme que sa cause me fait éprouver.

Heureusement cette tâche est déjà presque entièrement remplie 1. En répondant à M. l'avocat-général, je passerai légèrement sur les fragmens du manuscrit qui ont déjà été réfutés. Je n'insisterai que sur les passages qui ont échappé au milieu de l'abondance des matières soumises à la première discussion.

On s'est plu, Messieurs, à vous présenter M. Bavoux comme un magistrat en rebellion obstinée contre les ordres de la justice. Il semble aux partisans de

Par le plaidoyer de M. Persil, qui avait parlé le premier.

1

l'obéissance passive, qu'un citoyen ne saurait se défendre sans être aussitôt coupable de révolte. Dès qu'il est accusé, il faut qu'il plie. On lui présente des fers, il doit tendre les mains pour les recevoir, ou bien coller ses bras près de soi, comme ces soldats du Nord qui présentent, avec une docilité que nous avons admirée, leurs joues aux soufflets que l'officier

veut bien leur donner.

Mais si toute résistance de fait est interdite, la résistance légale est constamment permise; et la première règle en cette matière, est qu'on n'agit pas d'une manière répréhensible quand on use du droit public: dolo non facit qui jure publico utitur.

Vous avez remarqué, Messieurs, que M. l'avocatgénéral s'est bien moins attaché à accuser M. Bavoux qu'à défendre M. le doyen; il semblait que celui-ci fût le véritable accusé. M. Bavoux, dit-on, a méconnu l'autorité du doyen, de son chef.

Il est vrai que M. Bavoux ne dit pas mon doyen, comme un soldat dit mon colonel; mais est-il vrai qu'il se soit révolté contre son doyen? Le doyen n'est pas le supérieur, le chef de ses confrères : cette qualité ne donne que le droit d'administration; elle n'est que temporaire; elle doit alterner entre les professeurs; et c'est par un abus qu'elle réside depuis si long-temps sur la même tête.

D'ailleurs le doyen n'est pas ici un simple témoin; il est l'adversaire direct et principal de M. Bavoux. Il le sera plus particulièrement encore après le procès jugé, devant la commission d'instruction publique.

I M. Boulage, en déposant, a dit constamment mon doyen.

Tom. x.

20

M. l'avocat-général s'est beaucoup étendu sur la question du tumulte; cependant M. Bavoux n'est pas accusé pour ce fait. On ne trouve à cet égard, dans le réquisitoire, que de simples réserves trop évidemment sans objet. Mais, même sur ce point, le résultat de l'instruction est tout-à-fait contraire à M. le doyen. Il est constant, en effet, que M. le doyen a connu d'avance le projet de siffler: projet louable, a dit M. l'avocat-général, mais projet évidemment blâmable, puisque c'était le projet de manquer de respect à un professeur. Or, M. le doyen n'a rien fait pour prévenir l'exécution de ce fâcheux projet.

l'avocat-général

En second lieu, M. l'avocat général est convenu que M. le doyen serait dans son tort, si M. Bavoux avait fait ce qu'il devait faire pour ramener l'ordre dans son cours: mais ne l'ayant pas fait, dit-il, le doyen a dû intervenir. Ces paroles, Messieurs, font la condamnation du doyen; car il résulte des dépositions des témoins, que le calme était rétabli quand M. le doyen est entré dans la salle, et que le trouble n'a recommencé et n'a été porté au comble que par sa présence. Au surplus, cette conduite du doyen sera examinée devant la commission d'instruction publique; elle fera probablement la matière d'un prochain règlement. On y définira les fonctions des doyens; on y décidera si leurs collègues sont sous leur dépendance, et peuvent être arbitrairement suspendus par eux; enfin on règlera s'ils peuvent user d'espionnage, s'ils peuvent avoir un œil-de-bœuf ouvert sur l'école, et une police domestique où ils fassent entrer jusqu'à leurs cuisinières.

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