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Je suis accusé du crime de haute trahison; tel est le titre de l'accusation: mais le sort de cette accusation est subordonné à la défense que j'y opposerai. Or, d'après l'article 299 du code précité, j'ai, par exemple, le droit d'articuler et de soutenir que le fait qui m'est imputé n'est pas qualifié crime par la loi, et je prouverai qu'en effet le code pénal (même à la sect. II du chap. 1er du liv. 3) ne renferme aucun article dont les termes me puissent être appliqués. Cette discussion tient essentiellement à ma défense : j'agiterai la question devant la cour de cassation, si l'on observe les articles 568, 569 et 570; je l'agiterai devant la chambre des pairs, s'il est décidé que ces articles doivent subir une modification. Mais toujours est-il que le droit d'élever cette question m'appartient éminemment, et qu'on ne peut rien statuer sur cette question, sans qu'au préalable j'aie été entendu.

Pareillement, ce n'est ni selon les règles et les principes suivis dans les tribunaux militaires, ni selon les règles et les principes usités dans les cours spéciales, que je dois être jugé au fond.

La procédure des cours spéciales, même en admettant qu'elle peut accidentellement devenir celle de la cour des pairs, ne préjuge rien au fond, ni sur le caractère du délit, ni sur la manière dont les pairs devront former leur opinion.

La qualité de maréchal de France, la circonstance que je commandais une division militaire, ne peut pas non plus entraîner la conséquence que je dois être jugé militairement.

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Le crime dont je suis accusé n'est ni un délit rement militaire, ni un délit de la classe ordinaire, c'est un délit complexe qualifié par la charte crime de haute trahison.

L'accusation de ce crime doit être jugée par la cour des pairs comme cour des pairs, c'est-à-dire avec la solennité, avec l'élévation qui appartiennent à une cour composée d'hommes d'État, dont la conscience, comme juges, ne peut être émue que par le sentiment intime et toujours profond du véritable intérêt de l'État.

Sans ces considérations d'un ordre supérieur, la charte n'eût pas réservé aux pairs de France la connaissance exclusive des accusations mentionnées aux articles 33 et 34 : elle en eût laissé la connaissance aux juges ordinaires.

Mais on a senti que des juges ordinaires ne verraient, ne traiteraient, ne jugeraient l'accusation que d'une manière ordinaire; tandis que les pairs, placés la charte dans une région plus élevée, verraient la chose de plus loin, parce qu'ils la verraient de plus haut.

par

C'est cette hauteur de vues, cette élévation de sentimens, qui doivent présider à la décision de mon procès. Les pairs ne me jugeront ni comme feraient des militaires assemblés pour juger une sentinelle endormie, ou un soldat déserteur; ni comme des juges spéciaux qui auraient à statuer sur le sort d'un contrebandier; ils me jugeront comme des hommes d'état, qui ont traversé une longue et terrible révolution, qui ont vu tant de formes de gou

Tom. x.

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vernemens se succéder d'une manière aussi rapide qu'imprévue; qui, comme moi peut-être, ont connu cette incertitude, cette anxiété, ce bouleversement d'esprit et d'âme qu'éprouve le meilleur citoyen, lorsqu'il voit ses compatriotes divisés par les factions, et prêts à déchirer eux-mêmes le sein de la patrie.

Ils apprécieront ma situation au 14 mars : et si quelques-uns sont assez sûrs d'eux-mêmes pour croire qu'à ma place ils eussent résisté à l'orage; d'autres, tout en me blâmant d'y avoir cédé, seront assez indulgens pour penser que mon cœur n'admit jamais la pensée du crime.

J'insiste d'autant plus pour que la chambre des pairs conserve à sa juridiction le caractère de noblesse et d'indépendance qui la distingue de toutes les autres juridictions, que le crime dont je suis accusé devait, suivant l'article 33 de la charte, être défini par une loi qui n'a pas encore été portée.

En effet, on ne peut pas dire que cet article se réfère aux lois précédemment portées : ces mots qui seront définis par la loi, indiquent évidemment une loi à faire et non une loi déjà faite.

Or, si cette loi qui devait définir les crimes énoncés en l'article 33, n'a pas encore été portée, et que cependant mes accusateurs persistent à me faire juger par des lois auxquelles cet article n'a pas prétendu se référer, dans des formes qui n'ont pas été instituées pour la chambre des pairs, qui, en plusieurs points même, répugnent à son organisation, et qui, par cette raison, ont paru exiger des modifications que je puis appeler arbitraires, puisqu'elles n'ont pas été

réglées par la loi; je n'ai donc d'espoir et de ressource que dans la grande latitude qui doit être laissée, soit à ma défense, soit au jugement que MM. les pairs en porteront en leur âme et conscience.

Dans ces circonstances, et par ces considérations, je conclus à ce qu'il plaise à messieurs les pairs me donner acte de ce que je persiste dans les conclusions par moi précédemment prises, et de ce que subsidiairement, et dans le cas seulement où il n'y serait pas fait droit; je me réserve 1o le droit de réclamer contre tous arrêts de mise en accusation, ou autres qui ont été ou qui pourraient être rendus en mon absence; 2o de proposer tous moyens de nullité contre la procédure tenue ou à tenir contre moi; 3o de prouver que le fait qui m'est imputé n'est pas qualifié crime par la loi; 4o que la chambre des pairs ne doit juger ni comme cour spéciale, ni comme tribunal militaire, mais bien comme chambre des pairs; 5o que je ne puis pas être jugé par des lois auxquelles la charte ne s'est pas référée, ni selon des règlemens qui n'ont pas le caractère législatif; 6o enfin je me réserve toutes mes exceptions, fins de non recevoir et défenses généralement quelconques, tant en la forme qu'au fonds.

Paris, ce 17 novembre 1815.

Signé, NEY.

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PRÈS la bataille de Waterloo, la fuite de Buonaparte et son abdication, l'armée française s'était ralliée sous les murs de Paris, bien décidée à s'y défendre, et à vendre chèrement sa vie à ceux qui oseraient l'attaquer dans ses lignes.

Mais bientôt quelques hommes sages cherchèrent à ébranler cette résolution, en représentant aux chefs que, si un premier avantage était probable, la supériorité du nombre promettait aux étrangers une revanche qui aurait pour suite inévitable la ruine de Paris et le massacre de ses habitans.

Les généraux des troupes alliées considérèrent eux-mêmes toute l'étendue des pertes que pouvait encore leur faire éprouver la valeur française réduite au désespoir! ils sentirent l'immense avantage de s'assurer, sans coup férir, une ville dont l'oc

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