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LA SOUSCRIPTION NATIONALE.

1er juillet 1820.

LE 26 mars 1820 fut portée une loi qui, dans certains

cas, permettait de détenir les citoyens sans jugement. C'était une de ces lois qu'on a nommées lois d'exception.

Plusieurs citoyens, frappés des malheurs individuels que cette loi leur paraissait devoir entraîner, proposèrent d'ouvrir une souscription nationale en faveur des citoyens qui seraient victimes de la mesure d'exception sur la liberté individuelle.

Tel était le titre du prospectus qu'ils firent imprimer. Il portait les signatures de MM. Lafitte, Lafayette, Dargenson, Kératry, Manuel, Casimir Perrier, Benjamin-Constant, le général Pajol, Gévaudan, Étienne, Odillon-Barrot, Mérilhou, Joly (de Saint-Quentin), Dupont (de l'Eure), et Chauvelin. Divers journaux répétèrent l'annonce de ce prospectus; chacun y joignit ses réflexions.

Le ministère, qui redoutait pour sa loi l'effet de la souscription, en fit poursuivre les auteurs; tous, à l'exception des pairs et des députés contre lesquels le procureur-général se contenta de faire des réserves, furent renvoyés à la cour d'assises, ainsi que les journalistes qui leur avaient servi d'écho.

Chacun d'eux choisit un défenseur.

Aux audiences des 29 et 30 juin, on entendit successivement maitres Jay, Rhumilly, Coffinières et Devaux pour divers journalistes; Me Mocquart, dont la plaidoyer pour Gossuin fut très-remarquable; Me Tripier pour Gévaudan; Me Darrieux, pour son collègue Odillon-Barrot; et Me Legouix, pour le lieutenant-général Pajol.

La discussion paraissant épuisée, les autres défenseurs, au

nombre desquels était M Dupin, avocat de son confrère Me Mérilhou, renoncèrent à plaider.

M. l'avocat - général de Broë ayant repris la parole, et cherché dans une seconde attaque à remettre l'accusation des chocs qu'elle venait d'éprouver, tous les défenseurs, d'un commun accord, chargèrent Me Dupin de répliquer dans l'intérêt général de la cause.

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La tâche était d'autant plus délicate, que venant après un si grand nombre d'avocats distingués, il semblait difficile de trouver à dire quelque chose de neuf. Mais notre orateur avait profondément médité son sujet; ses recherches lui avaient fait découvrir des autorités précieuses armé de ces matériaux, qu'il sut rattacher habilement aux objections du ministère public, il parut entrer dans une lice toute nouvelle, et s'en tira avec autant de bonheur que de distinction.

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Les signataires de la souscription et par conséquent Me Mérilhou, furent acquittés par arrêt du 1er juillet.

Les plaidoyers prononcés dans cette mémorable affaire ont été recueillis en un volume in-8° très-bien imprimé, chez les frères Baudouin, sous le titre de Procès de la Souscription nationale.

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On y rend compte de l'impression qu'a produite la réplique de Me Dupin. « Ce plaidoyer, disent les éditeurs, a excité << dans tout l'auditoire une sorte d'enthousiasme, que le res<< pect pour l'enceinte de la justice a seul empêché d'éclater << autrement que par des mouvemens d'approbation souvent répétés. Chacun des nombreux avocats qui assistaient à l'audience, faisait lire sur sa figure, qu'il jurait avec l'ora«teur de secourir les malheureux, de les défendre auprès <«< de l'autorité, et de déconcerter la délation. On a même remarqué qu'au moment où l'éloquent avocat parlait de l'hua manité qui porte quelquefois les juges à demander la grâce «< du malheureux que la sévérité des lois les force à condam«< ner, des larmes sont tombées des yeux de M. Moreau, de «< ce magistrat qui a si dignement présidé les assises, et qui, « dans cette même session, avait donné avec ses collègues « l'exemple touchant que l'avocat venait de rappeler. >>

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RÉPLIQUE

POUR M MÉRILHOU,

A M. L'AVOCAT-GÉNÉRAL DE BROË,

A L'AUDIENCE DU Ier JUILLET 1820.

Beneficio adfici hominem interest hominis.
Loi 7, au digeste, DE SERVIS EXPORTANDIS.

MESSIEURS

ESSIEURS LES JURÉS,

Je ne puis être de l'avis de M. l'avocat général, lorsqu'il a la modestie de croire qu'il est entré en lice avec des forces inégales. Non, non, les forces ne sont point inégales pour le ministère public, quand l'autorité de la vérité se joint, en lui, à l'autorité du magistrat...

S'il ne s'agissait que du talent oratoire, chacun de nous serait prêt à lui céder la palme mais il s'agit du salut de nos cliens, et la vérité des choses doit nécessairement l'emporter sur la pompe des rédactions... Eloquio victi re vincimus ipsâ.

M. l'avocat - général revient à la charge, il faut

donc lui résister encore : je le ferai, Messieurs, avec le sentiment le plus sincère d'estime pour sa personne et de respect pour le caractère public dont il est revêtu; mais, en même temps, avec cette franchise de contradiction dont la vivacité, chez moi, tient toujours à l'impression profonde d'une intime conviction.

Je m'étonne d'abord de tant d'insistance. Quoi! ni la pureté des intentions, ni la générosité des motifs, ni l'innocence des faits, ni la considération personnelle dont les prévenus sont environnés; ni l'intérêt si vif, excité en leur faveur par l'humanité, qui seule a présidé à leurs résolutions; au milieu des circonstances où le nombre de ceux qui sont malheureux, ou sur le point de l'être, fait de la pitié la divinité tutélaire de toutes les classes de la société 2 : rien n'a désarmer l'accusation!

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Des hommes de lettres, des généraux, des capitalistes, des pairs, des députés, des jurisconsultes; voilà les coupables! La science, la bravoure, la richesse, la dignité, l'éloquence, se sont associées pour le crime: elles ont souscrit en commun pour le soulagement des détenus!

Pourquoi faut-il, Messieurs, que le deuil qu'ins

1 L'innocuité (si ce mot était reçu) rendrait peut – être mieux l'idée.

2 « La vie de l'homme, dit Pausanias, est si chargée de vicissitudes, de traverses et de peines, que la Miséricorde est la divinité qui mériterait d'avoir le plus de crédit. Tous les particuliers, toutes les nations du monde, devraient lui offrir des sacrifices, parce que tous les particuliers, toutes les nations, en ont également besoin. »

pire une telle accusation s'accroisse encore pour nous de l'affligeante pensée qu'un membre de notre ordre est au rang des accusés? Rien n'aura donc pu le préserver de ce malheur : ni son intégrité doublement éprouvée dans la carrière de la magistrature et dans celle du barreau; ni la fermeté de son caractère qui le tient également éloigné de l'insubordination et de la servilité; ni son talent employé d'abord à juger ses concitoyens, et consacré depuis à les défendre!

Dans cette occurrence du moins, le secours de l'amitié ne lui manquera pas; celui qui défendit les autres avec tant de courage et de dévouement, ne restera pas indéfendu; et si je dois m'enorgueillir seul, entre tous, d'avoir fixé son choix, il doit s'applaudir à son tour d'avoir vu tous nos confrères, également zélés pour sa cause, se montrer prêts à le défendre, et m'envier l'honorable mission de plaider pour lui.

Qu'ils me soutiennent donc par leurs vœux, dans cette lutte où l'honneur de notre ordre et son indépendance se trouvent éminemment intéressés.

(Après cet exordre, MR Dupin fait remarquer les modifications que le ministère public lui-même a cru devoir apporter à son premier réquisitoire.)

M. l'avocat général abandonne la complicité; et cependant il confond perpétuellement dans sa discussion, et les écrits, et les prévenus.

Il accorde que le fait de la souscription, en soi, n'est pas criminel; il ne peut disconvenir que la rédaction en est modérée; et toutefois, au lieu de s'attacher au fait en lui-même, et de l'apprécier par l'in

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