Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][subsumed][merged small][merged small][ocr errors][merged small]
[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Quel que soit le point du globe, quelle que soit l'époque de l'histoire où on les observe, les hommes apparaissent toujours vivant en société et formant des groupes sociaux plus ou moins analogues à ceux qui existent autour de nous. En bas est la famille, groupe primordial, imposé par les nécessités mêmes de la nature physique; en haut l'État, association fondée sur une conception politique et ayant ce double caractère de posséder au dedans un pouvoir destiné à assurer le bon ordre par l'exécution des lois, et au dehors d'être sur un pied d'égalité ou au moins d'indépendance avec les autres États. Entre ces deux extrêmes se placent des associations intermédiaires : les unes comme les gentes romaines, les phratries de la Grèce, les clans de l'Écosse sont des survivants d'un état social antérieur ; les autres, comme autrefois par exemple les centaines et les dizaines des peuples saxons et scandinaves, comme aujourd'hui les municipalités, les provinces ou les dépar

tements, sont des créations postérieures qui ont pour but de faciliter le rôle du pouvoir central en divisant l'administration.

L'individu est lié à chacun de ces groupes sociaux par des attaches particulières qui lui imposent des devoirs et lui confèrent des droits. Il a, en effet, des droits et des devoirs spéciaux à comme membre d'une famille, il en a comme bourgeois d'une cité, comme habitant d'une commune; il en a d'autres enfin comme appartenant à l'État. Le lien qui unit l'individu à l'État, c'est-à-dire au groupe social suprême et indépendant, est ce que l'on appelle la nationalité.

Ce mot, aujourd'hui d'un emploi si fréquent, n'est pas en usage depuis bien longtemps dans notre langue'. Son apparition coïncide avec le grand changement opéré par le renversement de la monarchie traditionnelle de la France et l'entrée en scène de la démocratie. Sous l'ancien régime, la patrie n'était certes pas un vain mot. Dès l'âge héroïque dont la chanson de Roland est comme l'Iliade, le sentiment patriotique existe et c'est pour la France dulce que Roland tombe avec ses compagnons sous les coups des Sarrasins d'Espagne. A l'époque de la guerre de Cent ans, ce sentiment est déjà plus nettement dessiné, et, jusqu'à la révolution, il va toujours s'accentuant à mesure que l'union de nos provinces est plus fortement cimentée sous le sceptre de nos rois. Mais alors la France et le roi qui la personnifiait se confondaient en quelque sorte dans les esprits l'amour du roi occupait dans le patriotisme au moins autant de place que l'amour du pays. Ce sentiment

1 C'est dans l'édition de 1835 que le mot nationalité a figuré pour la première fois au Dict. de l'Académie française.

de fidélité et d'attachement chevaleresque à la personne du souverain est un legs du régime féodal qui dura jusqu'à la veille de 1789. Lorsque le renversement de la royauté eut détruit l'ancienne personnification vivante du pays, on la remplaça par une personnification d'ordre moral, la nation. C'est à la nation désormais qu'on voue l'amour et la fidélité jadis voués au prince: on va jusqu'à lui rendre une sorte de culte. Les événements tragiques et glorieux de la révolution et de l'empire, en développant l'idée de la cohésion et de la solidarité entre les membres de la patrie française, contribuèrent pour une large part à exalter le sentiment national.

Nos doctrines se propagèrent hors de la frontière française et envahirent l'Europe. Les vaincus, les opprimés s'en emparèrent; le races écrasées ou divisées par le caprice des traités, par le hasard des guerres, commencèrent à avoir conscience d'elles-mêmes. Les peuples en vinrent à penser que les États qui se divisent le monde ne doivent pas être le résultat de la force brutale, et qu'à l'ordre de choses fondé par le sort des armes, devait succéder une organisation nouvelle, où il serait tenu compte de leurs aspirations. Une nation, en effet, dans le vrai sens du mot, n'est pas une agglomération d'hommes courbés sous un même sceptre par la chance de la victoire : c'est un groupe d'individus unis par la similitude des goûts, des usages, des intérêts, des sympathies, si bien qu'il règne entre eux une cohésion intime, une puissante solidarité qui leur fait souhaiter de vivre sous les mêmes lois, et de marcher ensemble aux mêmes destinées. L'identité de la race et de la langue et plus encore le souvenir d'un long passé commun contribuent grandement à créer une telle union, qui, lorsqu'elle existe, confère une sorte de droit naturel à

« PreviousContinue »