Page images
PDF
EPUB

6. III.

plus de trente millions de Français, autrefois divisés par tant de préjugés et de coutumes différentes, consentir solennellement les mêmes sacrifices, et se lier par les mêmes lois; en voyant enfin une grande nation, composée de tant d'hommes divers, n'avoir plus qu'un sentiment, qu'une pensée, marcher et se conduire comme si tout entière elle n'était qu'un seul homme.

4. Quels seront les effets de cette unité de législation établie par le nouveau code? Les esprits ordinaires peuvent ne voir dans cette unité qu'une perfection de symétrie; l'homme instruit, l'homme d'État y découvre les plus solides fondements de l'empire.

Des lois différentes n'engendrent que trouble et confusion parmi des peuples qui, vivant sous le même gouvernement et dans une communication continuelle, passent ou se marient les uns chez les autres, et, soumis à d'autres coutumes, ne savent jamais si leur patrimoine est bien à eux.

Nous ajouterons que les hommes qui dépendent de la même souveraineté, sans être régis par les mêmes lois, sont nécessairement étrangers les uns aux autres; ils sont soumis à la même puissance, sans être membres du même État; ils forment autant de nations diverses qu'il y a de coutumes différentes. Ils ne peuvent nommer une patrie commune.

Aujourd'hui une législation uniforme fait disparaître toutes ces absurdités et ces dangers; l'ordre civil vient cimenter l'ordre politique. Nous ne sommes plus Provençaux, Bretons, Alsaciens, mais Français. Les noms ont une plus grande influence que l'on ne croit sur les pensées et les actions des hommes.

L'uniformité n'est pas seulement établie dans les rapports qui doivent exister entre les différentes portions de l'État; elle est établie encore dans les rapports qui doivent exister entre les individus. Autrefois les distinctions humiliantes que le droit politique avait introduites entre les personnes, s'étaient glissées jusque dans le droit civil. Il y avait une manière de succéder pour les nobles, et une autre manière de succéder pour ceux qui ne l'étaient pas; il existait des pro

priétés privilégiées que ceux-ci ne pouvaient posséder, au moins sans une dispense du souverain. Toutes ces traces de barbarie sont effacées; la loi est la mère commune des citoyens, elle leur accorde une égale protection à tous.

3. Un des grands bienfaits du nouveau Code, est encore d'avoir fait cesser toutes les différences civiles entre les hommes qui professent des cultes différents. Les opinions religieuses sont libres. La loi ne doit point forcer les consciences; elle doit se diriger d'après ce grand principe, qu'il faut souffrir ce que Dieu souffre. Ainsi, elle ne doit connaitre que des citoyens, comme la nature ne connaît que des hommes.

On n'a pas cherché dans la nouvelle législation à introduire des nouveautés dangereuses. On a conservé des lois anciennes tout ce qui pouvait se concilier avec l'ordre présent des choses; on a pourvu à la publicité des mariages; on a posé de sages règles pour le gouvernement des familles; on a rétabli la magistrature des pères; on a rappelé toutes les formes qui pouvaient garantir la soumission des enfants; on a laissé une latitude convenable à la bienfaisance des testateurs; on a développé tous les principes généraux des conventions et ceux qui dérivent de la nature particulière de chaque contrat; on a veillé sur le maintien des bonnes mœurs, sur la liberté raisonnable du commerce, et sur tous les objets qui peuvent intéresser la société civile.

6. En assurant, par de bonnes lois, notre prospérité dans l'intérieur, nous aurons accru notre gloire et notre puissance au dehors. L'histoire moderne ne présente aucun exemple pareil à celui que nous donnons au monde. Le courage de nos armées a étonné l'Europe par des victoires multipliées, et il s'apprête à nous venger de la perfidie d'un ennemi qui ne respecte point les traités, et qui ne place sa confiance et sa force que dans le crime. C'est alors mème que la sagesse du gouvernement, calme comme si elle n'était pas distraite par d'autres objets, jette les fondements de cette autre puissance qui captive peut-être plus sûrement le respect des nations; je veux parler de la puissance qui s'établit par les bonnes institutions et par les bonnes lois.

CODE CIVIL

EXPLIQUÉ.

PRÉFACE.

CINQUANTE MILLE EXEMPLAIRES de mes Codes expliqués, écoulés en moins de dix ans, auraient pu me faire croire que ces ouvrages, augmentés à chaque édition de nombreuses annotations, avaient atteint le degré de perfection dont ils sont susceptibes; mais j'ai repoussé cette idée, et j'ai cru qu'il était de mon devoir, au contraire, de répondre par de nouveaux efforts à des suffrages si nombreux et si flatteurs.

C'est dans cette vue que j'ai fait subir, cette année, à mes Codes expliqués, de nouvelles améliorations plus importantes que toutes celles que j'avais faites jusqu'à ce jour, en introduisant, dans les notes, tous les arrêts importants de doctrine et de principes, qui constituent réellement la jurisprudence.

L'exécution de ce travail a exigé un temps considérable; car l'introduction, dans mes annotations, des arrêts que j'appelle arrêts-principes, m'a imposé de longues et fastidieuses recherches. Je dois ici, pour justifier cette importante innovation, remonter à l'origine de mes travaux sur les Codes.

La science du droit a cela de particulier qu'elle ne doit pas, comme les autres sciences, être exclusivement le partage d'un petit nombre d'adeptes; elle doit être étudiée, non-seulement par les personnes qui se consacrent à des professions dont cette science même est l'objet, telles que les magistrats, les avocats, les avoués, les notaires, les juges de paix, les huissiers; mais elle doit l'être encore par les nombreux fonctionnaires publics qui, sans avoir besoin de faire aussi souvent l'application des lois, ne peuvent cependant se passer de les connaître pour l'exercice de leurs fonctions. Tels sont les magistrats de l'ordre administratif. Enfin, elle ne peut

ROGROX. C. CIV.

être étrangère, en général, aux citoyens jaloux de connaître leurs droits et leurs devoirs, et à ceux qui veulent diriger eux-mêmes leurs affaires.

Mon but, en expliquant les Codes, fut, dès le principe, de faire un ouvrage qui convint à toutes ces classes de citoyens.

A ceux qui font du droit l'objet de leur profes sion, je voulais, au moyen d'explications claires, précises et substantielles, ouvrir une route qui les conduisit sans efforts à des études plus profondes et plus larges, et qui leur permit aussi, plus tard, de revenir sur leurs pas et de ressaisir les principes généraux que le temps efface si vite (1); quant aux autres citoyens, je voulais mettre la science du droit à leur portée et leur en donner une connaissance suffisante pour l'application plus rare qu'ils ont à en faire.

Pour parvenir à ce double résultat, je dus travailler sur les textes de lois et sur la jurisprudence, qui composent la science du droit.

Quant aux textes, pénétré de la justesse de cette observation de Montesquieu, que la loi est la raison du père de famille, et qu'elle doit être simple, claire et sans subtilité, je pensai que ces caractères n'étaient pas moins indispensables à tout ce qui a pour objet d'expliquer la loi; je m'attachai donc à suivre pas à pas les dispositions de nos codes, à les éclairer par les motifs qui les ont dictées, et, au besoin, par des exemples; je cherchai la clarté quelquefois en sacrifiant l'élégance du langage ou la stricte exactitude des termes; je fis précéder chaque titre de l'analyse des principes généraux qui le dominent; je donnai toutes les définitions que le législateur avait écartées comme inutiles dans les dispositions

(1) Indocti discant, et ament meminisse periti.

1

impératives de la loi; je rapprochai les uns des | obtiennent; si on veut les invoquer, il est néautres les articles qui s'expliquent mutuellement; cessaire de distinguer avec soin les temps, les enfin, en réunissant la théorie au texte, je m'ef-lieux, les personnes et les circonstances, et forçai de ne rien laisser d'obscur dans l'expression, ni dans la pensée du législateur.

Ce travail paraît avoir obtenu l'assentiment général, et je n'y ai fait que les changements commandés par les progrès toujours croissants de la science.

Mais quant à la jurisprudence, il n'en fut pas ainsi. J'avais bien, dès l'origine, emprunté aux décisions des cours souveraines et surtout de la cour suprême la substance des doctrines qu'elles renferment; mais je ne pouvais me dissimuler l'insuffisance de ces extraits; rien, d'ailleurs, ne les distinguait des explications; je n'indiquais ni les cours qui avaient rendu ces décisions, ni les sources où je les avais puisées. Je n'ignorais pas non plus que rien ne rebute l'esprit comme la simple et sèche indication d'une solution dont il ne peut se rendre compte; je sentais que non-seulement il fallait reproduire le motif de l'arrêt textuellement, mais encore qu'il devait être précédé de la question posée dans les termes les plus clairs et les plus simples, afin que par ce moyen, et la loi appliquée étant sous les yeux du lecteur, le sens de l'arrêt et la doctrine qu'il renferme fussent toujours faciles à saisir.

C'est ce nouveau travail que j'ai entrepris et qui n'offrait pas autant de difficultés que je l'avais d'abord pensé. Il n'est personne, en effet, qui, après quelques années d'exercice des fonctions si honorables de la magistrature et du barreau, n'ait pu se convaincre que cette masse considérable de décisions émanées de la cour suprême et des cours royales, et qui remplissent déjà plusieurs collections, composées chacune de trentesix volumes in 4o, doivent se diviser en deux catégories bien distinctes. La plus considérable embrasse les nombreux arrêts qui, reposent sur les faits et circonstances particulières de la cause: c'est de ces arrêts principalement qu'on peut dire avec raison, qu'ils sont bons pour ceux qui les

(1) Le savant et éloquent procureur général à la cour de cassation émet à peu près les mêmes idées sur l'importance des arrêts : « S'il existe une loi, à quoi peuvent servir des arrêts? Ou ils sont conformes à ses dispositions, et leur allégation devient superflue; ou ils en diffèrent en quelque chose, et la loi doit l'emporter sur les exemples contraires : Non exemplis, sed legibus judicandum. Il en serait autrement si la loi était obscure ou équivoque : alors on conçoit que des arrêts qui en auraient aplani les difficultés, expliqué les ter

encore leur autorité est-elle toujours très faible; car la moindre différence dans le fait, comme l'observe Dumoulin, en opère toujours une trèsgrande dans le droit Modica enim circumstantia facti inducit magnam juris diversitatem. L'autre catégorie comprend les arrêts qui ont tranché les questions de droit pur. Les faits n'ont qu'une influence secondaire, dans ce cas, sur le point en litige, qui s'en dégage sans effort: la question est nette; l'arrêt qui intervient offre le plus souvent, dans ses motifs, une interprétation claire et précise du texte de la loi. Ces arrêts, qui, pour la plupart, émanent de la cour de cassation, et que j'appelle arrêts-principes, parce qu'ils présentent presque toujours un déve loppement de principes lumineux et féconds, n'ont pas seulement une grande autorité, ils sont encore le meilleur commentaire des lois qu'ils expliquent ce sont ces arrêts, mais ces arrêts seulement, qui forment «ce dépôt de maximes, de décisions et de doctrines, qui s'épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s'accroît sans cesse de toutes les connaissances acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation.» (Discours préliminaire du projet du Code civil.)

Or, ce sont ces décisions (qui ont une grande analogie avec celles qu'on appelait autrefois arrêts notables, parce qu'ils étaient prononcés par les parlements, en robes rouges, après de mures délibérations) que j'ai entrepris de recueillir et de joindre à mes explications. J'ai pensé, et personne, je crois, ne sera tenté de me contredire, que la connaissance d'une décision qui explique la loi, qui en est le vrai supplément, n'est pas moins utile à l'étudiant en droit que la connaissance du texte même ; j'ai pensé que cette connaissance n'est pas seulement utile, mais qu'elle est encore indispensable aux magistrats et aux jurisconsultes consciencieux (1).

mes, développé l'esprit, seraient d'un secours proportionné à la solidité de leurs motifs. C'est en ce sens qu'un professeur moderne, assez entiché d'ailleurs de ses opinions individuelles, avoue cependant qu'il est FORT SATISFAIT, quand, après avoir établi un principe ou donné une solution, il peut l'ap puyer du suffrage de quelque cour et surtout de la cour de cassation. » DUPIN (Manuel des Étudiants en droit et des jeunes Avocats. 1 vol. in-18, Tarlier, 1835.)

« PreviousContinue »