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Une seule chose aurait pu m'arrêter, la difficulté de l'exécution, à raison du nombre des arrêts dont il s'agit, et du choix qu'il fallait en faire mais une expérience déjà vieille m'a appris que cette catégorie d'arrêts-principes est, comparativement à l'autre, très-peu considérable; et, comme par la nature même de ces arrêts, la position nette et précise de la question suffit, sans l'exposé des faits, pour l'intelligence de la doctrine renfermée dans les motifs, il en résulte que j'ai pu, sur ce point, être complet sans sortir beaucoup du plan primitif que je me suis tracé dans la composition de mes ouvrages. Quant au choix qu'il m'a fallu faire pour rejeter tous les arrêts dépourvus de doctrine et de principes, j'ai dù espérer que vingt ans d'études spéciales, et l'exercice d'une profession qui nous oblige constamment à la discussion dés arrêts, me mettaient à même de faire tout à la fois un choix exact et sévère, et de coordonner les décisions diverses de manière à présenter toujours sur chaque point le véritable état de la jurisprudence.

Au reste, le moment de faire ce travail m'a paru d'autant plus favorable, que nos Codes, dont les textes avaient tranché déjà les questions anciennement controversées, sont promulgués depuis assez de temps pour que les plus graves difficultés soient aujourd'hui résolues par la cour suprême.

Quelques esprits, plus impatients que les autres du joug d'une autorité quelconque, repoussent, je le sais, celle des arrêts, et nient, par suite, l'utilité des recueils de jurisprudence; mais le succès de ces nombreux et volumineux recueils répond suffisamment à leurs détracteurs : l'institution de la cour suprême, créée pour ramener les autres juridictions à l'unité de jurisprudence, leur répond plus éloquemment encore; car, nier l'utilité de la jurisprudence,

(1)« L'uniformité de jurisprudence, dit M. Dupin, est garantie d'ailleurs par l'institution de cette cour régulatrice, qui, prenant pour devise la loi, a pour mission de ramener à ce point, comme à un centre unique, tous les arrêts qui tenteraient de s'en écarter. Il en ré sulte que la jurisprudence n'est point, comme autrefois, vacillante, incertaine, contradictoire, diversifiée, suivant le caprice des cours et la différence des climats; ou du moins, que s'il existe une variété d'opinions sur quelques points entre les arrêts de plusieurs cours, cette divergence est de nature à cesser bientôt par un recours qui amène une décision de la cour suprême. » ( Manuel des Etudiants en droit et des jeunes Avocats.)

(2) C'est ici le heu de rappeler la réponse pleine de force et de raison que l'un de nos meilleurs arrétistes, M. Devilleneuve, adresse aux détracteurs des arrêts: ⚫ Sans doute un arrêt, quelque solennel qu'il soit, ne

c'est nier l'utilité de l'institution de la cour de cassation elle-même (1).

Il n'est pas inutile de prévoir ici quelques objections qu'on pourra soulever contre món travail. Peut-être dira-t-on qu'en plaçant sous les yeux des étudiants des arrêts qui ont pour eux l'autorité imposante des cours souveraines, c'est les habituer à admettre sans discussion, et, pour ainsi dire, comme des lois, des points controversés. Je pourrais d'abord répondre que je n'ai pas travaillé uniquement pour les étudiants en droit, et que les arrêts-principes que j'ai recueillis paraîtront sans doute très-précieux aux fonctionnaires pour lesquels mon travail est principalement fait; mais je crois pouvoir affirmer que ce travail sera également utile aux étudiants en droit; il leur suffira d'un peu de réflexion pour sentir qu'ils ne doivent pas, en effet, considérer comme des règles irréfragablés des décisions qu'on peut toujours combattre par des raisons contraires. C'est précisément pour cela que je ne me suis pas contenté, comme la plupart des annotateurs, de rapporter des sommaires d'arrêts, mais bien les motifs eux-mêmes, que les jeunes gens doivent étudier et peser comme ils étudient les opinions des auteurs; car l'opinion d'une cour souveraine, parce qu'elle émane de magistrats honorables et éprouvés, n'est pas moins digne apparemment des méditations des jeunes légistes que les opinions particulières que renferment les livres qu'on place entre leurs mains (2). Au reste, pour qu'ils pussent étudier séparément les arrèts ou les explications, je les ai soigneusement distingués, comme je le ferai remarquer tout à l'heure.

Peut-être accusera-t-on aussi mon travail de ne pas être assez complet; mais ce reproche ne me semblerait pas mieux fondé que l'autre. Pour les recueils de lois, il est vrai de dire que qui ne les a

doit pas être reçu comme un oracle; il ne doit pas imposer silence à la raison, ni interdire un nouvel examen; mais enfin il exprime aussi une opinion raisonnée, opinion qui, en prenant la forme d'une décision judiciaire, a du moins cet avantage sur les opinions particulières, qu'elle suppose la réunion d'un plus grand nombre de lumières, qu'elle n'a été admise qu'en grande connaissance de cause, à la suite d'une discussion contradictoire, stimulée par l'aiguillon d'un intérêt pressant, né et actuel, qui doit faire présumer qu'aucune considération n'a été négligée pour faire triompher le bon droit. A nos yeux donc, si quelque chose aujourd'hui peut faire faire un pas à une difficulté, c'est un arrêt, parce qu'un arrêt, depuis que la loi impose aux juges l'obligation de le motiver, peut aussi être une bonne raison qui, plus que toute autre, a pour elle toute garantie de vérité et de sagesse.»

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toutes n'a rien; mais on ne saurait en dire ant des collections d'arrêts qui ne peuvent nais renfermer toutes les décisions émanées des ours souveraines; d'ailleurs, je n'ai pas eu la prétention de remplacer, et encore moins de rendre inutiles, les recueils estimés qui, depuis trente-six ans, reproduisent les nombreux arrêts de la cour suprème et des cours royales: c'est toujours à ces sources fécondes qu'on doit recourir pour y puiser des lumières nouvelles et d'utiles enseignements. Mon but, à moi, et, si je l'ai atteint, je croirai encore avoir rendu un assez grand service, mon but a été de faire servir la doctrine, la science, répandues dans les motifs des arrêts que j'ai recueillis, à l'intelligence du texte sous lequel je les place; mon but a été de permettre aux étudiants en droit, aux nombreux praticiens qui malheureusement n'ont pu encore se procurer ces recueils, à raison du prix auquel les élèvent des frais considérables et le grand nombre de volumes, de s'initier aux principes développés dans une jurisprudence qui est le complément de la loi; mon but a été de permettre aux possesseurs mêmes de ces recueils d'allier, sans efforts et sans recherches, dans leur esprit, la jurisprudence qui interprète la loi à la loi elle-même; mon but enfin a été d'éclairer tous les citoyens sur leurs droits et sur leurs devoirs, à l'aide d'une jurisprudence qui leur démontre que telle prétention qu'ils pourraient vouloir élever, a été repoussée par des autorités imposantes.

Il me restait encore, pour exécuter complétement mon projet, à distinguer de mes explications les questions auxquelles se rattachent les arrèts : j'ai pensé, en effet, que tel étudiant voudrait se renfermer dans les explications, sauf à étudier plus tard la jurisprudence; tandis que tel praticien, au contraire, aurait besoin de trouver à l'instant mème, sous un article, l'arrêt qui forme préjugé pour une espèce semblable qui lui est soumise. Pour satisfaire à ces deux exigences opposées, j'ai indiqué toutes les difficultés qui ne sont pas de simples explications, par le mot QUESTION, en petites capitales, et l'énoncé de la question par des caractères italiques.

Chaque code est suivi d'ua Formulaire : ces formulaires sont utiles, non-seulement aux étudiants en droit qui peuvent, en jetant les yeux sur les formules, apprendre à mettre, pour ainsi dire, en pratique les règles et les principes des codes, mais encore à tous les citoyens, et particulièrement aux propriétaires qui, pour la direction de leurs affaires, ont bien voulu adopter mes Codes expliqués: en rapprochant des formules, auxquelles les renvois sont faciles, les articles des codes et mes explications, ils peuvent être assurés de ne commettre, dans la rédaction des actes qui se présentent tous les jours, aucune erreur capitale, avantage que ne sauraient offrir, je pense, à un mème degré, les ouvrages du même genre, consacrés uniquement aux modèles d'actes. Inutile de dire que j'ai soigneusement fait disparaître de mes formules toutes ces locutions barbares et surannées, qui jettent partout l'obscurité sans rien ajouter à la force des stipulations, pour la rédaction desquelles j'ai cru devoir puiser exclusivement dans les dispositions précises de la loi.

M. Dalloz a donné, en peu de mots, une idée si nette de mon travail, que je crois devoir transcrire ici sonjugement. « On connaît, dit ce jurisconsulte, le succès des Codes expliqués de M. Rogron. Ce succès est dû à une heureuse concision, jointe à une grande clarté de style, à un tact judicieux qui sait mettre en relief tout ce qui doit être rendu saillant, qui laisse en oubli ce que la raison la plus commune sait comprendre, et ce qui n'est, d'ailleurs, que la conséquence la plus naturelle des explications que l'auteur a soin de donner. M. Rogron a joint à son travail l'indication des principaux arrêts, des arrêts-principes, comme il les appelle. Ce travail, en recommandant davantage ses Codes expliqués à l'attention des jurisconsultes, ne peut qu'augmenter le succès dont ils jouissent à juste titre. »

J'aime à rappeler ici que M. Ortolan, qui a pris un rang si distingué parmi les jurisconsultes et les publicistes, par des ouvrages justement estimés, a bien voulu me seconder dans mes premiers travaux sur le Code civil et sur le Code de commerce.

CODE CIVIL.

TITRE PRÉLIMINAIRE.

(DÉCRÉTÉ LE 5 MARS 1803.—PROmulgué le 15 DU MÊME MOIS.)

De la Publication, des Effets et de l'Application des Lois en général.

ARTICLE PREMIER. Les lois sont exécutoires dans tout le territoire français, en vertu de la promulgation qui en est faite par le Roi. Elles seront exécutées dans chaque partie du royaume, du moment où la promulgation en pourra être connue.-La promulgation faite par le Roi sera réputée connue dans le département de la résidence royale, un jour après celui de la promulgation, et, dans chacun des autres départements, après l'expiration du même délai, augmenté d'autant de jours qu'il y aura de fois dix myriamètres (environ vingt lieues anciennes) entre la ville où la promulgation en aura été faite et le chef-lieu de chaque département (1).

Les lois. Voyez la définition au commencement de l'introduction. QUESTION. Les décrets impériaux qui n'ont pas été attaqués par le sénat dans le délai légal, comme inconstitutionnels, ont-ils continué d'avoir force de loi? La cour suprême a plusieurs fois jugé affirmativement cette question vivement controversée : « Attendu que le décret dont il s'agit a été publié et exécuté comme loi; que le caractère lui en a été reconnu par l'autorité politique, qui seule avait le droit de le lui méconnaltre; qu'il doit donc en conserver la force et l'exécution, jusqu'à ce qu'il ait été abrogé ou modifié par le pouvoir législatif, et que les tribunaux ne peuvent, sans violer les règles de leurs attributions, se refuser à en maintenir et appliquer les dispositions. » (12 déc. 1823.) Mais la même cour a jugé que le caractère de loi n'appartenait pas aux décrets rendus par l'impératrice MarieLouise, à laquelle « l'empereur n'avait délégué, par ses lettres patentes, qu'une portion du pouvoir exécutif proprement dit.» (13 mars 1832, ch. réun.)

De la promulgation qui en est faite par le Roi. Il existe une grande différence entre la sanction et la promulgation de la loi ; cette différence est indiquée par la Charte constitutionnelle elle-même, qui porte, article 18: Le Roi seul sanctionne et promulgue les

(1) Loi belge du 19 septembre 1831, sur la sanction et la promulgation des lois.-«Art. ler. La sanction et la promulgation des lois se font de la manière suivante : « Léopold, etc. (texte de la loi), mandons et ordonnons, etc.»-Art. 2. Les lois seront insérées au Bulletin officiel aussitôt leur promulgation, avec traduction flamande et allemande pour les communes où l'on parle ces langues; le texte français demeure néanmoins seul officiel.-Art.3.Les lois seront obligatoires dans tout le royaume

lois. La sanction, en effet, est l'approbation royale donnée à la loi : cette approbation consiste dans la signature du Roi au bas de la loi, et dans l'apposition du sceau royal. La promulgation est le mode d'après lequel la loi est connue des citoyens et devient obligatoire pour eux : ce mode consiste dans l'insertion de la loi au Bulletin officiel. Cette définition de la promulgation est conforme au sens naturel du mot promulguer; car promulgare signifie mettre devant le peuple, et la loi est mise devant le peuple lorsqu'elle est imprimée et insérée au Bulletin des lois. La promulgation est faite par le Roi, en ce sens que c'est par son ordre que l'insertion de la lui a lieu au Bulletin.

2. La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif.

=

D'effet rétroactif. La loi n'étant exécutoire, aux termes de l'article précédent, qu'en vertu de la promulgation, c'est une conséquence qu'elle ne puisse rétroagir sur le passé; autrement n'y aurait plus ni liberté, ni sûreté, ni propriété, puisqu'une loi nouvelle pourrait venir priver les citoyens de tous ces droits sacrés. Lors donc qu'une succession s'est ouverte sous l'empire d'une loi qui appelait tel parent à succéder, ce parent, recueillera, bien qu'une nouvelle loi, promulguée peu de temps après l'ouverture de cette succession, appelle un autre parent. Par la même raison, les droits des époux mariés avant la promulgation du Code, encore que l'exercice et la jouissance de ces droits ue s'ouvrent que postérieurement à cette promulgation, doivent être réglés d'après les dispositions, soit de leur contrat de mariage, soit des lois sous l'empire desquelles le mariage a été célébré. (Brux., 31 août 1831.) L'art. 4 du Code pénal renferme, quant aux crimes et délits, une disposition semblable à celle de l'article actuel, et les lois romaines exprimaient le même principe en ces termes : Leges et constitutiones futuris certum est dare formam negotiis, non ad facta præterita revocari. La règle de l'article 2 ne s'applique point aux lois interprétatives, parce qu'il est de la nature des choses que l'interprétation, qui n'est que la loi clairement expliquée, remonte au temps de la loi même; mais les jugements rendus en dernier ressort, et les transactions passées pendant que le sens de la loi était

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obscur, conservent tous leurs effets. Il faut bien remarquer aussi que la capacité des personnes est toujours dans le domaine de la loi; la capacité, en effet, résulte de l'état civil des citoyens or, cet état se rattachant à l'intérêt général, il devait toujours être au pouvoir du législateur de le changer et de le modifier, en raison des altérations que les mœurs peuvent subir, ou des nouveaux besoins de la société ainsi, quand un individu a atteint sa majorité sous l'empire d'une loi qui la fixe à vingt-un ans, si quelque temps après une loi nouvelle la recule jusqu'à Vingt-cinq ans, cette personne redeviendra mineure jusqu'à ce qu'elle ait atteint sa vingt-cinquième année : mais tous les actes qu'elle aurait faits en qualité de majeure jusqu'à promulgation de la nouvelle loi, seront valides. Le principe posé par notre article offre souvent beaucoup de difficultés dans son application à certaines matières dont s'occupe le Code : nous verrons, en expliquant ces matières, quelles sont, à l'égard de chacune d'elles, les règles consacrées sur ce point par la doctrine et par la jurisprudence. Observons seulement ici, avec la cour suprême, qu'il appartient à la loi de déroger à la loi antérieure, et de régir les faits qui se passent sous son empire; qu'elle peut, par conséquent, sans pour cela rétroagir, faire cesser le cours des intérêts que la loi antérieure faisait courir d'office, et ne les accorder pour l'avenir que sous les conditions prescrites par le droit commun, ou qu'elle trouve juste d'introduire. (Cass., 7 nov. 1825.)

3. Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire (1). Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.—Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger.

Les lois de police et de sûreté. Ce sont toutes celles qui font la matière du Code pénal, qui répriment les crimes, les délits, les contraventions de police, ete. Protégé par ces lois, l'étranger doit les respecter à son tour.

Les immeubles. Les lois qui régissent les immeubles, abstraction faite des personnes qui les possèdent, s'appellent réelles: telles sont les lois sur la distinction des biens et la propriété; les lois concernant les servitudes, les hypothèques, la prescription, etc. Ces lois s'appliquent même aux immeubles possédés par les étrangers; car la souveraineté est indivisible. Elle cesserait de l'être, si des portions d'un même territoire po vaient être régies par des lois qui n'émaneraient pas du même souverain : ansi un immeuble possédé par un étranger serait prescrit par trente ans en France (art. 2262, C. civ.), bien que dans le pays de cet étranger la prescription ne s'accomplit que par quarante ans. Notre article ne déclarant soumis aux lois françaises que les immeubles possédés par des étrangers, il faut en conclure que les dispositions qu'un étranger ferait de ses meubles devraient être régies par la loi du pays où il a son domicile : la raison en est que les meubles, n'ayant pas d'assiette fixe, ne peuvent être régis par d'autres lois que celles qui gouvernent la personne du propriétaire. Ce principe, toutefois, ne s'applique pas aux formalités à suivre pour saisir en France les biens d'un étranger : ce sont les formalités prescrites par la loi française qu'il faudrait observer, Il y a pour cela un motif spécial : c'est que les officiers de la force publique en France ne peuvent agir qu'au nom du Roi, et dans les formes prescrites par les lois françaises.

. Les lois concernant l'état et la capacité. L'état est la position des citoyens dans la société, une qualité à laquelle la loi attache certains droits, et d'où résulte la

(1) Voy. les lois belges du 22 septembre 1835 sur les expulsions des étrangers, et du 1er octobre 1833 sur les extraditions.

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capacité : l'état d'enfant légitime, d'enfant naturel reconnu, de majeur, etc. La capacité est le pouvoir de faire certains actes: la capacité de se marier, de tester, etc. Ces lois s'appellent personnelles, parce qu'elles sont inhérentes à la personne, et la suivent partout: ainsi, un Français sera majeur, à vingt-un ans même dans un pays où la majorité est fixée vingt-cinq. Il sera incapable de se marier sans le consentement de ses parents dans un pays où ce consentement n'est pas nécessaire. Dans la langue du droit, les lois personnelles se nomment stalul personnel, et les lois réelles statut réel. — Quant à la forme des actes par lesquels on dispose, c'est la forme du lieu où l'acte se passe qu'il faut suivre : Locus regit actum.

4. Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.

= Du silence. Si les tribunaux pouvaient, sous prétexte du silence de la lo, s'arrêter, la justice, première dette de la souveraineté, ne serait plus rendue au peuple. D'ailleurs, si la loi positive est muette, le juge peut interroger la loi naturelle, qui ne l'est jamais.'

De l'obscurité. Si, sous prétexte que la loi est obscure, les juges pouvaient recourir au législateur pour en avoir l'explication, l'administration serait accablée par une foule de questions particulières. Dans tous les cas, les juges doivent toujours rendre leur décision en ayant recours à l'interprétation par voie de doctrine, c'està-dire celle qui consiste à découvrir le véritable sens d'une loi obscure pour l'appliquer justement aux cas particuliers. On y parvient en consultant l'esprit de la loi, la jurisprudence, l'usage et l'équité.

Coupable de déni de justice. D'avoir refusé, dénié la justice.« Il y a déni de justice, lorsque les juges refusent de répondre les requêtes, ou refusent de juger les affaires en état ou en tour d'être jugées. » (Art. 506, C. pr.) Quant aux formes pour constater et poursuivre le déni de justice, voir art. 505 et suiv., C. pr. « Les peines sont une amende de 200 francs au moins et 300 francs au plus, et l'interdiction de l'exercice des fonctions publiques depuis cinq ans jusqu'à vingt. » (Article 185, C. pén.)

5. Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises.

=Générale et réglementaire. Générale, c'est-àdire obligatoire pour tous; réglementaire, c'est-à-dire qui soit une règle de conduite. Une pareille disposition serait une loi, et les juges ne doivent pas usurper le ponvoir législatif. Le Code pénal les déclare même dans ce cas coupables de forfaiture, et les punit de la dégradation civique. (Art. 127.) Ils ne pourraient donc pas ordonner que la décision qu'ils rendent dans tel cas s'appli quera désormais à tous les cas semblables, et les liera, eux et leurs successeurs. Ils ne pourraient pas non plus, en ordonnant à une administration de restituer des droits par elle indûment perçus, lui prescrire « de prendre des mesures pour que semblable restitution ait lieu désormais sans obstacle en pareille circonstance. »> (Cass., 7 juin 1830 et 17 juill. 1825!) — Enfin ils ne pourraient pas, lorsqu'une loi est obscure, l'interpréter par voie d'autorité; car l'interprétation par voie d'autorité consiste à résoudre les doutes et à fixer le sens d'une loi par une décision réglementaire, obligatoire pour les citoyens et les tribunaux. Cette décision réglementaire, en effet, est positivement interdite à l'autorité judiciaire par l'article que nous expliquons. Voyez, sur le pouvoir auquel cette interprétation appartient, sur les circonstances dans lesquelles elle a lieu, et sur les formes à suivre, nos explications sur l'institution de la Cour de

cassation, à la fin de l'Introduction. Autrefois les parlements avaient le droit d'interpréter les lois par voie d'autorité, et de rendre des décisions réglementaires et générales, qu'on appelait arrêts de règlement.

6. On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.

= Lois qui intéressent l'ordre public. Les lois d'or dre public sont celles qui ont principalement pour objet l'intérêt général de la société : comme elles ne concernent pas uniquement les intérêts particuliers des citoyens, ceux-ci n'y peuvent valablement renoncer : ainsi un mari ne pourrait renoncer à la puissance maritale, un père à la puissance paternelle; et les stipulations que ces personnes feraient à cet égard seraient nulles: Privatorum conventio juri publico non derogat. De même il est de jurisprudence qu'on ne peut acquiescer à un jugement qui prononce une interdiction, parce que l'ordre public est intéressé dans cette matière: un tel acquiescement n'empêcherait donc pas d'attaquer ce jugement par les voies légales, dans les délais fixés par la loi. (Poitiers, 5 août 1851.) Mais on peut déroger aux lois qui n'ont pour objet que des intérêts privés; par exemple, à une succession ouverte, à la prescription acquise, d'après le principe: Cuique licet renunciare juri in favorem suum introducto.

Nous devons naturellement rappeler à la fin du titre préliminaire, qui renferme des règles générales, les

principes sur l'abrogation des lois. Cette abrogation est expresse ou tacite expresse, lorsque la loi nouvelle abolit l'ancienne en termes formels; tacite, lorsque la loi nouvelle, sans abroger textuellement l'ancienne loi, renferme des dispositions incompatibles. Mais il faut bien remarquer que dans ce cas il n'y a d'abrogées que les dispositions positivement incompatibles avec la nouvelle loi, d'après le principe: Posteriores leges ad priores pertinent, nisi contrariæ sint. Il y a également abrogation tacite, lorsqu'un usage contraire ou le nonusage de la loi a lieu dans la généralité de l'État pour lequel la loi a été faite. C'est encore un principe que nous fournit la foi romaine Rectissime etiam illud receptum est, ut leges non solum suffragio legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur. Quelques auteurs contestent que l'abrogation par le non-usage ait encore lieu aujourd'hui ; cependant un arrêt de Rennes du 29 juin 1824, et un arrêt de cassation du 14 juillet 1825, paraissent avoir vu dans un usagé général et dans la jurisprudence l'abrogation de l'art. 9 de la loi du 25 ventòse an xi sur le notariat, qui exige, à peine de nullité, que les actes qui ne sont pas reçus par un notaire et deux témoins, le soient par deux notaires. Ces deux arrêts décident que l'acte est valable quoique signé ultérieurement par le second notaire, absent lors de la confection de l'acte, à moins, toutefois, qu'il ne s'agisse d'un testament. Mais il est de principe qu'une loi générale n'est pas censée déroger à une loi spéciale, lorsque la dérogation n'est pas formellement exprimée. (Cass., 26 août 1816.)

LIVRE PREMIER.

DES PERSONNES.

En droit, on distingue entre un homme et une personne: un homme est tout être humain considéré sans aucun égard aux droits que la loi lui garantit ou lui refuse. Une personne est un homme considéré suivant l'état dont il jouit, et d'où dérivent pour lui les droits et les devoirs. Chez les Romains, qui avaient consacré l'esclavage, la distinction était exacte, parce que l'esclave, dépouillé de toute espèce de droit, n'était pas, strictement parlant, une personne: c'était un homme, un être humain. Mais en France, où le mort civilement lui-même jouit encore de certains droits (art. 25, 53), la distinction n'est pas rigoureusement vraie. Le Code s'occupe d'abord des personnes; car les lois n'étant autre chose que des règles auxquelles les personnes doivent conformer leurs actions, sont faites pour elles : il était tout simple dès lors que le législateur commençât par traiter des personnes. Justinien avait aussi suivi cet ordre dans ses Institutes, et il en donne le même motif : Omne ejus personarum causa constitutum est.

TITRE PREMIER.

De la Jouissance et de la Privation des Droits civils.

CHAPITRE PREMIER.

De la Jouissance des Droits civils.

Les droits de l'homme en société sont politiques ou civils. Les droits politiques sont les droits, ou, en

d'autres terme, certains avantages dont les citoyens jouissent par rapport au gouvernement, et qui leur permettent de participer à la puissance publique ; savoir, de voter dans les assemblées électorales, d'être élus et admissibles à tous les emplois, à toutes les dignités, etc. - Les droits civils sont les droits ou certains avantages dont les citoyens jouissent entre eux, et qui leur sont garantis par la loi civile. Les principaux sont le droit de puissance paternelle ou maritale, tous les droits de famille, ceux d'être nommé tuteur, de succéder, de disposer de ses biens et d'en recevoir par donation entre-vifs et par testament. Les droits civils se trouvent particulièrement énumérés dans l'art. 25.

7. L'exercice des droits civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle ne s'acquiert et ne se conserve qué conformément à la loi constitutionnelle.

= Indépendant de la qualité de citoyen. C'est-àdire qu'on peut jouir des droits civils sans jouir des droits politiques: ainsi une femme jouit des droits civils, et ne jouit pas des droits politiques. Un domestique est dans la même position, aux termes de l'art. 5 de la constitution du 22 frimaire an vin. La qualité de citoyen est nécessaire seulement pour l'exercice des droits politiques. Quant à la manière d'acquérir cette qualité, le Code renvoie à la constitution de l'an viii, qui était alors en vi

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