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ses passions, quand il ne croit plus à aucune règle ? Quand un pareil homme aspire au pouvoir, peut-il avoir un autre but que celui de satisfaire à tous ses goûts? Que pourrait devenir un monde ainsi gouverné? L'histoire l'a déjà dit plusieurs fois. Voulons-nous donc lui donner le droit de le dire une fois de plus ? Pour rétablir la foi dans les lois de la Providence, il faut donc prouver que les malheurs que nous avons eu à subir, et qui ne sont rien encore en comparaison de ceux qui nous menacent, sont la suite nécessaire des fautes des hommes, et que la part la plus grande de ces fautes retombe à la charge de ceux qui avaient mission de les gouverner. Car, il faut le répéter, une société qui aurait été bien gouvernée ne pourrait pas tomber dans un état de confusion pareille à celle que nous avons sous les yeux.

Pour rétablir l'ordre, il faut en rétablir la base. Or, celle-ci ne peut être placée que dans les gouvernements. Cette vérité est tellement évidente pour tout le monde, que le siècle tout entier s'est mis à rechercher cette base. On semble croire que, cette base une fois retrouvée, la société pourrait se refaire et marcher toute seule. On oublie que des principes ne sont rien, s'ils ne sont pas mis en action. C'est ainsi qu'on avait voulu faire durer les monarchies, sans rester royaliste; comme on veut aujourd'hui fonder des républiques sans être républicain. C'est de même qu'on veut soutenir la religion, sans être religieux; je veux dire, sans remplir les obligations qu'elle impose. Et je n'entends pas seulement, par ces obligations, les pratiques qu'elle commande,

mais les sentiments qu'elle doit inspirer. Est-on religieux, quand la vérité n'a plus de culte? quand la parole donnée n'est plus obligatoire? quand le mariage n'est qu'un acte passé par-devant notaire, pour stipuler des intérêts, et quand c'est par des chiffres qu'on veut assurer l'avenir de ses enfants? Est-ce avoir de la religion, que de retenir le pouvoir sans l'exercer, soit parce qu'on répugne au travail qu'il impose, soit parce qu'on manque des facultés d'intelligence qu'il exige? Il ne faut donc absoudre ni les gouvernements qui ont failli, ni les hommes qui les ont portés à faillir; car ne pas les condamner, c'est mettre la Providence en question. Et quand les gouvernements ont été renversés et que les peuples se sont emparés du pouvoir, ce sont les peuples qu'il faut condamner, lorsqu'ils veulent le retenir sans savoir et sans pouvoir l'exercer; ou lorsqu'ils permettent à tous les ambitieux de se le disputer; ce qui mettra à son rétablissement un obstacle qui durera aussi longtemps que durera la lutte des passions qui veulent s'en emparer.

Je n'émettrai de blâme que ce qui sera strictement nécessaire pour la vérité que je veux prouver. Mais je veux dire et je veux prouver que les maux qui pèsent sur les hommes sont leur propre ouvrage ; et qu'il faut, pour guérir le mal, s'enquérir des causes qui le produisent. Je ne voudrais rien dire de plus, mais aussi rien de moins. Le blâme est plus facile à émettre, quand on peut l'appliquer aux hommes dans une acception collective, soit comme classes, soit comme peuples. Si cependant

je trouve, sur le chemin que j'ai à parcourir, des individus qui ont voulu ou qui veulent encore gouverner les nations, je dois me réserver le droit de parler d'eux, autant que me le commandera ma profonde conviction, qu'il faut, pour rendre plus vive la foi en Dieu, savoir rendre à l'homme ce qui est de l'homme.

Et, quand on dit que les maux infligés aux hommes sont la punition de leurs fautes, ce qui est vrai, il faut, au moins, savoir quelles sont ces fautes, et quels sont les coupables.

Les dogmes d'aucune confession chrétienne ne s'occupent des fautes commises dans la conduite des affaires temporelles de ce monde. Ces fautes font cependant le malheur des nations. Comme la justice, parmi les hommes, ne peut être qu'incomplète, il en résulte que les événements punissent les innocents et les confondent avec les coupables. Cette circonstance n'impose-t-elle donc pas à chacun le devoir de chercher à prévenir des fautes dont tous doivent être solidaires?

C'est le sentiment de ce devoir qui peut seul donner le courage d'exercer cette sorte de ministère public et qui devient en même temps l'excuse de celui qui ose l'entreprendre.

Les événements de l'année 1848 ont eu pour effet de produire un nouveau danger: celui du découragement. Aussi le premier besoin du moment actuel a-t-il été celui de reprendre courage. Les hommes qui avaient eu la force de tout renverser n'ont rien su fonder. Leurs armes de destruction étaient des idées. Ces idées, victorieuses, n'en sont pas

moins impuissantes. Elles manquent donc de vérité. Il faut dès lors, pour expliquer notre époque, faire deux choses : montrer les fautes et prouver les erreurs.

Parmi les événements graves, la révolution qu'a eu à subir l'empire d'Autriche est celui qui a le plus étonné. Il a été, en effet, difficile de comprendre comment un corps politique aussi considérable, qui s'était toujours maintenu sur la première ligne de résistance, a pu si facilement être renversé par l'ennemi qu'il n'avait cessé de vouloir combattre. L'illusion que produit la distance ne laisse pas à l'observateur la possibilité de distinguer les véritables causes des événements qui le frappent; il se trompe alors sur la nature des forces qui sont entrées en action. C'est ainsi qu'au premier choc l'Europe a dit l'Autriche est perdue. Et le vide que devait duire la chute d'un pareil corps fit faire fausse route à l'opinion publique et même à plus d'un gouvernement.

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Plus les événements sont grands, plus ils doivent nécessairement se rattacher à des causes positives. Et, quand ils arrivent d'une manière instantanée, c'est que ces causes agissaient depuis longtemps d'une manière, pour ainsi dire, occulte, et qu'elles ne peuvent être aperçues que par les hommes qui sont placés assez près d'elles pour les découvrir sous des dehors qui trompent l'observateur éloigné ou superficiel.

Les voies par lesquelles les pays entrent en révolution sont de différentes sortes. Pour le montrer, nous ne ferons le rapprochement que des deux plus

grands États du continent européen : la France et l'Autriche.

On ne sait que trop, et déjà depuis trop longtemps, comment la France est entrée en révolution. Elle était puissante, éclairée, riche de commerce et d'industrie, autant que les États l'étaient alors. Elle était fière d'elle-même. Elle se mettait au premier rang. Mais de nouvelles doctrines, adoptées par tous les hommes d'intelligence et de savoir, conduisirent tout son état social dans des voies nouvelles. On a dit la force de la révolution irrésistible, et on s'est servi de cet exemple de la France pour dire, depuis, aux autres peuples qu'il y avait en chacun d'eux une force à laquelle rien ne pouvait résister. Mais les uns n'ont pas remarqué, les autres n'ont pas voulu remarquer, que la révolution française de 1789 était déjà faite quand on la vit éclater. Elle se montra irrésistible, parce qu'aucun des principes de l'ancien ordre social n'existait déjà plus. C'est par la philosophie, par la littérature et par les mœurs, que s'était faite la révolution française. Quand elle fut proclamée, ce ne fut que la prise de possession de tout ce qu'elle avait déjà conquis. Elle n'a fait, depuis, que vivre du butin qu'elle avait fait alors, sans s'occuper d'ensemencer de nouveau le terrain moral duquel on avait tout déraciné. Ce peu de mots suffisent pour expliquer l'état dans lequel la France se trouve encore aujourd'hui.

La situation de l'Autriche en face de sa révolution est d'une nature entièrement différente. L'Autriche y a été amenée par des voies purement matérielles. Son histoire nous conduira mieux que

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