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rares. Aussi faut-il voir dans l'article 180 une pensée de restriction pour l'existence de la nullité.

En conséquence, nous déciderons que les erreurs qui ne portent que sur une ou plusieurs des qualités physiques, morales ou civiles de la personne, sur les sentiments qu'elle peut avoir ne sont jamais suffisantes pour entraîner la nullité du mariage. Nous le déciderions ainsi d'une manière absolue lors même que cette erreur serait le résultat de manœuvres frauduleuses du conjoint (comp. 310, Contr. de mar. Pothier.)

327. Si l'erreur porte sur la personne physique (substitution de personne) ou sur la personne civile (1 et 2o de notre exposition de faits) que décider?

L'erreur sur la personne physique, en supposant qu'elle se rencontre dans la pratique, est toujours une cause de nullité du mariage. Pour les uns, elle est destructive du consentement et fait ainsi disparaître un élément essentiel, en conséquence, le mariage est inexistant; pour d'autres, elle constitue une des erreurs prévues par l'article 180: le mariage est nul, parce que le consentement est vicié par l'erreur et la nullité est relative (renvoi au chapitre des nullités). Mais telle n'est pas le seul cas d'erreur prévu par l'article 180. Si l'on s'est trompé sur l'ensemble des qualités civiles de la personne, sur ces qualités qui l'individualisent et lui donnent une situation distincte, il y a encore erreur sur la personne, au sens de l'article 180, et le mariage, à cause de ce vice du consentement, est entaché de nullité relative. Cette solution se justifie par les deux considérations suivantes : 1o par la gravité de l'erreur dans laquelle est tombée la partie contractante; 2o par la nécessité où l'on est de restreindre dans les limites les plus étroites la liberté d'appréciation des tribunaux.

En conséquence nous admettons que la seule erreur susceptible de constituer un vice de consentement est une erreur sur la personne physique ou sur l'ensemble des qualités de la personne civile (1).

Nous préférons ce système absolu à toutes les distinctions proposées par les auteurs : il est le seul qui cadre avec le texte de l'article 180, le seul qui assure le repos des familles. Notre interprétation est confirmée par le refus du conseil d'état (séances des 28 janv. 10 et 18 fév. 1886), de s'associer à une proposition de modifier l'article 180, déposée au Sénat, et par la décision de la commission du Sénat, abandonnant toute tentative et modification de notre article. (Séance du Sénat 11 nov. 1886). Les cas dans lesquels l'erreur est une cause de nullité du mariage étant connus, il faut que l'erreur ait existé au moment du mariage et que l'époux tombé dans l'erreur agisse dans les six mois de la découverte de l'erreur.

(1) Comp. Cass., Chambres réunies, 22 avril 1862; Sir., 62, 1, 342.

328. Telles sont les conditions exigées pour la validité du mariage civil. Si l'une d'elles fait défaut, on dit qul y a empêchement à mariage; l'empêchement est dirimant, parce que sa violation entraîne la nullité de l'union contractée.

Y a-t-il d'autres empêchements dirimants, ou d'autres conditions nécessaires à la validité du mariage ? C'est là une seule et même question sous des termes différents.

Sans aborder les questions particulières qui se présentent ici et dont le développement complet sortirait du cadre de notre ouvrage, nous répondons qu'il n'y a pas d'autres conditions nécessaires à la validité du mariage.

Ces conditions, ne l'oublions pas, sont celles dont la violation entraîne la nullité du mariage. Pour qu'elles existent, il faut en effet, 1o un texte formel qui les mentionne et 2o un texte formel qui organise l'action en nullité, comme sanction de la règle posée. Si nous ne trouvons pas la réunion de ces deux conditions, nous disons qu'il n'y a pas condition nécessaire à la validité. C'est ainsi que nous décidons que ni l'impuissance, ni l'interdiction judiciaire, ni l'entrée dans les ordres (1), ni les vœux perpétuels, pour ne citer que les questions les plus controversées, ne constituent des empêchements dirimants au mariage.

$3.

Conditions nécessaires à la célébration du mariage

329. Les conditions nécessaires à la célébration du mariage sont les exigences légales indispensables pour procéder à la célébration, de sorte que l'absence de l'une de ces conditions justifie et explique le refus de l'officier de l'état civil de célébrer le mariage. Mais si la célébration a eu lieu, malgré l'absence de l'une de ces conditions, le mariage n'est pas nul de ce chef. C'est ce caractère qui distingue les conditions que nous allons étudier des conditions qui font l'objet de notre paragraphe 2.

L'une ou l'autre de ces conditions faisant défaut, le mariage est empêché; mais l'empêchement ici n'est que prohibitif, ce qui veut dire qu'il est de nature à arrêter, à empêcher la célébration du mariage, mais ne permet pas d'en poursuivre la nullité. C'est là une différence profonde avec l'empêchement dirimant, dont la violation permet toujours de demander la nullité du mariage célébré : chaque condition nécessaire à la validité du mariage (§ 2) constitue, si elle fait défaut, un empêchement dirimant et, chaque condition exigée pour la célébration du mariage ne donne naissance, si elle manque, qu'à un empêchement simplement prohibitif (§ 3).

(1) Cass., 25 janv. 1888. Sir., 88. 1, 193. Paris, 23 mars 1888. Sir., 88, 2, 131.

330. Quelles sont les conditions nécessaires seulement à la célébration du mariage? Dans l'ancienne jurisprudence française, le nombre en était très considérable; il a beaucoup diminué dans la législation moderne, bien qu'elles soient encore beaucoup plus nombreuses que les conditions nécessaires à la validité du mariage. Nous allons les parcourir successivement. 1o La plus importante de toutes est l'obligation où sont les futurs conjoints qui ont atteint la majorité prescrite pour la mariage, par l'article 148, de solliciter le conseil de leurs ascendants (art. 151, C. civ.).

La décision de la loi se justifie par le principe que les enfants doivent, à tout âge, honneur et respect à leurs parents. N'est-il pas convenable qu'au moment de procéder à l'acte le plus grave de leur vie ils sollicitent le conseil de leurs ascendants et, n'est-ce pas une marque de déférence que leur impose le respect qu'ils doivent avoir pour ceux-ci ? Remarquons le caractère du conseil à solliciter: tandis que pour le futur conjoint, mineur pour le mariage (art. 148, C. civ.), la loi exige le consentement des ascendants, sans lequel le maria ge ne peut pas être célébré, pour le futur conjoint majeur la loi se contente du conseil; peu importe l'avis des ascendants, on se borne à les consulter sur l'opportunité de l'union.

En outre si, au cas de l'article 148 un enfant se mariait sans le consentement des ascendants, le mariage contracté serait nul (art. 182 C. civ.); au contraire, au cas de l'article 151, s'il est passé outre au mariage sans le conseil des ascendants, le mariage n'en est pas moins valable, l'empêchement n'est que prohibitif.

331. La personne qui se marie, ayant atteint la majorité exigée par l'article 148 Code civil, doit justifier qu'elle ne le fait qu'avec le consentement de ses ascendants; et, à défaut de consentement, elle peut établir qu'elle a sollicité leur conseil. Cette justification se fait au moyen des actes respectueux. Les enfants de famille, ayant atteint la majorité fixée › par l'article 148, sont tenus, avant de contracter mariage, de de▾ mander, par un acte respectueux et formel, le conseil de leur père » et de leur mère, etc. » (art. 151, C. civ.).

Cette pratique de justifier par actes respectueux, que l'on a requis le conseil de ses ascendants, a été empruntée à notre ancienne jurisprudence (Édit de Henri II de 1556. Comp. Pothier, no 337 à 340 du Contrat de mariage). Abandonnée par la législation intermédiaire (loi du 20 septembre 1792), elle a été reprise avec raison par le Code civil, comme marque de déférence et de respect à l'égard de l'ascendant. Nous avons à nous poser les trois questions suivantes :

a) Dans quel cas les actes respectueux sont-ils nécessaires? b) En quelle forme doivent-ils être faits ?

c) Quels en sont les effets?

a) Dans quels cas les actes respectueux sont-ils nécessaires?

332. L'article 151 détermine les cas où les actes respectueux sont nécessaires. Il faut que le futur époux ait dépassé la majorité fixée pour le mariage par l'article 148, soit 25 ans pour les garçons et 21 ans pour les filles. Jusqu'à cette époque l'enfant doit justifier du consentement de ses père et mère; mais à partir de ce moment, s'il n'a pas leur consentement, il peut passer outre, sous la condition de justifier par un acte respectueux et formel qu'il a requis leur conseil.

Cette obligation de demander le conseil de ses ascendants pèse sur l'enfant naturel reconnu comme sur l'enfant légitime (art. 158, C. civ.), en faisant remarquer que pour l'enfant naturel il n'y a jamais d'ascendant qu'au premier degré.

Le décret du 24 mars 1866 relatif au mariage des condamnés transportés dans les colonies pénitentiaire, pour faciliter leur mariage, déclare « qu'ils sont dispensés des obligations imposées par les articles 151, 152 et 153 du Code Napoléon. » (Art. 1er du décret du 25 mars 1866). Cette . solution s'explique dans une certaine mesure, par la rupture des liens de famille, à la suite de la condamnation.

333. A quels ascendants doit être fait l'acte respectueux? La combinaison de l'article 151 avec l'article 148 donne la solution : l'acte respectueux doit être fait aux ascendants qui auraient à consentir au mariage, si l'enfant n'avait pas atteint la majorité visée par l'article 148. C'est donc par des règles identiques qu'il faut établir quels ascendants doivent consentir au mariage de l'enfant (148 et suiv., C. civ.) et quels ascendants doivent donner leur conseil (art. 151, C. civ.).

b) Quelles sont les formalités prescrites par les actes respectueux ? 334. L'ascendant, qui refuse son consentement à son enfant majeur (art. 148, C. civ.), sachant que ce dernier peut passer outre au mariage, ne veut que gagner du temps, espérant que le temps pourra faire changer les idées de son enfant et le faire renoncer à un projet que sa famille désapprouve. L'enfant, pour ne pas faire le jeu de l'ascendant, doit suivre avec le plus grand soin les formes voulues par la loi afin d'éviter que l'ascendant, en soulevant des contestations, ne prolonge encore la longueur de la procédure. « Le mieux en fait est de suivre tout simplement » les formalités consacrées par l'usage et les cautèles si minutieuses des > protocoles et des formulaires. (Demolombe, t. III, Du mariage, no 83 in fine).

Cette règle est d'autant plus importante à suivre dans la pratique, que l'article 154 du Code civil relatif aux formalités des actes respectueux est tout à fait insuffisant.

Une observation importante à présenter sur ce point, c'est que l'enfant doit, dans l'acte respectueux, employer les formes les plus respectueuses, les formules les plus conciliantes, sans quoi il s'expose à voir l'ascendant demander la nullité de l'acte respectueux. C'est ainsi qu'on a vu attaquer un de ces actes pour manque de respect, parce qu'il contenait les mots « somme et interpelle»; bien qu'on eût atténué les effets de ces expressions par la formule... prie, supplie humblement lesdits » père et mère, les somme et interpelle avec tout le respect possible de vouloir bien consentir... (Cass. 4 nov. 1807).

L'acte respectueux est un acte notarié ; la loi n'a pas voulu que cet acte fût remis par l'huissier; le notaire, confident et conseil de la famille, a paru qualifié pour remplir la mission de la loi. Aussi cet acte est-il soumis aux formes générales des actes notariés (loi du 25 ventôse an XI) et aux formes particulières prescrites dans notre article 154. Cet acte ne doit pas être assimilé à un ajournement, à un acte de procédure ordinaire, et, par exemple, sa nullité, peut être proposée en tout état de cause (1). On ne peut pas lui appliquer l'article 173 du Code de procédure civile. Le notaire porteur de l'acte est le représentant de l'enfant ; il se présente en son nom. Il y aurait les plus graves inconvénients à ce que l'enfant accompagnât le notaire sa présence pourrait irriter les. ascendants; aussi ne pouvons-nous accepter l'opinion des auteurs qui avaient soutenu cette solution.

Le notaire doit chercher à voir l'ascendant, puisque l'acte respectueux doit contenir la réponse de l'ascendant; il fera les tentatives nécessaires pour arriver à ce but. Si elles sont infructueuses, il procédera conformément à l'article 68 du Code de procédure civile. Le procès-verbal dressé par le notaire après l'entrevue avec l'ascendant doit contenir la réponse de ce dernier. Cette réponse doit viser exactement la question qui lui est posée par l'acte respectueux; l'ascendant doit donc dire s'il approuve ou désapprouve le mariage. Si l'ascendant, sans répondre formellement, demandait que l'enfant eût une entrevue avec lui et se retirât chez une personne déterminée etc, nous estimons que, légalement, ces demandes ne peuvent produire aucun effet l'enfant par l'acte respectueux a requis le conseil, il ne saurait appartenir à l'ascendant de paralyser le droit qu'a l'enfant de se marier.

Copie de l'acte respectueux est laissée à l'ascendant; il en est remis une à chacun des ascendants s'il y en a deux, lors même qu'ils habiteraient ensemble.

335. En quel nombre doivent être faits les actes respectueux ? Pour le garçon de 25 ans à 30 ans, et pour la fille de 21 ans à 25 ans,

(1) Paris, 19 nov. 1876, Sir., 77, 2, 111.

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