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CHAPITRE PREMIER

PUBLICATION DES LOIS

40. La loi promulguée, tout le monde lui doit obéissance; mais à partir de quel moment? En dehors des règles positives sur ce point, le bon sens nous dit que pour qu'un citoyen soit tenu d'obéir à la loi, il faut que cette loi lui soit connue ou soit réputée connue de lui; à partir de ce moment seulement elle sera obligatoire.

De là la nécessité de publier la loi.

Le système de publication a beaucoup changé, suivant les époques : 41. La loi du 14 frimaire an II exigeait que la publication de la loi fût faite dans chaque commune à son de trompe ou de tambour. Ce système avait donné lieu à de très nombreuses difficultés, en ce qu'il était très difficile d'établir que la publication de la loi avait été faite, à cause de la négligence des agents chargés de la publier.

La loi du 12 vendémiaire an II changea le système de publication des lois; à la place de la publication matérielle, elle organisa la publication présumée.

Pour comprendre le principe de cette loi, il faut savoir que les lois, décrets, règlements d'administration publique sont insérés dans une publication particulière, le Bulletin des Lois, créée par la Convention le 12 frimaire an II et maintenue par le gouvernement depuis cette époque : les actes de chaque gouvernement forment une série particulière du Bulletin. La loi du 24 vendémiaire an IV a voulu que la loi fût censée publiée, dans chaque département, du jour de l'arrivée au chef-lieu de la livraison du Bulletin qui la contenait.

42. Le Code civil, article 1er, § 2, modifia ce système (art. 1, § 2, C. civ.); se rattachant au mode de publicité par voie de présomption, il veut que la loi soit exécutoire, c'est-à-dire censée connue, un certain délai après la promulgation... elles seront exécutées dans chaque partie du » royaume, du moment où la promulgation en pourra être connue. » M. Portalis, dans la discussion, fit remarquer qu'avec les dispositions de la constitution du 22 frimaire de l'an VIII, ce système n'offrait aucun inconvénient, attendu que la loi était discutée dans les Chambres, que le vote était un fait connu de tous et que la promulgation devait intervenir dans les dix jours du vote. Tout le monde pouvait ainsi prévoir l'exécution de la loi, à date fixe.

43. Mais ce système ne pouvait pas s'appliquer avec la charte de 1814,

suivant laquelle le roi pouvait promulguer, quand il le voulait, la loi qu'il devait revêtir de sa sanction: aussi une ordonnance du 27 novembre 1816 vint-elle apporter à l'article 1 une modification, en statuant que le point de départ pour calculer le délai après lequel la loi devient exécutoire, court de la réception du Bulletin des Lois de l'imprimerie nationale, au ministère de la Justice (date toujours indiquée au Bulletin). Dans les cas où l'exécution de la loi était urgente, on procédait suivant les dispositions de l'article 4 de l'ordonnance de 1816 et des articles 1 et 2 de l'ordonnance du 18 janvier 1817. Article 4 de 1816: « Néanmoins dans les cas et les lieux » où nous jugerons convenable de hâter l'exécution, les Lois et Ordon› nances seront censées publiées et seront exécutoires du jour qu'elles › seront parvenues au préfet qui en constatera la réception sur un › registre. »

Et ordonnance de 1817... « Les préfets prendront incontinent un ar› rété par lequel ils ordonneront que lesdites Lois et Ordonnances › seront imprimées et affichées partout où besoin sera. »

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Article 2: Lesdites Lois et Ordonnances seront exécutées à compter » du jour de la publication faite dans la forme prescrite par l'article > ci-dessus. »

43. Conformément à ces textes combinés, et en laissant de côté les lois urgentes, les lois sont exécutoires en France en vertu de la promulgation qui en est faite par le Chef du pouvoir exécutif.

La promulgation faite par le roi sera réputée connue dans les départements de la résidence royale, un jour après celui de la promul› gation. › (Art. 1, C. civ.) Il faut entendre ces mots : dans les départements de la résidence royale, comme indiquant le département siège du gouvernement, aujourd'hui Paris. La promulgation n'est pas le point de départ du délai, mais la réception du Bulletin de l'imprimerie nationale au ministère de la justice (ord. de 1816). Il ne peut s'agir ici que de délais francs, c'est-à-dire de délais de 24 heures, jour légal de minuit à minuit. D'où il suit qu'une loi, insérée au Bulletin des Lois (réception au ministère de la justice) le 1er avril, est exécutoire à Paris le 3, la journée du 2, de minuit à minuit, formant le délai légal.

Et dans chacun des autres départements, après l'expiration du › même délai, augmenté d'autant de jours qu'il y aura de fois dix › myriamètres, environ vingt lieues anciennes, entre la ville où la promulgation en aura été faite et le chef-lieu de chaque départe› ment.» (Article 1er du Code civil.)

Pour appliquer l'article premier, on suit les dispositions de l'arrêté du 25 thermidor an XI, fixant les distances de Paris aux chefs-lieux de département.

Dans les départements dont le chef-lieu est à moins de dix myriamė

tres de Paris, la loi est exécutoire en même temps qu'à Paris ; pour les autres zones, un jour est ajouté au délai par chaque dix myriamètres de distance, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de fractions inférieures à dix myriamètres. (Comp. ord. royale du 7 juillet 1824) qui fixe à quatorze myriamètres cinq kilomètres la distance de Paris à Ajaccio et donne un délai de quinze jours pour la promulgation, délai qui aurait été le même. si Ajaccio avait été à cent quarante myriamètres exactement.

44. Ce système de zones concentriques, dans lesquelles la loi est exécutoire successivement, est bizarre, et entraîne dans la pratique des difficultés d'application; car, au même moment, l'ancienne loi est obligatoire encore dans les départements éloignés de Paris et la loi nouvelle dans les plus rapprochés; aussi beaucoup de pays ont-ils abandonné le système de l'article premier, en déterminant une époque fixe où la loi devient exécutoire pour tout le territoire (en Belgique dix jours après la promulgation). Pour parer à ces inconvénients pour des lois très importantes, le législateur a fixé lui-même l'époque où la loi deviendrait exécutoire et cela dans la France entière. (Loi du 23 mars 1855, art. 10: « La présente loi est exécutoire à partir du 1er janvier 1856. »)

45. Mais aujourd'hui, si l'article premier du Code civil n'est pas formellement abrogé, tout au moins a-t-il perdu la plus grande partie de son importance, depuis les décrets du gouvernement de la Défense nationale du 5 novembre 1870, promulgués au Journal officiel du 6, et de la Délégation de Tours du 11 novembre 1870. Ces textes ont introduit un système nouveau, relativement à l'exécution des lois, analogue à celui de la loi du 12 vendémiaire an IV.

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Article premier: « Dorénavant, la promulgation des lois et décrets › résultera de leur insertion au Journal officiel de la République fran»çaise, lequel à cet égard remplacera le Bulletin des Lois. Le Bulle» tin des Lois continuera à être publié, et l'insertion qui y sera faite » des actes non insérés au Journal officiel en opérera la promulga

» tion. »

En vertu de ce texte, l'article premier du Code civil reste applicable aux lois, décrets et règlements qui ne seraient pas insérés au Journal officiel.

Quant aux documents législatifs insérés au Journal officiel, la promulgation résulte de cette insertion, et la loi est censée publiée, puisque chacun a pu en avoir connaissance.

Article 2: - Les lois et les décrets seront obligatoires à Paris, un » jour franc après la promulgation... »

C'est le système du Code civil, avec l'indication du caractère du délai qui est un délai franc, et la disposition n'est applicable qu'à Paris, siège légal du Gouvernement.

• Et partout ailleurs dans l'étendue de chaque arrondissement, un ・ jour franc après que le Journal officiel sera parvenu au chef-lieu › de cet arrondissement. »

Par cette disposition, le système de l'article premier du Code civil est complètement renversé; le délai après lequel la loi est exécutoire est beaucoup plus court qu'avec l'ancien système; cette règle est plus que l'ancienne, en rapport avec la rapidité des communications. N'étaitil pas étrange, en effet, que la loi ne fût exécutoire à Marseille que plusieurs jours après qu'elle l'avait été à Paris, et cela malgré les moyens de publicité, qui portent à la connaissance de tous, et avec rapidité, les discussions des Chambres ?

46. Article 3:

Le Gouvernement, par une disposition spéciale, › pourra ordonner l'exécution immédiate d'un décret... Les préfets › et sous-préfets prendront les mesures nécessaires pour que les actes » législatifs soient imprimés et affichés partout où besoin sera. »

Il était nécessaire de réserver les cas d'urgence, pour rapprocher encore l'exécution des lois.

Par ce système, la promulgation faite, la loi devient exécutoire pour tous, qu'on l'ait connue ou non ; il suffit qu'on ait été en situation de la connaître. Cependant l'article 4 réserve aux autorités judiciaires ou administratives d'accepter l'excuse d'ignorance «< si la contravention a été commise dans les cinq jours francs, à partir de la promulgation; ce › sera à celui qui invoque l'excuse à en justifier, sous peine de subir les > conséquences de l'infraction (1) ».

47. Les règles que nous venons d'indiquer ne s'appliquent qu'à la métropole. Pour déterminer le moment où une loi devient obligatoire dans nos colonies, on suit des règles particulières; c'est ainsi que, pour l'Algérie, les lois, bien que promulguées en France, ne deviennent obligatoires qu'en vertu d'un décret spécial de promulgation; cependant si une loi ne fait que modifier une loi antérieure, elle s'applique de plein droit à l'Algérie sans promulgation spéciale, dès qu'elle a été promulguée en France (2).

(1) Comp. sur la promulgation et la publication un arrêt intéressant, Cas. crim., 5 nov. 1885; Sir. 87.1.233 à propos de la loi du 15 janv. 1884.

(2) Comp. Cas. crim., 27 mai 1886; Sir. 87. 1. 288 et nombreux arrêts.

CHAPITRE II

EFFETS DES LOIS. (art. 2 et 3, C. civ.)

48. Le législateur, dans les articles 2 et 3, pose les grands principes relativement à l'effet des lois, qu'il étudie par rapport au temps, aux personnes et aux lieux.

49. A. Quant au temps, la question est visée à l'article 2. « La loi ne dispose que pour l'avenir: elle n'a point d'effet rétroactif ». Ce principe n'est posé que pour servir de règle aux juges, dans les contestations portées devant eux, mais il ne lie pas le législateur. La constitution du 5 fructidor an III, article 14, interdisait au législateur de faire des lois rétroactives; depuis, aucune constitution n'a renouvelé semblable défense; donc, en vertu de la plénitude de ses pouvoirs, le législateur pourrait faire une loi régissant les faits passés antérieurs à la loi, comme les faits à venir; la loi serait peut-être désastreuse dans ses conséquences, mais il ne faudrait pas hésiter à en assurer l'entière application.

50. L'article 2 ne constitue qu'une règle, pour le juge, dans certaines questions qu'il peut avoir à résoudre; pour en comprendre la portée, il faut distinguer diverses hypothèses :

1° Il peut arriver, en premier lieu, qu'une loi ayant fourni une solution, les Tribunaux lui donnent une portée qui paraît exagérée ; le législateur pourra faire une loi interprétative de la première, en en fixant le sens: y aura-t-il à se préoccuper de l'article 2? Non. La loi interprétative fixe le sens d'une loi antérieure, fait corps avec cette dernière, de telle sorte que, pour les actes, tant antérieurs que postérieurs à la loi interprétative, il faut appliquer cette loi interprétative: l'article 2 ne peut intervenir dans la question (comp., loi du 21 juin 1843 sur l'interprétation de l'article 9 de la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat).

2o D'autres fois, le législateur, réglementant une matière à nouveau, et faisant une loi qui modifie la loi antérieure, peut indiquer lui-même quelle solution il faut appliquer aux faits qui se sont produits sous l'empire de l'ancienne législation, et dont les résultats peuvent se produire sous la nouvelle : les questions ainsi prévues se résolvent conformément aux règles posées par le législateur; ce sont là des questions transitoires (comp., art. 11, loi du 23 mars 1855; loi du 27 juillet 1884, sur le divorce, art. 4). L'article 2 n'a pas à recevoir ici son application.

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