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la loi locale était applicable à l'habitant d'une coutume voisine, et dans quelle mesure sa loi personnelle le suivait hors du territoire de la coutume. Pour trancher ces difficultés, les auteurs avaient formulé la théorie des statuts. Si dans sa formule et ses applications, elle soulevait, comme toute grande théorie juridique, des difficultés et des controverses, il y avait quelques principes qui étaient traditionnellement acceptés. Ce sont ces éléments qu'avait à sa disposition le législateur français. Dans quelle mesure les a-t-il appliqués? C'est ce que nous apprendra l'explication de l'article 3.

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61. L'article 3 comprend trois paragraphes distincts:

A. « Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent « le territoire (art. 3, § 1). »

Les lois, dit l'article 3: il faut entendre par là, non seulement les lois proprements dites, œuvre du pouvoir législatif, mais encore les décrets, arrêtés, règlements rendus conformément aux lois et émanés des autorités publiques compétentes. Toutes les lois qui assurent le maintien du bon ordre, la sécurité des personnes, le respect des propriétés, qui prescrivent des mesures de police ou de salubrité, rentrent dans cette catégorie des lois de police et de sûreté.

Ces lois obligent tous ceux qui habitent le territoire, c'est-à-dire le Français. C'est en vue de ses intérêts que la législation française est faite; c'est pour assurer le bon ordre dans la Société que les lois de police et de sûreté ont été édictées : aucun Français ne peut s'y soustraire. Elles obligent aussi l'Étranger; peu importe, qu'il se trouve en France, parce qu'il y a fixé son domicile, parce qu'il y réside, ou s'y trouve accidentellement. En entrant dans notre pays, l'Étranger jouit de la protection des lois françaises; il est tout naturel qu'il se soumette à leurs dispositions intrasti urbem, ambula juxta ritum ejus ». Qui ne voit, au reste, le trouble profond qui résulterait de la présence sur le sol français de personnes qui n'obéiraient pas à la loi française ? Quelle atteinte à la majesté de la loi pour les Français obligés de s'y soumettre!

62. Cette règle se justifie par le principe que nous indiquions tout à l'heure, à savoir, la souveraineté de la nation, maîtresse d'édicter les ois qu'elle croit utiles à sa sécurité et à son repos.

C'est là un principe traditionnel et qui se trouve formulé par toutes les législations; on en trouverait de très anciens exemples dans notre histoire du Droit: je me borne à l'application qu'en fit Louis le Débonnaire, en 815, à des réfugiés espagnols (1).

(1) Baluze Collection des Capitulaires, I, p. 550,

63.Cette règle présente une très grande importance pratique: elle ne s'applique pas seulement aux lois prohibitives, à la violation desquelles est attachée une sanction pénale, mais aussi à tout un ensemble de dispositions de l'ordre civil, qui ont pour objet le bon ordre social. C'est ainsi que les lois relatives aux actes de l'état civil, aux pouvoirs des parents sur la personne des enfants (droit de correction), à la protection des aliénés et des personnes faibles d'esprit, à l'obligation alimentaire, etc., bien que faisant partie des lois civiles, sont applicables à tous ceux qui habitent le territoire, aux Étrangers, comme aux Français eux-mêmes. Dans la jurisprudence, on trouve de nombreuses applications de ce principe.

64. Le Droit des gens, par respect pour l'indépendance des nations, apporte à l'application de l'article 3 des restrictions que nous ne pouvons que mentionner:

1o au profit du souverain voyageant en France;

2o des ambassadeurs des puissances étrangères accrédités en France; 3o des navires de guerre étrangers dans les eaux françaises, lorsqu'ils ont à leur bord une autorité pour faire respecter le bon ordre.

65. B. C. « Les immeubles, même ceux possédés par des Étrangers, sont régis par la loi française. »

« Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, méme résidant en pays étranger. » (Art. 3, § 2 et 3, C. civ.) Les deux derniers alinéas de l'article 3 doivent être rapprochés et expliqués en même temps. Pour en comprendre les dispositions, il faut se rappeler la théorie des statuts, telle qu'elle était acceptée dans l'ancienne jurisprudence. Si on discutait sur quelques-unes de ses conséquences, tout au moins avait-on accepté les deux propositions suivantes: si le statut (la loi) a pour objet principal les biens, la détermination de leur nature juridique et les droits dont ils sont susceptibles, le statut est réel et il s'applique, abstraction faite de la personne du propriétaire; s'agit-il d'un immeuble, qu'il appartienne à un Français ou à un Étranger, il est soumis à la même législation. Si au contraire le statut (la loi) a pour objet principal et essentiel de fixer l'état et la capacité de la personne, la loi est de statut personnel et suit la personne partout où elle se transporte. Acceptable ou non, cette théorie jouissait de la faveur générale au moment de la rédaction du Code civil; on peut même dire qu'il n'y en avait pas d'autre. Il résulte, de l'opposition des deux paragraphes de l'article 3, de la discussion de notre texte, tant au Conseil d'État qu'au Tribunat, que c'est cette théorie qu'on a voulu accepter (1).

(1) Portalis, Exposé des Motifs du titre préliminaire : « on a toujours distingué > les lois qui sont relatives à l'état et à la capacité des personnes d'avec celles

66. Reprenons chacune des dispositions de notre article:

Les immeubles, même ceux possédés par des Étrangers, sont régis par la loi française. »

Les biens, c'est-à-dire les objets qui présentent quelque utilité, sont divisés en biens meubles et biens immeubles. Les premiers, facilement transportables d'un point à un autre, sont l'objet de transactions multiples; les seconds constituent le sol même du territoire et les choses qui y sont attachées; ils étaient considérés dans l'ancien Droit comme la classe la plus importante, et dont il fallait assurer la conservation à la famille. (Comp. art. 517, C. civ. et les développements que nous donnerons au 2e livre sur cet article.)

En acceptant le 2e alinéa de l'article 3, le législateur français veut soumettre à la loi française les immeubles situés en France, quel que soit le propriétaire qui les possède, qu'il soit Français ou Étranger, peu importe c'est accepter le principe du statut réel. Cette règle en elle-même peut facilement se justifier: les immeubles constituent une partie des plus importantes de la fortune publique; ils forment le territoire même de la patrie; or, pour que le principe de la souveraineté de l'État, de sa sécurité, soit assuré et respecté, ne faut-il pas que l'État français, seul, puisse fixer les lois qui sont appelées à régir les immeubles?

67. Reste à déterminer quelles lois sont de statut réel, et partant, applicables aux immeubles avec le sens qu'y attache l'article 3, § 2. Le législateur s'est borné à poser le principe général, laissant à la doctrine. et à la jurisprudence la tâche de résoudre les difficultés d'application; aujourd'hui, on est d'accord sur les conséquences générales de la théorie. Font partie du statut réel, les lois qui ont pour objet la fixation de la condition juridique des immeubles; la détermination des droits réels que l'on peut avoir sur eux; les modes d'acquisition, de transmission, de saisie. C'est ainsi que s'appliquent aux immeubles situés en France, quel que soit leur propriétaire, les dispositions des articles 516, 524, 526, relatives à la distinction des biens et les articles 578 à 710 relatifs aux droits que l'on a sur les immeubles.

De même les lois relatives à la transmission des immeubles, à la publicité des actes d'aliénation (loi du 25 mars 1855), aux hypothèques qui peuvent les atteindre, à la saisie et à ses formes: toutes ces lois sont des lois de statut réel.

On a beaucoup discuté si les règles relatives à la transmission héréditaire, à la détermination de la part de chaque héritier, au partage,

» qui règlent la disposition des biens. Les premières sont appelées personnelles » et les secondes réelles. (Locré, t. I, p. 304); tribun Faure, au Conseil d'État : > l'article 3 contient les principales bases d'une matière connue dans le droit » sous le titre de statuts personnels et de statuts réels. » (Locré, eod. loc. p. 317).

étaient ou non des lois de statut réel; nous n'hésitons pas à approuver l'affirmative, à laquelle s'est ralliée la jurisprudence: il nous semble que l'État français est intéressé, au point de vue politique et économique, à ce que les immeubles situés en France soient régis par les lois françaises de succession, de façon à arriver au morcellement du sol, et à sa répartition égale entre tous; et c'est avec raison que ces lois sont considérées comme des lois de statut réel.

L'application de cette théorie à certaines hypothèses de détail présente des difficultés; nous les étudierons sur les matières où elles se posent. 68. Par suite de l'indépendance des nations entre elles, le législateur n'avait pas à s'occuper de la législation applicable aux immeubles situés à l'étranger et possédés par des Français; s'il avait posé des règles à cet égard, comment aurait-il pu en assurer l'exécution? La solution de ces régles relève des législations étrangères.

69. L'article 3, § 2 (C. civ.) ne parle que des immeubles ; que décider par rapport aux meubles ? Quelle législation est applicable aux meubles appartenant en France à un Étranger? Le Code a gardé le silence sur cette question: nous pensons qu'il faut la résoudre par les distinctions traditionnellement acceptées. Il est certain que pour les meubles possédés par un Étranger en France, la loi française s'appliquera toutes les fois qu'il s'agira de la détermination de leur condition juridique, du point de savoir s'ils sont meubles ou immeubles; on l'appliquera encore pour résoudre les difficultés relatives aux droits qui pourraient les grever et aux actes les concernant, comme aussi aux règles relatives à leur saisie. La loi de la situation des meubles fixe la législation à suivre ; c'est à cellelà que les parties se sont probablement référées; mais si l'Étranger meurt, que décider de son mobilier? Ses immeubles sont dévolus à ses héritiers conformément à la loi française. La transmission du mobilier, sa distribution entre les héritiers n'offre pas la même importance pour l'État que la transmission des immeubles; aussi admet-on que la succession mobilière de l'Étranger en France est réglée par la loi de son pays. Mobilia sequuntur personam; toutefois, ce principe ne s'applique que réserve faite de l'application de la loi du 14 juillet 1819 (1).

70. Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. » (Art. 3, § 3, C. civ.) Le 3e alinéa est la contre-partie du 2o; il peut se traduire ainsi : les lois de statut personnel suivent la personne partout où elle se transporte. Donc le Français à l'étranger voit son état et sa capacité fixés par la loi française; par voie de conséquence, l'état et la capacité de l'Étranger en France sont déterminés par la loi de son pays. La justification de ce

(1) Poitiers, 4 juillet 1887, Sir. 88. 2. 193.

principe résulte de cette observation que la détermination de la capacité, de l'état de la personne, ne peut pas dépendre d'un accident, d'un déplacement de la personne, mais est faite en vue de la personne ellemême, de sa protection.

Quelles lois sont de statut personnel ? Ce sont les lois qui fixent l'état et la condition des personnes; les lois relatives à la majorité ou à la minorité, à la jouissance ou à la privation des Droits civils, les règles relatives à l'émancipation, au mariage, en un mot, presque toutes les lois qui forment le Ier livre du Code civil sont des lois de statut personnel.

71. Elles s'appliquent au Français partout où il se trouve, en France comme à l'étranger (1); par voie d'analogie pour déterminer la capacité d'un Étranger, son état, l'aptitude à faire tel ou tel acte, il faut interroger la loi de son pays, abstraction faite de son séjour plus ou moins prolongé en France et de la personne avec laquelle il contracte, qu'elle soit Française ou Étrangère. Mais à cet égard, il faut réserver le cas de fraude si l'Étranger avait trompé sur sa qualité d'Étranger, sur sa capacité, on pourrait ne pas tenir compte de la loi étrangère.

72. Cependant par application de l'article 3, § 1, si l'usage d'un droit de l'Étranger était de nature à troubler l'ordre en France, à blesser le sentiment public, on ne saurait en tolérer l'exercice. C'est ainsi qu'un Étranger, appartenant à un pays où la polygamie est autorisée, ne pourrait pas en France demander qu'on procédât à son mariage s'il était déjà marié et non veuf.

73. Cette théorie de l'article 3 se complète par une règle, dont les applications sont très importantes, locus regit actum.

Les actes sont les écrits constatant les conventions intervenues entre les particuliers. Ils sont soumis à des règles de nature diverse : les unes, intrinsèques, tiennent à la capacité des parties, à l'émission du consentement, aux principes applicables à l'opération juridique d'après sa nature; les autres, externes, tiennent exclusivement à la manière de dresser l'acte; elles en fixent la forme, déterminent les règles qui doivent présider à sa rédaction, s'il doit être authentique ou sous seing privé, etc.

Par application de la maxime Locus regit actum, on décide que le Français à l'étranger peut faire constater les contrats par lui faits, suivant la législation du lieu où le contrat est fait et, quelque différentes que ces règles soient de celles que prescrit la législation française, elles peuvent être suivies. (Art. 47, 170, 999, C. civ., 2128, C. civ.) Cette solution se justifie par un double motif: c'est d'abord, que les règles de preuves sont

(1) Applic. int. Cass. req., 8 juillet 1886, Sir. 87. 1. 449.

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