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TITRE PREMIER

DE LA JOUISSANCE ET DE LA PRIVATION DES DROITS CIVILS

Le titre I s'occupe de la personne, surtout au point de vue de la nationalité. Les matières qu'il aborde sont multiples: pour les embrasser dans leur étendue, nous suivrons la division ci-après :

Ch. I. Notions générales sur les personnes.

Ch. II. Comment s'acquiert la qualité de Français; les droits qui y sont attachés; comment elle se perd.

Ch. III. De la qualité de citoyen.

Ch. IV. Effet des condamnations pénales sur la situation du Français. Ch. V. De l'Étranger.

CHAPITRE PREMIER

NOTIONS GÉNÉRALES SUR LES PERSONNES

97. La personne est tout individu susceptible d'être investi de droits et qui peut être tenu à des obligations. L'état d'une personne, c'est-à-dire sa situation dans la famille, détermine l'étendue des droits dont elle peut être investie et des obligations auxquelles elle peut être tenue. Le fils légitime a des droits plus étendus que l'enfant né hors mariage. La situation de la femme mariée n'est pas la même que celle de la femme célibataire et majeure, etc. D'un autre côté, toute personne peut acquérir (suivant les modes d'acquisitions fixés par la loi) des droits plus ou moins éten. dus sur les choses qui l'entourent. Obtient-elle le droit de tirer d'une chose toute l'utilité dont elle est susceptible, on dit qu'elle a la propriété de la chose; n'obtient-elle que le droit de tirer une utilité limitée (en percevoir les fruits, y exercer un droit de passage), on dit qu'elle a 'un droit réel sur la chose; enfin, par suite de dispositions légales (203, C. civ. et suiv. 724, C. civ. etc.) ou comme conséquences de contrats et conventions librement consenties, une personne peut être investie du droit d'exiger d'une autre une certaine prestation (argent, choses de

genre, objets déterminés etc.): on dit que la personne qui peut exiger la prestation est créancière, et que celle qui est tenue d'accomplir la prestation est débitrice ou obligée. Le lien qui rattache le débiteur au créancier prend le nom de droit de créance.

Tous les droits dont une personne peut être investie, qu'ils tiennent à son état, qu'ils constituent des droits réels à son profit, ou de simples droits de créances, sont garantis au moyen d'actions, que le titulaire peut intenter pour en assurer l'exercice. (Renvoi à l'explication des articles 526 et 529, C. civ.)

La situation d'une personne peut donc être envisagée, au point de vue actif, c'est-à-dire au point de vue des droits dont elle est investie; au point de vue passif, c'est-à-dire des obligations dont elle est tenue. L'ensemble des droits actifs et passifs d'une personne forme son patrimoine.

98. Ces notions générales données, l'on peut présenter plusieurs classifications des personnes: au point de vue de la nationalité, il y a des Français et des Étrangers; au point de vue de l'âge, des mineurs et des majeurs etc. Nous allons envisager les personnes seulement au point de vue de leur nature: on les divise en personnes physiques et en personnes morales.

A. Personnes physiques.

99. Les personnes physiques sont les êtres qui nous entourent, nos semblables; ils ont une existence qui leur est propre et limitée dans sa durée, commençant à la naissance et se terminant à la mort. Les personnes morales, au contraire, sont des créations juridiques, des abstractions, qui ne tiennent leur existence que de la loi qui leur donne naissance, et disparaissent quand la loi leur retire l'existence qu'elle leur avait donnée.

Les personnes physiques ne peuvent être titulaires de droits que pendant leur existence, d'où il suit que la naissance, point de départ de leur existence civile, doit être déterminée avec soin, pour fixer le moment où elles commencent à avoir des droits, et aussi pour déterminer, dans la suite, leur capacité, d'après leur âge, etc. (Renvoi aux actes de l'état civil.)

Mais le fait de naissance ne suffit pas en Droit français. Pour que la personne physique soit apte à exercer des droits, il faut d'autres conditions qu'on peut ramener à trois principales: la naissance, la vie, la viabilité.

a) La naissance. C'est à ce moment que l'enfant, séparé de sa mère, a

une existence propre, et c'est en général à partir de ce moment qu'il est apte à avoir des droits. Cependant, avant sa naissance, et pendant la grossesse, l'enfant donne des signes non équivoques de son existence : aussi a-t-on pensé que toutes les fois qu'il s'agit de ses intérêts, l'enfant conçu peut être réputé né: infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ipsius partus agitur (frg. 26, Dig. 5, 1, de statu hominum), et ce principe a été accepté par le législateur français (art. 725 et 906, C. civ.).

Dans certains cas, on donnera à cet enfant, pour défendre ses intérêts, un représentant particulier, le curateur au ventre (art. 393, C. civ.), et l'on assurera sa protection par des peines très sévères contre l'avortement (art. 317, C. pénal).

b) La vie. Pour être investi de droits, il ne suffit pas que l'enfant soit né, il faut qu'il ait vécu, c'est-à-dire qu'il soit né vivant; les enfants morts-nés ne sont pas considérés comme des personnes et n'ont jamais eu de droits.

Comment constater que l'enfant a vécu? On s'accorde à reconnaître la preuve de la vie dans le fait, pour l'enfant, d'avoir respiré, sans exiger d'autres manifestations (1). C'est aux hommes de l'art, médecins et chirurgiens, de constater, suivant les données de la médecine légale, que l'enfant a respiré.

Peu importe du reste la durée de la vie chez l'enfant qu'il ait vécu plus ou moins longtemps, dès que la vie est constatée, l'aptitude à exercer des droits existe.

Quelquefois l'acte de naissance portera la mention que l'enfant a vécu : la force probante de cette déclaration se déterminera suivant la distinction qui sera développée sur l'article 45, au titre des actes de l'état civil.

c) La viabilité. Les rédacteurs du Code civil exigent, à côté de la naissance et de la vie, la viabilité. C'est par la réunion de ces trois circonstances que s'établit l'existence. La preuve de cette solution résulte de la combinaison des articles 725, 906 et 314 du Code civil, desquels il ressort que l'enfant né viable est le seul qui soit apte à recueillir des successions, à recevoir des libéralités par donations, le seul qui puisse être l'objet d'un désaveu de paternité.

Qu'est-ce que la viabilité ainsi exigée par les rédacteurs du Code civil, et en quoi doit-elle consister? Sur ce point, il existe dans la doctrine des divergences assez profondes. D'après quelques auteurs, la viabilité résulterait de ce fait que l'enfant est né au moins 180 jours après la conception, et voici par quel raisonnement on arrive à cette solution. Au titre de la paternité et de la filiation (art. 312, 313, 314 et 315 du Code

(1) Comp. Montpellier, 25 juillet 1872, Sir., 72, 2, 189.

civil) le législateur fixe la durée de la gestation la plus courte à 180 jours pleins, reconnaissant par là qu'alors seulement l'enfant peut vivre: donc, tout enfant né moins de 180 jours après la conception sera un enfant non viable (1). Nous ne pouvons accepter ce système: il étend les présomptions des articles 312 et suivants à la solution d'une question pour laquelle elles ne sont pas écrites; elle ne fait au reste que déplacer la difficulté. Comment prouvera-t-on que l'enfant est né dans les 180 jours de la conception? Est-il certain que les hommes de l'art puissent l'établir?

Aussi nous pensons que la viabilité existe, toutes les fois que l'enfant est né avec les organes nécessaires à la vie ; ce sera donc aux hommes de l'art à constater, par l'examen du cadavre de l'enfant, s'il était né viable ou non. Telles sont les trois conditions exigées pour que la personne existe légalement; peu importe les vices de conformation dont elle est atteinte, dès qu'on aura constaté la vie et la viabilité, on sera en présence d'une personne, au sens juridique du mot.

99. La personne apparaît à la naissance, elle disparaît à la mort à ce moment il ne peut plus être question pour la personne de droits à exercer. Mais que deviennent les droits dont elle était investie et qui constituaient son patrimoine ? Les uns présentent ce caractère particulier qu'ils sont attachés à la personne de leur titulaire et ne pouvant lui survivre (le droit d'usufruit, d'usage, d'habitation, etc.) s'éteignent avec elle; les autres droits, perpétuels de leur nature, sont transmis, du jour du décès du propriétaire, aux parents appelés par la loi à recueillir sa succession et se continuent dans leur personne avec le caractère qu'ils présentaient chez leur ancien titulaire.

B. Personnes morales

100. Les personnes morales sont des abstractions juridiques créées par la loi, et qui ne peuvent exister que suivant les conditions légales. Pour qu'il y ait une personne morale, il faut donc trouver le texte de loi qui en autorise l'existence.

§ I. Règles générales sur l'existence et l'extinction des personnes morales.

§ II. Principales personnes morales.

§ III. Règles qui leur sont applicables.

(1) Comp. Savigny: Système (traduct. Guenoux), t. II, 3e appendice et répertoire de Merlin. (Vo Vie, viabilite).

§ 1.

Règles générales sur l'existence et l'extinction des
personnes morales

101. Pour les personnes physiques, la naissance et la mort sont les points extrêmes de leur existence limitée; - pour les personnes morales, à quel moment commencent-elles à exister, à quel moment se place leur extinction?

Un principe, remontant au Droit romain, régit encore la création des personnes morales: leur existence ne peut résulter que d'une décision de la loi (1). Et cette solution se justifie par des considérations d'une très grande valeur : laisser aux volontés individuelles la faculté de créer des personnes civiles jetterait une grande incertitude sur les relations juridiques; comment pourrait-on connaître les conditions d'existence de ces personnes morales? A cela viennent se joindre des considérations politiques et économiques: politiques, il importe en effet au bon ordre et à la sécurité de l'État; qu'aucune association, corporation, ne puisse subsister en dehors de la volonté de l'autorité publique; — économiques, en ce que des personnes morales ayant une existence fort longue, indéterminée dans sa durée, peuvent enlever à la circulation de grands biens, perdus pour la prospérité du pays (biens de mainmorte).

Le principe général pour la constitution des personnes morales n'est donc pas douteux : il faut une décision de la loi. Mais ce principe s'applique différemment suivant les cas. Le législateur autorise les particuliers à former entre eux, suivant les règles du Code commercial, des associations ou sociétés, en vue des opérations commerciales; ces sociétés légalement formées constituent des personnes morales, du jour où les conditions voulues par les lois ont été remplies, sans qu'il soit nécessaire d'aucune autorisation spéciale. D'autres fois la personne morale ne peut exister qu'en vertu d'une loi spéciale, ou d'une autorisation de l'autorité publique, rendue conformément aux lois. Cette décision de l'autorité publique fait naître l'être moral qui, à partir de ce moment, vit de sa vie propre, est apte à exercer des droits, à intenter des actions.

Mais vis-à-vis de ces êtres moraux, autorisés par la loi, l'autorité publique reste maîtresse de les supprimer et de les faire disparaître. C'est ce principe qui a été suivi et appliqué à toutes les époques.

Dans l'ancienne jurisprudence, suppression de l'ordre des jésuites, loi du 18 août 1792, article 1er; suppression des corporations religieuses, comp. loi du 3 messidor an XII; enfin les décrets du 29 mai 1880 prononçant la dissolution des congrégations non autorisées sont basés sur cette théorie.

(1) Fr. I au Dig. (3-4). Comp. Savigny, Système trad. Guenoux, t. II, p. 268 à 274.

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