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lui-même la nullité de l'acte. C'est dans ce sens que l'acte est nul de droit, c'est-à-dire sans que l'on ait à rechercher les circonstances dans lesquelles il a été fait.

Cette nullité est relative, exclusivement reconnue dans l'intérêt de l'interdit, et ne pouvant pas être invoquée par les personnes qui auraient traité avec l'interdit (art. 1125, C. civ.); elle est susceptible de disparaitre par une ratification (art. 1338, C. civ.), ratification qui, pendant l'interdiction, ne peut valablement être faite que par le tuteur et, après la levée de l'interdiction, par l'ancien interdit redevenu capable de s'obliger. L'action en nullité se prescrit par dix ans qui courent de la levée de l'interdiction, ou de la mort de l'interdit si la levée de l'interdiction n'avait pas été prononcée de son vivant (art. 1304, C. civ.).

854. Quant aux actes faits avant l'interdiction, que faut-il décider? L'article 503 donne la formule suivante: «Les actes antérieurs à l'in› terdiction pourront être annulés, si la cause de l'interdiction exis› tait notoirement à l'époque où ces actes ont été faits. Suivant le Droit commun, les actes faits avant l'interdiction ne devraient être annulés que si l'on justifiait que l'aliéné n'a pas fourni son consentement (voir no 834). Mais un fait grave s'est produit: l'interdiction a été prononcée, ne faut-il pas admettre qu'il en résulte une présomption grave de vice à l'encontre de l'acte? Le législateur l'a pensé, et il donne l'action en nullité pour cause de démence (action en nullité relative), sous la seule condition que la cause de l'interdiction fût notoire, sans que l'on ait à justifier qu'au moment du contrat l'aliéné n'était pas en état de fournir son consentement; mais ici l'acte n'est pas nul de droit, les tribunaux auront à apprécier les circonstances de fait: les actes pourront étre annulés (art. 503, C. civ.), et les circonstances à relever seront le lieu où l'acte a été passé, le caractère de la maladie mentale, la nature de l'acte, ses conséquences, la bonne ou mauvaise foi des tiers, la date de l'acte, etc., toutes circonstances qui permettront de porter sur l'acte une appréciation éclairée.

855. Cette action peut être exercée, soit du vivant de l'interdit, soit après sa mort (comb., art. 503 et 504, C. civ.). Elle présente les mêmes caractères que l'action organisée par l'article 502. (Voir no 853.)

Nous rappelons que si l'interdiction avait été provoquée sans avoir été prononcée, l'aliéné étant mort pendant la procédure, ce fait permettrait de demander la nullité pour cause de démence, même après sa mort, des actes faits par l'aliéné (art. 504, C. civ.).

856. L'interdiction constitue pour l'aliéné un état d'incapacité qui durera tant que la maladie mentale subsistera; et, comme l'incapacité a été constatée par une décision judiciaire, elle ne disparaîtra que tout autant qu'on aura obtenu main-levée du jugement d'interdiction, et à

partir du jour où cette décision sera devenue définitive:

L'interdic

tion cesse avec les causes qui l'ont déterminée : néanmoins la main▾ levée ne sera prononcée qu'en observant les formalités prescrites › pour arriver à l'interdiction, et l'interdit ne pourra reprendre ▾ l'exercice de ses droits qu'après le jugement de main-levée » (art. 512, C. civ.). La main-levée peut être demandée par le tuteur, l'interdit luimême ou les parents de l'interdit.

CHAPITRE II

DATION D'UN CONSEIL JUDICIAIRE

857. Le conseil judiciaire est la personne désignée par la justice, pour assister un incapable dans la confection de certains actes déterminés. Dans deux cas il y a lieu à nomination d'un conseil judiciaire : 1o au cas où le Tribunal, constatant un trouble ou affaiblissement des facultés intellectuelles, ne prononce pas l'interdiction et ne veut pas cependant laisser la personne sans protection; il lui donne un conseil judiciaire (art. 499, C. civ.); 2o au cas où une personne manifeste un penchant irrésistible pour des prodigalités et dépenses exagérées (art. 513, C, civ.) et compromet sa fortune: hypothèse qui s'applique à la personne qui est poussée à de folles dépenses par un esprit de munificence et de générosité, comme aussi à celle qui manifeste un esprit de dissipation et de désordre et ne recule devant aucune dépense (1).

858. A la différence de l'interdit, ces personnes ne sont pas placées en tutelle; mais à côté d'elles se trouve un protecteur (conseil judiciaire), qui doit les assister dans les actes les plus graves intéressant le patrimoine. Il suit de là que le prodigue (art. 513, C. civ.) et le demi-interdit (art. 499, C. civ.) conservent le droit de faire seuls les actes qui les intéressent, d'en prendre seuls l'initiative, et que parmi ces actes, il en est certains qui ne sont valables que faits avec l'assistance du conseil.

Quels sont les actes pour lesquels l'intervention du conseil est indis

(1) La formule de l'interdiction, prononcée contre les prodigues, à Rome, était la suivante : Quando tua bona, paterna avitaque disperdis, liberosque tuos ad egestatem perducis, ob eam rem tibi ea re commercioque interdico. Paul., Senten., lib. 2, tit. 4, S 4.

pensable ? Dans notre législation, l'incapacité ne peut exister que dans les cas déterminés par la loi et en dehors desquels la capacité existe pleinement en conséquence, l'intervention du conseil n'est nécessaire que dans les cas visés par les articles 499 et 513 (C. civ.), cas dans lesquels se produisent les actes les plus graves et de nature à compromettre le patrimoine; tous les autres actes, en dehors des catégories visées, le prodigue et le demi-interdit les font seuls et valablement.

859. Si l'assistance est donnée, l'acte engage le prodigue comme s'il eût été fait par une personne pleinement capable; fait sans l'assistance, au cas où elle est exigée, l'acte est entaché de nullité relative au profit du prodigue ou du demi-interdit (art. 502, C. civ.). Cette action en nullité, qui n'appartient qu'au prodigue et au demi-interdit et à leurs héritiers, se prescrit par dix ans du jour du jugement de main-levée de dation du conseil judiciaire; à partir de la main-levée, elle est susceptible de ratification de la part des prodigues et demi-interdits.

860. La nomination, la main-levée d'un conseil peuvent être provoquées par les personnes qui auraient le droit de faire prononcer l'interdiction ou d'en obtenir la main-levée, et en suivant les mêmes formes (art. 514, C. civ.). Les fonctions de conseil judiciaire nous paraissent être de même nature que celles de tuteur: d'où il suit que, forcé de les accepter, on ne peut en être dispensé qu'au cas d'excuse légale; mais ces fonctions n'obligeant à aucun acte d'administration, ne mettant dans les mains du conseil aucun élément de la fortune du prodigue ou du demi-interdit, les biens du conseil ne seront pas frappés d'hypothèque légale.

Le conseil appelé à donner son assentiment le fait dans la pleine indépendance de sa conscience; il n'engage sa responsabilité qu'au cas où l'on démontre sa mauvaise foi ou son dol.

CHAPITRE III

LOI DE 1838 ET PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS
VOTÉ PAR LE SÉNAT ET RENVOYÉ A LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

861. Si l'aliéné placé dans un établissement d'aliénés public ou privé est interdit, on continue, tant au point de vue de sa représentation en justice que des actes par lui faits, à appliquer les principes que nous avons indiqués au chapitre relatif à l'interdiction judiciaire.

Mais quelle est la situation de l'aliéné non interdit, son placement dans un asile ne va-t-il pas exercer quelque influence sur sa condition ? D'après la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, tout malade placé dans un établissement public d'aliénés a pour protecteurs :

1° Un administrateur provisoire légal (art. 31, loi de 1838); c'est un des membres spécialement désigné faisant partie des commissions administratives des hospices ou établissements dans lesquels le malade est placé. Il n'est chargé que du mandat limité de procéder à certains actes d'urgence (art 31, § 1, loi de 1838).

20 Cet administrateur est aidé du caissier de l'établissement qui est chargé de recevoir les fonds appartenant à l'aliéné, sous la condition d'affectation et d'emploi « s'il y a lieu, au profil de la personne placée › dans l'établissenent (art. 31, § 2, loi du 30 juin 1838).

3o Dans les établissements publics, à la demande de la famille (parent, époux, épouse), de la commission administrative ou sur la provocation d'office du Procureur de la République, il pourra être nommé par le Tribunal, aux termes de l'article 497 du Code civil, « un administrateur » provisoire aux biens de toule personne non interdite, placée dans » un établissement d'aliénés. Cette nomination n'aura lieu qu'après › délibération du conseil de famille, et sur les conclusions du procureur du roi.

• Elle ne sera pas sujette à l'appel » (art. 32, loi du 30 juin 1838). Cet administrateur n'est nommé que quant aux biens; les soins à donner à la personne sont confiés aux représentants de l'administration de l'établissement et au curateur à la personne qui peut, suivant l'article 38 (loi du 30 juin 1838), être nommé à toute personne non interdite placée dans un établissement d'aliénés. Les pouvoirs de cet administrateur quant aux biens sont plus étendus que ceux donnés à l'administrateur légal ; il représente à certains points de vue l'aliéné: c'est à lui que doivent être faites les significations adressées à l'aliéné (art. 35, loi du 30 juin 1838).

40 Enfin, pour certaines affaires pour lesquelles la compétence de l'administrateur judiciaire n'est pas certaine, on peut faire procéder à la nomination d'administrateurs spéciaux ad hoc, à mandat limité; ils seront nommés par le président à la requête de la partie la plus diligente; ces nominations seront fréquentes au cas où il n'y aura pas eu nomination d'un administrateur judiciaire, conformément à l'article 32 (comp., art. 36, loi du 30 juin 1838).

Dans les établissements privés, les seuls protecteurs de l'aliéné sont ou l'administrateur judiciaire général (art. 32), ou les administrateurs ad hoc nommés pour l'aliéné en vue de certaines éventualités (art. 36, loi du 30 juin 1838). Dans les limites du mandat légal donné, ces admi

nistrateurs représentent l'aliéné et l'engagent par les actes faits conformément à la loi.

862. Mais si l'aliéné fait lui-même quelque acte, que décider ? Cet acte est-il soumis au Droit commun ou est-il traité d'une manière particulière ?

‹ Les actes faits par une personne placée dans un établissement d'a› liénés, pendant le temps qu'elle y aura été retenue, sans que son › interdiction ait été prononcée ou provoquée, pourront être attaqués › pour cause de démence, conformément à l'article 1304 du Code Napo › léon. › (Loi du 30 juin 1838, art. 39, §1.) Ce texte nous paraît placer l'acte en dehors du Droit commun; d'après ce dernier, pour faire tomber l'acte émané d'une personne non interdite, il faudrait établir que cette personne n'a pas pu donner son consentement: preuve difficile à fournir et qui, aboutissant à établir l'inexistence de l'acte, pourrait être faite par toute personne intéressée (il y a ici nullité absolue). L'article 39 paraît se placer dans un autre système : l'une des parties est séquestrée dans un établissement, elle fait un acte pendant qu'elle y est retenue, ne peut-on pas dire que de la séquestration résulte cette présomption que la personne est inapte à contracter? C'est ce que décide l'article 39 de la loi du 30 juin 1838, et voici quel serait le système qui nous paraîtrait en résulter: tout acte fait pendant la séquestration est entaché d'une nullité relative; cette nullité résulte du seul fait que l'acte a été fait pendant la durée du séjour de l'aliéné dans l'établissement; cette nullité, destinée à protéger l'aliéné, ne peut être invoquée que par lui et ses représentants, et jamais par la personne avec laquelle l'aliéné a contracté ; l'aliéné ou ses représentants feront valoir cette nullité, suivant leurs intérêts; c'est à quoi font allusion les mots de l'article 39: Les actes... pourront être attaqués

Cette action en nullité relative dure dix ans, qui courent suivant les distinctions de l'article 39 (loi du 30 juin 1838), et sur ce point il est encore dérogé au Droit commun. D'après ce dernier, au cas d'interdiction, pour l'acte fait par un interdit, les dix ans commencent toujours à courir du jugement de main-levée de l'interdiction, peu importe que l'interdit connaisse ou non l'acte fait par lui: il peut donc arriver que cet ex-interdit ait perdu l'exercice de l'action en nullité sans avoir su qu'il en était investi.

Si l'on avait suivi les mêmes idées pour l'aliéné, le délai aurait dû courir du jour de sa sortie de l'établissement; mais l'article 39 n'a voulu faire courir le délai que tout autant qu'il serait certain que l'incapable aurait connu l'acte auquel la prescription donnera efficacité; de là les distinctions de l'article 39: Les dix ans de l'action en nullité cour› ront, à l'égard de la personne qui aura souscrit les actes, à dater de

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