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plus d'un an (an et jour). Le législateur ne protège par les actions possessoires que la possession annale. Il faut, en outre, que l'on possède paisiblement et à titre non précaire (art. 23, C. proc. civ.), et en outre, d'une façon non équivoque (art. 2229, C. civ.). Par ces expressions, le législateur français a reproduit les principes de notre ancienne jurisprudence, empruntés au Droit romain: principes d'après lesquels on ne protégeait que la possession qui s'exerçait nec vi, nec clam, nec praecario.

919. Que faut-il entendre par là ? La question de possession soulevée par les actions possessoires met toujours en présence deux adversaires entre lesquels le débat s'élève; on doit en conclure a priori que c'est d'une manière relative qu'il faut apprécier les qualités de la possession, et que, pourvu que dans les rapports respectifs des adversaires la possession soit exempte de vices, elle doit être respectée. Aussi tous les textes romains, faisant allusion aux vices de la possession, disaient-ils toujours que la possession devait être nec vi, nec clam, nec praecario ab adversario. Ainsi faut-il l'entendre en Droit français, sauf une modification que nous ferons connaitre ci-après. Une possession est nec vi, lorsqu'elle s'exerce paisiblement et que ce n'est pas par la violence que les actes s'en sont établis ou maintenus; mais une possession violente vis-à-vis de primus, peut être exempte de vices vis-àvis de secundus, si les actes de violence ne se sont produits que dans les rapports du possesseur avec primus, et non vis-àvis de secundus, et au regard de secundus elle est protégée par les actions possessoires. Une possession est nec clam, lorsqu'elle se produit au grand jour, lorsqu'elle est publique et non équivoque, et que celui à qui on l'oppose a pu en connaître les manifestations. Le vice de clandestinité est un vice relatif, qui s'apprécie dans les rapports du possesseur et de la personne à laquelle il oppose sa possession.

Qu'est-ce que le vice de précarité, et que faut-il entendre par une possession non précaire (nec praecario)? En Droit romain, il fallait entendre par là une possession qui ne résultait pas d'une concession faite par l'adversaire, et n'avait pas été établie avec son consentement; par exemple, l'acquéreur ayant reçu tradition de la chose vendue consentait à la laisser au vendeur à titre de concession précaire (præcarium); ce dernier ne pouvait pas invoquer sa possession vis-à-vis de l'acquéreur concédant, mais cette possession, précaire au regard de ce dernier, pouvait être légale au regard de tous autres; le vice de précarité s'appréciait d'une manière relative ab adversario. En Droit français, en ce qui touche la possession des choses immobilières, on a accepté une autre solution on dit que la précarité est l'exclusion chez le possesseur de l'animus sibi habendi; et on considère comme possesseurs précaires,

ceux qui reconnaissent que la chose appartient à un autre ainsi le fermier, le dépositaire, l'usufruitier, et tous autres qui possèdent pour autrui sont des détenteurs précaires (art. 2236, C. civ.). Ainsi envisagé, ce vice de précarité est destructif de toute idée de possession, en faisant disparaître l'animus sibi habendi, et en transformant le possesseur en simple détenteur: aussi ce vice est-il absolu; et, dès qu'il existe, il empêche le possesseur d'exercer les actions possessoires à l'encontre de qui que ce soit.

920. Cependant, en matière de servitude, se rencontrent des hypothèses où la précarité présente le caractère romain: supposons qu'un tiers ait obtenu une concession de servitude sur un fonds du domaine public; au regard du concédant, maître de rétracter la concession quand il le voudra, on ne comprendrait pas l'exercice des actions possessoires, la possession est precario ab adversario; mais au regard de tous autres que le concédant, pourquoi ne pas autoriser le titulaire du droit, troublé dans son exercice, à invoquer les actions possessoires? Sa possession remplit toutes les conditions légales pour être protégée.

Donc la possession légale est protégée par les actions possessoires ce sont là des actions réelles de la compétence du juge de paix (art. 23 et suiv. C. proc. civ.); elles sont données pour protéger un état de fait, abstraction faite du point de savoir si le droit, dont la possession est le reflet, existe ou n'existe pas. Les questions relatives à ce dernier point peuvent faire l'objet d'actions pétitoires tout à fait distinctes des actions possessoires, par la compétence et par leur nature (art. 25, C. proc. civ.) le possessoire et le pétitoire ne seront jamais cumulés ».

921. Un autre élément très important de la possession est de savoir si elle est de bonne ou de mauvaise foi; on peut dire que la bonne foi est la croyance chez le possesseur au droit dont la possession est l'exercice. Se croit-il investi du droit, il est de bonne foi; sait-il que le droit dont la possession est l'exercice ne lui appartient pas, il est de mauvaise foi. On comprend que ce soit là un élément dont le législateur doive tenir grand compte. Aussi verrons-nous bientôt que le possesseur de bonne foi fait les fruits siens, tandis que pareille faveur n'est pas accordée au possesseur de mauvaise foi (art. 549 et 550, C. civ.), et que le possesseur de bonne foi, qui a un juste titre, est favorisé pour l'acquisition par prescription de la propriété immobilière (art. 2265, comp. 2262, C. civ.).

Tels sont les simples renseignements que nous avions à donner sur la possession; nous aurons à y revenir en détail en traitant de la prescription.

TITRE II

DE LA PROPRIÉTÉ

(Décrété le 27 janvier 1804, promul. le 6 février.)

922. Le droit de propriété, la plena in re potestas comme disaient les Romains, est le droit de tirer de la chose tous les avantages qu'elle est susceptible de procurer à l'homme; or ce droit peut s'exercer de différentes manières: 1° soit, lorsqu'on emploie la chose à un usage qui, n'altérant pas sa substance, est de nature à se renouveler; 2° ou bien lorsqu'on perçoit les fruits et les produits qu'elle est destinée à procurer; 3o ou bien enfin en tirant de la chose une utilité dernière qui n'est pas de nature à se renouveler, par exemple, si on la consomme ou même si on l'aliène : dans ce cas on épuise son droit de propriété.

De là, les jurisconsultes romains avaient conclu que la propriété se décompose en trois éléments: le jus utendi, le jus fruendi et le jus abutendi : ce dernier mot étant pris dans le sens de droit de disposer, d'aliéner, de consommer la chose, sans que cela impliquât l'idée d'abus de jouissance expedit reipublicæ ne sua re quis male utatur (§ 2 Inst. Just. de his qui sui vel alieni, etc.).

923. En Droit français, l'article 544 du Code civil définit la propriété, le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue. Le droit de jouir comprend, réunis dans un même droit, deux éléments distincts, l'usus et le fructus, et s'applique surtout au droit de percevoir les fruits et produits de la chose dont on a la propriété. Ce droit de jouissance peut être démembré de la propriété et ne pas appartenir au propriétaire lui-même, mais à un tiers; il y a alors séparation des éléments qui constituent la propriété : l'un a le dominium nudum, c'est le nu-propriétaire; l'autre, la jouissance, et suivant qu'elle est plus ou moins étendue, elle forme ou un droit d'usufruit, ou un simple droit d'usage (renvoi au titre III).

924. La propriété confère à son titulaire le droit de disposition de la manière la plus absolue. Cette indication de l'étendue du droit de disposition est faite pour bien marquer l'abolition définitive du domaine direct ou seigneurial. Dans l'ancienne jurisprudence, en effet, la propriété se divisait en domaine utile et en domaine direct. Le domaine utile était la propriété aux mains de celui qui détenait le fonds et en jouis

sait; le domaine direct était le domaine retenu par le seigneur au moment de la concession du domaine utile, et lui permettait d'exiger des tenanciers des devoirs ou redevances, en reconnaissance de la seigneurie. Après l'abolition de la féodalité, il ne pouvait plus y avoir de propriété directe, et l'article 544 revient à la notion de la propriété individuelle, telle qu'elle avait été reconnue et organisée par les jurisconsultes romains.

Le droit de disposition comprend aussi l'abusus dans le sens de la destruction de la chose en pure perte: destruction qui peut n'être qu'un acte de folie, mais que le propriétaire a le droit de réaliser. Quant à tirer de la chose toute l'utilité dont elle est susceptible, c'est là l'avantage de la propriété, et le propriétaire n'est limité dans ce droit que par la nécessité de respecter les droits des propriétaires voisins : l'état de société deviendrait impossible si l'on permettait à un propriétaire de violer les droits des autres propriétaires; ce serait le règne du plus fort. Mais si chacun est obligé de respecter le droit d'autrui, tout au moins la législation lui doit-elle la protection de l'exercice de son droit complet. Aussi concluons-nous que, sans que l'on ait à rechercher les mobiles qui ont dirigé le propriétaire dans l'accomplissement des actes, lors même qu'ils priveraient les voisins de certains avantages, ces actes doivent être maintenus dès qu'ils ne violent pas le droit des autres. Par exemple, nous avons le droit de faire sur notre fonds telles constructions qu'il nous plaira, quelque nuisibles qu'elles soient au voisin et peu utiles pour nous, si en les élevant nous ne violons aucun droit de propriété ou de servitude appartenant au voisin; nous avons par application des mêmes principes le droit de faire des fouilles sur notre fonds, interceptant les eaux, diminuant le volume des sources voisines, et jetterionsnous ces eaux ainsi captées à la voie publique, nous serions restés, dans les limites de notre droit de propriété, l'acte fait doit être maintenu.

925. Mais ce droit de disposer de sa propriété d'une manière absolue trouve une limite naturelle, que nul ne peut franchir, dans les lois et règlements. Sans parler des servitudes légales comme limitation du droit commun de la propriété, il est d'autres lois qui, dans un intérêt général, viennent en restreindre les avantages, notamment la loi sur les mines, qui permet au chef de l'État de constituer, par voie de concession, une propriété du dessous, distincte de la propriété de la surface, et qui est une atteinte au droit des propriétaires de cette dernière (renvoi à l'art. 552, C. civ.). Des lois réglementent certaines cultures (le tabac, par exemple, les forêts, les pâturages en montagne), d'autres organisent le dessèchement des marais, l'exploitation des minières et carrières, et viennent restreindre sur quelques points l'indépendance du propriétaire. Par les lois sur les successions, le propriétaire peut perdre le droit de disposer de

ses biens à titre gratuit, au préjudice de ses héritiers (art. 913 et 915, C. civ., comp. art. 1083, C. civ.)

926. Le Code civil n'avait organisé que la propriété portant sur les objets extérieurs, meubles et immeubles; mais en dehors de ces applications, on s'explique l'existence de la propriété : l'auteur n'est-il pas propriétaire de l'œuvre qu'il met au jour? L'artiste, l'inventeur, des machines, des procédés de fabrication par eux inventés ou découverts ? De là des propriétés d'une nature spéciale, qu'il ne faut pas confondre avec la propriété ordinaire. Des lois particulières les organisent ainsi que la propriété littéraire (loi du 14 juillet 1866 et nombreux traités ayant pour objet la protection de la propriété littéraire, et pour la propriété industrielle et les brevets d'invention, loi du 5 juillet 1844, et pour brevets d'invention et de perfectionnement et marques de fabrique, loi du 23 juin 1857).

927. Le propriétaire conserve sa chose tant qu'il ne l'aliène pas luimême, ou tant que l'aliénation n'en est pas provoquée par ses créanciers (saisies), et quelque intérêt qu'un tiers puisse avoir à en devenir propriétaire, il ne peut contraindre le propriétaire à se défaire de sa propriété, si ce dernier ne veut pas y consentir. Ce droit pour le propriétaire n'est cependant pas absolu : il disparaît toutes les fois qu'il y a utilité générale à occuper la chose: « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité» (art 545, C. civ.).

C'est une allusion aux règles de l'expropriation pour cause d'utilitė publique, matière qui fait partie du Droit administratif : pour nous, il nous suffira d'en rappeler les points importants.

928. D'après le principe posé par l'article ci-dessus, et reproduit par beaucoup de nos constitutions, qu'elles soient antérieures au Code civil ou rédigées après lui (1), nul ne peut être contraint de céder sa propriété s'il n'y a déclaration d'utilité publique et fixation d'une juste et préalable indemnité. La déclaration d'utilité publique émane de l'autorité publique. Elle doit être faite, soit par une loi, après enquête administrative pour les grands travaux de l'État (2), soit par simple décret. On procède de cette dernière façon, même pour les travaux au compte de l'État, s'ils n'ont qu'une importance secondaire (3). De même pour l'autorisation

(1) Const. de 1791, art. 17; Const. de 1793, art. 19; du 5 fructidor an III, art. 358; Charte de 1814, art. 10; de 1830, art. 9; Const. du 4 nov. 1848.

(2) Loi du 27 juillet 1870, art. 1. Tous grands travaux publics, routes impėriales, canaux, chemins de fer, canalisation de rivières, bassins et docks entrepris par l'État, ou par des compagnies particulières..... ne pourront-être autorisés que par une loi.

(3) Même art. 1, loi 27 juillet 1870.

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