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» générale ou particulière dans les matières qui sont l'objet desdites lois » composant le présent Code. »

14. Pour comprendre cette disposition, il faut savoir ce qu'est l'abrogation c'est l'acte par lequel le pouvoir législatif enlève à une loi toute efficacité; tant qu'une loi n'est pas abrogée, elle continue à produire son effet.

L'abrogation peut-être expresse ou tacite. Elle est expresse, lorsque le législateur s'explique sur la loi à abroger (exemples: la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a, par une disposition expresse, abrogé toutes les lois sur la presse antérieurement rendues; la loi du 27 février 1880 sur l'aliénation des valeurs mobilières du mineur a abrogé expressément certaines dispositions législatives, etc) et lui enlève toute force exécutoire; l'abrogation est tacite lorsqu'elle résulte du rapprochement de deux lois rendues sur la même matière. Sans doute sur les points prévus par la loi nouvelle, il faut toujours, assurer l'application de celle-ci de préférence à la loi ancienne, mais s'il est des points non traités par la loi nouvelle, que les dispositions y relatives de la loi ancienne ne soient pas en contradiction avec la loi nouvelle, il faut en ce point conserver efficacité et force exécutoire à l'ancienne loi.

15. Ces principes connus, par l'article 7 le législateur a voulu arriver, à l'unité de législation en France, et enlever toute force exécutoire, aux dispositions de l'ancienne législation. Faites pour un système politique tout différent, comment ces lois, auraient-elles pu convenir au régime nouveau ? Il faut conclure de là qu'il y a abrogation complète de toute la législation ancienne, sur les points traités par le Code civil; et lors même que l'organisation donnée par le Code, sur certains points, serait moins complète que celle de l'ancienne législation, celle-ci n'en serait pas moins abrogée. Par exemple, l'article 767 du Code civil règle la matière de la succession entre époux; par suite se trouvent abrogées toutes les dispositions de l'ancienne législation sur cette matière, bien supérieures dans leur ensemble à la disposition de l'article 767 (C. civ.). Mais il ne faut pas exagérer la portée de l'article 7. S'il abroge toute la législation antérieure à la révolution française, il laisse subsister la législation intermédiaire; pour cette dernière, il faut appliquer les principes de l'abrogation tacite et l'abrogation n'atteindra que les dispositions en contradiction avec la loi nouvelle.

16. Si l'ancienne législation est abrogée tout entière, son étude n'est cependant pas inutile; c'est dans ses dispositions que l'on trouvera surtout l'origine de la loi moderne et une base rationnelle à son interprétation (renvoi à l'art. 385, C. civ.). En outre, il faudra quelquefois, bien que rarement, y recourir pour la solution de certains procès, reposant sur l'interprétation d'actes et de titres antérieurs à la révolution.

17. L'histoire de la législation française fait aujourd'hui, dans les facultés de Droit, l'objet d'un cours spécial; malgré cela il est impossible de ne pas en donner un aperçu, avant d'aborder l'explication de notre Code.

La législation française peut se diviser en trois grandes périodes: 1o la législation ancienne, c'est-à-dire antérieure au 14 juillet 1789; 2o la législation intermédiaire du 14 juillet 1789 à la loi du 30 ventôse an XII (promulgation du Code civil); 3° la législation moderne, période dans laquelle nous nous trouvons.

1° Législation ancienne. - 18. Nous faisons partir notre exposé de la conquête romaine; les Romains cherchèrent à s'assimiler la Gaule, en y introduisant leurs mœurs, leur langage et leur législation: ils y parvinrent vite et absolument ; au moment de la conquête par les barbares, la législation romaine était seule en vigueur. Cette législation était celle qui résultait des écrits des jurisconsultes romains, des Codes Grégorien et Hermogénien et du Code Théodosien qui avait refondu les anciens documents: il fut promulgué en 439 de notre ère.

Quant aux compilations de Justinien, le Digeste et le Code, elles furent promulguées pour l'empire d'Occident, à un moment où la Gaule était complètement perdue pour les Romains; ces textes formèrent la législation de la partie orientale de l'empire romain, jusqu'à ce qu'ils furent remplacés par les Basiliques; ils furent introduits en Italie où ils restèrent, à l'état de législation locale, jusqu'à ce que, avec le relèvement des études juridiques, vers le XIIe siècle, l'attention se porta sur eux : leur influence grandit en Italie et dans les pays voisins, notamment dans le midi de la Gaule où ils exercèrent une grande influence sur le développement ultérieur de la législation. En Gaule, au moment des invasions barbares, on suit donc la législation romaine, telle qu'elle résulte des écrits des grands jurisconsultes et du Code Théodosien.

19. Arrivent les barbares; ils apportent avec eux une législation particulière, présentant avec la législation romaine des différences profondes, et qui restera la loi des vainqueurs ; quant aux populations vaincues, les envahisseurs leur laissèrent leur législation particulière, si ce n'est en ce qui touche le Droit public et le Droit pénal.

De sorte qu'après les invasions et l'établissement des barbares en Gaule, deux législations co-existent. Chacun est placé sous la législation de son origine: la législation romaine pour les Romains, la législation barbare pour les conquérants. La loi à suivre se déterminait donc, non pas par le territoire, mais par la nationalité de la personne : les lois étaient personnelles.

20. La législation barbare était une législation coutumière, droit non écrit, et présentant par suite bien du vague sur certains points: aussi sen

tit-on le besoin de la fixer par écrit ; ces rédactions ne donnèrent pas cependant à la loi un caractère de fixité, et l'usage, la coutume restèrent le fond de la législation: de là des rédactions successives des lois barbares, qui marquent les transformations qu'apportait la coutume. C'est ainsi que furent rédigées, au midi, les lois des Wisigoths; à l'est, la législation Burgonde, rédigée sous Gondebaud de 501 à 520; au nord, la loi Salique, rédigée probablement sous Childebert et Clotaire I, et modifiée dans la suite; la loi des Ripuaires et quelques autres monuments du même genre.

21. Le même besoin se fit sentir pour la législation romaine: l'autorité s'appliqua à fixer les points de cette législation, que la coutume modifiait aussi. De là des rédactions de la loi romaine, provoquées par l'autorité, et très importantes pour l'histoire du Droit: au midi, la Lex romana Wisigothorum (1), donnée par Alaric roi des Wisigoths à Aire, en 506; cette loi a eu une grande destinée; jusqu'au XIe siècle, elle est restée pour la Gaule comme l'expression de la législation romaine; son importance nous est démontrée par les nombreux manuscrits provenant de la Gaule, par les gloses dont quelques-uns sont enrichis, par les commentaires et les résumés qui en ont été faits, ce qui démontre l'existence, pour ces époques, de centres où l'on étudiait les sciences juridiques; à l'est, la Lex romana Burgundiorum (2), pour les besoins des populations romaines de la Bourgogne.

22. A ces deux sources de la législation vint s'en ajouter bientôt une troisième ; elle se manifeste sous la première et la seconde race, et sous Charlemagne, elle prit une grande importance: ce sont les capitulaires.

Les rois tenaient au mois de mars (champ-de-Mars), puis aux premiers jours de mai, des assemblées auxquelles ils appelaient les principaux du royaume, les évêques, les comtes, les abbés. Le roi proposait des règlements sur certaines matières et, après délibération des assemblées, des décisions étaient rendues.

Elles étaient rédigées succinctement et par articles; leur réunion formait un capitulaire.

23. Enfin l'Église vivait sous la législation romaine; mais pour sa discipline intérieure, elle suivait les préceptes posés par les livres saints, par les canons de l'Église et par les conciles : l'ensemble de ces règles formait le Droit canonique, qui a exercé sur le développement de quelques branches du Droit français, une grande influence (mariage, oppositions, empêchements, prêt à intérêt etc.). Telles sont les législations existant en France dans les premiers siècles : les lois barbares contenaient surtout

(1) Cette loi est éditée dans une foule de collections. Consultez Haenel: Lex romana Wisigothorum.

(2) Collection de Pertz, Monumenta Historiæ Germanica.

des dispositions de Droit pénal et de Droit public, très peu de règles de Droit privé; les capitulaires, résultat des délibérations d'assemblées où les prêtres avaient la prépondérance, statuaient sur des matières d'ordre ecclésiastique: c'étaient souvent des conseils plutôt que des lois véritables. Aussi, tant pour combler les lacunes des lois barbares, que des capitulaires, recourait-on au Droit romain; et, comme on commençait à perdre les textes de vue, on avait préparé des formulaires, conformes aux traditions des Tribunaux et des praticiens, que l'on suivait pour la rédaction des actes de là les recueils de formulaires qui ont joué un si grand rôle, et présentent tant d'importance pour l'histoire du Droit (1).

24. Bientôt se produit, sous l'empire de causes multiples, une modification profonde dans la constitution politique; le pouvoir royal s'affaiblit de plus en plus et les divers officiers, qui représentaient le roi, les seigneurs, cherchent à se déclarer indépendants sur les divers points du royaume: c'est le régime féodal. Si nous l'étudions à son apogée, nous voyons des castes établies, vivant sous des législations particulières: les nobles, les roturiers, le clergé. Une hiérarchie dans les terres, analogue à celle que nous rencontrons dans les personnes. Avec ce régime la législation reste coutumière, mais elle subit une transformation complète: de personnelle qu'elle était, elle devient territoriale; c'est-à-dire qu'elle s'étend à tous ceux qui habitent le territoire.

25. A ce moment apparaît la distinction des pays de coutume et des pays de Droit écrit. Une ligne qui, partant de l'embouchure de la Loire irait vers la Suisse, en laissant au sud le Lyonnais et le Dauphiné, séparerait assez bien les pays de coutume et les pays de Droit écrit ; au nord de la ligne, les premiers; au sud, les seconds. Dans les uns, comme dans les autres, la législation reste coutumière, mais tandis qu'au nord la législation est fortement imprégnée d'usages empruntés aux législations barbares, au sud, la législation, restée coutumière, se rattache au Droit romain, dont les principes dominent, modifiés par l'influence du régime féodal, par les coutumes locales.

26. La législation restant coutumière, il fallait établir l'existence de la coutume. On le faisait de diverses manières : par combat judiciaire, par enquêtes, par tourbes. Qui ne voit les dangers de semblables preuves? Aussi de bonne heure sentit-on la nécessité de fixer par écrit la législation. D'abord nous trouvons les écrits des praticiens, qui, pour les besoins de leur pratique, étudiaient la coutume d'un pays: ce sont les coutumiers des XII. XIIIe et XIVe siècles; parmi les plus importants nous citerons: les Établissements de Saint-Louis; la Coutume de Beauvoisis de Beau

(1) Recueil général des formules de M. de Rozière, et dans la collection de Pertz.

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manoir; le Conseil à un ami de Pierre de Fontaine ; la Somme rurale de Bouteiller; les Assises de Jérusalem pour les États fondés en Orient, à la suite des Croisades; des recueils très importants de décisions judiciaires : Les Olim du Parlement de Paris, les Rôles de l'échiquier de Normandie etc. Bientôt enfin le pouvoir royal prit l'initiative de la rédaction des coutumes; le Droit coutumier se fixe ainsi, mais il reste coutumier, et les rédactions successives d'une même coutume étaient faites pour tenir compte des modifications apportées par l'usage. Le pouvoir royal s'étant affermi, rendit sur certains points de législation des Ordonnances, dont l'autorité devait s'étendre au pays tout entier : il en est quelques-unes rendues sous Louis XIV et Louis XV, qui ont servi d'origine à un grand nombre de dispositions de nos Codes. (Ord. de 1735 sur les testaments; de 1731 sur les donations; de 1747 sur les substitutions, pour le Droit civil.)

Enfin les Cours souveraines, par leurs arrêts, exerçaient sur le développement de la législation une grande influence, notamment par leurs arrêts de règlement; ils avaient la force obligatoire de la loi pour les hypothèses analogues à celle sur laquelle ils avaient été rendus.

27. La source de la législation était donc :

1o Les Coutumes générales, ou locales, Chartes de communes, Statuts de ville;

2o Les Ordonnances royales;

30 Les Arrêts des parlements.

Et malgré toutes les tentatives de généralisation, malgré les modifications successives des coutumes, on n'arriva pas et on ne pouvait pas arriver à l'unité de législation. Plusieurs causes y mettaient obstacle: les résistances de certaines provinces privilégiées dont il fallait respecter les coutumes, qu'on leur avait garanties au moment de leur annexion à la France (le Dauphiné par exemple); la division de la société en castes, ayant leurs privilèges et leur législation (nobles et roturiers); la confusion des pouvoirs entre les diverses autorités. Mais avec la révolution, les choses changent de face; des modifications politiques se produisent; les Français sont égaux devant la loi, plus de castes, plus de privilèges: l'unité de législation pourra être établie.

2o Période intermédiaire.— 28. Elle s'étend du 14 juillet 1789 au Code civil. Elle comprend des lois particulières sur certains sujets dont les dispositions sont encore en vigueur; au point de vue civil, quelques lois générales qui ont servi à la rédaction de notre Code civil (loi du 22 septembre 1792, sur les actes de l'état civil; loi du 17 nivôse an II sur les successions).

Pendant cette période, on s'est souvent préoccupé de la rédaction d'un

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