Page images
PDF
EPUB

fin du XIIe siècle : Gengiskhan régna sur la plus grande partie de l'Asie, et, peu après sa mort, ses guerriers arrivèrent jusqu'en Silésie 1. Or, le grand Khan devint musulman dès la fin du XIIIe siècle. Ses vassaux de la Horde d'Or restèrent les vrais maîtres de la Russie, jusqu'au moment où Tamerlan porta des coups funestes à tous les royaumes mongols dissidents.

Ces attaques ne portaient que sur les extrémités de l'Europe à partir de 1326, celle des Turcs ottomans en menaça le cœur.

Le contact établi par la croisade avec les musulmans civilisés fut plus important peut-être encore que l'arrêt momentané imposé aux races nomades. Les Arabes avaient trouvé chez les Byzantins et chez les Perses des germes de culture dont ils tirèrent brillamment parti aux IXe et Xe siècles. Au temps des croisades, les vrais foyers de la civilisation étaient Bagdad, le Caire, Samarkande, Grenade. C'est au XIVe siècle seulement que l'islam produisit son plus grand historien, Ibn-Khaldoun. Or, les croisades multiplièrent des communications qui déjà, quand elles étaient bornées à l'Espagne et à la Sicile, avaient été extrêmement importantes. Les Universités du XIIIe siècle connurent par les Arabes les principaux encyclopédistes qui avaient résumé l'effort de l'hellénisme, Aristote, Ptolémée. Enfin c'est par les Arabes que les plus notables inventions techniques, boussole, poudre à canon, papier, parvinrent aux rives européennes de la Méditerranée: l'imprimerie seule fut une invention nettement européenne.

Non moins fécond fut le contact plus intime établi avec Byzance, qui, sans manifester une activité créatrice analogue à celle de ses élèves musulmans, soutenait son rôle de conservateur sous la dynastie des Comnènes. C'est

1. Liegnitz (1242).

2. Cf. Renan, Averroes et l'averroïsme, Chalandon, Histoire de la domination normande...., 1908.

[blocks in formation]

par là que les trésors de l'antiquité furent rendus aux Italiens. Dès le xive siècle, un homme comme le Toscan Pétrarque, au moins par son vif sentiment de la grandeur de la civilisation païenne, est « un homme moderne ». Et la même tendance commence à poindre en France au temps de Charles V (1364-80), en Allemagne au xve siècle. C'est en s'inspirant des œuvres artistiques et scientifiques conservées par Constantinople que l'Europe latine est entrée dans la voie de la Renaissance: dès la fin du IV siècle, d'ailleurs, elle distancera ses maîtres avec le Polonais Kopernik.

En somme, en disant que l'Europe, lancée par l'Église à la conquête de l'Orient, en a rapporté sa civilisation, on résumerait assez exactement le grand phénomène historique que nous venons de retracer.

V

A l'intérieur, le Pape s'était trouvé, au xi° siècle, à la tête d'un monde qui commençait à peine à s'asseoir : la période des invasions barbares venait de se terminer. On achevait seulement la première tâche qui s'impose à toute société capable de civilisation: on rattachait l'homme à la terre, on réglait les conditions de la propriété foncière, et sur cette base unique se reconstituait cette hiérarchie aussi simple, dans le principe que variée dans les détails, que nous désignons sous le nom vague de féodalité. Immédiatement audessous du Pape, presque à son niveau, l'Empereur représentait une autorité théoriquement universelle, mais plus vénérée qu'obéie. Les rois mêmes avaient des prétentions. étendues plutôt qu'un pouvoir réel. Les ducs, comtes, etc., plus petits par l'étendue des domaines, étaient généralement plus forts dans ces domaines mêmes. Les « communes >> de vilains commençaient seulement à se constituer çà et

là. En somme, l'individu n'était guère tenu effectivement que par la discipline de l'Église.

C'est dans ce monde que s'est reformée peu à peu l'idée antique de l'État : dès le xire siècle, elle trouvait dans les juristes de Bologne des théoriciens et des publicistes attitrés. A partir de ce moment, elle tendit constamment à se réaliser, mais — et c'est là peut-être le fait dominant de l'évolution européenne en s'attachant, non pas à une autorité unique, mais bien à des forces régionales.

-

L'Empereur fut toujours arrêté par la nature vague de son pouvoir, qui le mit en conflit permanent avec la Papauté. En Allemagne même, ce fut par les princes subalternes que se reconstitua l'État (Saxe, Autriche, Prusse, etc.). En Italie, il se reconstitua par les communes, qui devinrent de puissantes républiques.

Dans le reste de l'Europe, l'État a été recréé, en règle générale, par la royauté. C'est ce fait que nous avons à étudier maintenant pour le pays qui nous intéresse particulièrement la France.

1. Cf. Pirenne, Les anciennes démocraties des Pays-Bas, 1910.

CHAPITRE II

LE ROYAUME DE FRANCE (987-1180)

I. LE PAYS ET LA RACE.

[ocr errors]

La région française. La race celtique. II. LA FRANCIE OCCIDENTALE ET LA RÉVOLUTION DE 987. Marseille. -La conquête romaine.

L'Église des Gaules.

[ocr errors]

Les rois mérovin

[ocr errors]

Le mor

giens. L'empire carolingien et la Francie occidentale. cellement féodal.- L'empire allemand et la révolution de 987: le début des Capétiens. La civilisation en France jusqu'au xe siècle. Louis le Gros (1108-1137), les châteaux, le mouvement national de 1124, les grands vassaux et les communes. Suger.

III. LOUIS VI ET SUGER.

--

[ocr errors]

-

IV. LA ROYAUTÉ sous Louis VII (1137-1180). - Louis le Jeune. — L'État n'existe pas encore, charte de Lorris. Les Grandes chroniques de France.

Il nous faut maintenant revenir sur les faits qui, dans l'unité européenne ainsi définie, ont préparé la séparation de l'individualité française: après les antécédents généraux de l'histoire nationale qui commence au xe siècle, les antécédents locaux.

I

Le pays et la race.

De ces antécédents, le plus ancien et le plus permanent est naturellement le pays même, tel que l'évolution géologique l'a défini et constitué.

La France est caractérisée surtout par le fait qu'elle appartient à la fois à la région méditerranéenne et à la région atlantique, en même temps qu'elle s'ouvre largement

aux influences continentales. La Provence (Marseille), le Languedoc (Montpellier), sont moins séparés de l'Italie et de l'Espagne par les barrières des Alpes et des Pyrénées qu'ils n'en sont rapprochés par la Méditerranée. D'autre part, le Massif central les isole nettement des régions du Nord, encore que le couloir du Rhône et de la Saône d'une part, et le seuil du Lauraguais, le bassin de la Garonne, le seuil du Poitou, d'autre part, ouvrent d'assez faciles communications. Quant aux régions du Nord, elles ne sont que l'aboutissement océanique de la grande plaine nordeuropéenne, sans qu'on puisse ici assigner aucune limite précise entre la partie maritime et la partie continentale. La transition vers l'est est insensible: le Rhin, au moins au nord des Vosges, n'est ni plus ni moins une « limite naturelle » que la Seine ou la Loire, l'Elbe ou la Vistule. Ainsi, la France n'est pas un être géographique au même degré que l'Italie, l'Espagne ou la Grande-Bretagne ; elle n'est pas non plus multiple indéfiniment comme l'Allemagne ou la Russie; en elle, c'est le dualisme qui domine : Midi et Nord.

Un second antécédent est la race. Le premier fait ethnique nettement saisissable, dans la région française, est la superposition, aux premiers habitants, des Celtes, rameau de la race aryenne détaché (à une époque qu'on ne saurait préciser) des Grecs, puis des Italiens, et qui était parvenu aux bords de l'Océan au plus tard au vire ou vi° siècle avant J.-C. Les Celtes ont certainement fourni le gros de sa population à la majeure partie de la région. Mais d'une part leur habitat a été bien plus étendu; ils ont laissé nombre de tribus en Germanie; ils ont pénétré jusqu'en Espagne où ils se sont mêlés aux Ibères (Celtibériens), et ils ont peuplé les Iles Britanniques sans parler de leur reflux vers le Sud et l'Orient. D'autre part, dans notre pays même, ils n'ont jamais dépossédé complètement les Ibères et les Ligures au Midi, et ils ont, de très bonne heure, commencé à céder le pas aux Germains au nord de la Seine. Le trait le plus saillant de leur civilisation originale est l'existence d'un

[ocr errors]
« PreviousContinue »