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ROCROY, LA PAIX DE WESTPHALIE

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III

Paix de Westphalie (1648).

Dès le lendemain de la mort de Richelieu, des négociations étaient ouvertes dans deux villes de Westphalie : Münster et Osnabrück. Il s'agissait de tirer les conséquences de la réforme protestante et de la réaction catholique ; pour la première fois, des puissances que le Pape, le roi d'Espagne et le souverain autrichien, n'avaient jamais voulu reconnaître comme régulières, allaient être admises à traiter solennellement. Les questions de droit public n'étaient donc pas moins difficiles à trancher que les questions de possession territoriale, et chaque diplomate devait être doublé d'un jurisconsulte : la France était représentée par Servien et d'Avaux.

La paix ne fut signée qu'en 1648, et les dernières ratifications traînèrent même jusqu'en 1650. Le Saint-Empire, auquel un Charles-Quint avait encore pu rendre quelque consistance, était dissous cette fois. Les princes devenaient vraiment souverains. Pour la religion, d'abord on étendait aux calvinistes les droits reconnus aux luthériens depuis 1555; ensuite, on appliquait le principe cujus regio, hujus religio: telle patrie, telle religion. En Allemagne, où il y avait maintenant 350 patries, le principe équivalait à peu près, en fait, à la tolérance. Mais l'Allemagne, dans son ensemble, était réduite à l'impuissance.

Les Allemands n'en saluèrent pas moins la paix avec enthousiasme. Jusque dans les derniers villages, des fêtes, des gravures, des allégories, popularisèrent les repas gargantuesques qu'avaient dévorés, avant de se séparer, les diplomates de Westphalie. C'est que le pays avait payé cher l'honneur d'avoir donné naissance à des mouvements historiques aussi importants que la Réforme et la contre

réforme '. Alors que, vers 1618, la prospérité y était générale et réelle, vers 1650, la détresse s'y voyait en tous lieux. Des villages, pris dans les régions les plus opposées, y étaient passés de 6.500 âmes à 850, de 1.774 familles à316, etc. L'Allemagne mettra deux siècles à se relever ce qui permet d'apprécier, par comparaison, la chance qu'avait eue la France de trouver, au sortir de la crise religieuse, un gouvernement comme celui de Henri IV et de Louis XIII.

Plus d'Empereur et plus de Pape: car le Pape a réprouvé les traités de Westphalie, qui mettaient fin définitivement à son pouvoir d'arbitrage si longtemps reconnu. Pour l'Europe, l'unité n'est plus attestée que par un expédient : l'équilibre.

L'équilibre était garanti par « les libertés germaniques »>, et les libertés germaniques étaient garanties par la France et la Suède il va de soi que la France et la Suède ne les garantissaient pas gratuitement. La France se faisait d'abord céder définitivement les Trois-Évêchés lorrains, Metz, Toul, Verdun, qu'elle occupait en fait depuis un siècle. En outre, elle obtenait l'Alsace, que ses armées venaient de conquérir. L'Empereur disait (art. 75):

Imperator pro se totâque Serenissimâ Domo Austriacâ, itemque Imperium, cedunt omnibus juribus, proprietatibus, dominiis, possessionibus ac jurisdictionibus, quæ hactenus sibi, Imperio et familiæ Austriacæ competebant in oppidum Brisacum, Landgraviatum superioris et inferioris Alsatiæ, Suntgoviam, præfecturamque provincialem decem civitatum imperialium in Alsatiâ sitarum... omnesque pagos et alia quæcunque jura, quæ a dictâ præfecturâ dependent, eaque omnia et singula in Regem Christianissimum Regnumque Galliarum transferunt.

Il semble, à lire tant de mots latins, que la cession soit complète. Et pourtant on ajoute (art. 89):

Teneatur Rex Christianissimus non solum Episcopos Argentinen

1. Canisius, auteur du catéchisme catholique, était un jésuite bavarois.

CONQUÊTE DE L'ALSACE

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sem et Basileensem [Strasbourg et Bâle], cum civitate Argentinensi, sed etiam reliquos per utramque Alsatiam Romano Imperio immediate subjectos Ordines,... totiusque inferioris Alsatiæ nobilitatem, itemque prædictas Decem Civitates Imperiales.... in eâ libertate et possessione immedietatis erga Imperium romanum quâ hactenus gavisæ sunt, relinquere, ita ut nullam ulterius in eos regiam superioritatem prætendere possit, sed iis juribus contentus maneat, quæcunque ad Domum Austriacam spectabant, et per hunc pacificationis tractatum coronæ Galliæ ceduntur.

Cela voulait dire simplement que le roi de France serait tenu à plus de ménagements envers les seigneurs possessionnés en Alsace qu'envers les nobles d'Ile-de-France ou d'Auvergne. Il faudra encore 150 ans de centralisation progressive, couronnés par la Révolution, pour que l'article 89 du traité de Westphalie apparaisse singulier, inquiétant, monstrueux: il sera, sinon la cause, au moins l'occasion, des guerres révolutionnaires. Mais en 1648, on vit seulement que le roi de France pouvait désormais confier à ses soldats << la garde sur le Rhin ».

La Suède obtenait les bouches de la Weser, de l'Elbe, de l'Oder cela lésait l'électeur de Brandebourg et le mettait en mauvais rapports avec les « sauveurs » de sa religion ce qui n'était pas pour déplaire aux Français. Au reste, bien des questions restaient en suspens: l'Espagne n'avait rien signé.

Mais, dès à présent, la France a fait prévaloir le point de vue qu'elle maintient depuis plus d'un siècle. On a vu quels avantages palpables elle en a déjà retirés. Il faut maintenant rentrer à l'intérieur, où cet effort prolongé avait eu des conséquences graves.

CHAPITRE VII

LA FRANCE APRÈS RICHELIEU (1643-1661)

L'œuvre de Richelieu.

I. LA FRONDE (1648-1653). Le gouvernement nouveau et lopposition en 1643. La Fronde: 10 Fronde parlementaire (1648-9); 2o Fronde des princes et princesses (1649-50); 3° Union des deux Frondes (1650-51), majorité du roi (sept. 1651), rupture des deux Frondes (1651-2).. La soumission (1653-1655). Le roi maître absolu.

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II. LA PAIX DES PYRÉNÉES 1659). La guerre espagnole et l'alliance anglaise. Paix des Pyrénées (7 nov. 1659). L'Europe vers 1660. au dehors et au dedans; le passé ; le présent; lavenir. La France arbitre de la situation. III. MAZARIN (1602-1661).

sonne.

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Caractère de l'œuvre, jugement sur la per

Richelieu avait fait rentrer avec éclat la monarchie française dans le rôle de défenseur de l'équilibre européen : pour cela, il avait, au dedans, tendu à l'extrême tous les ressorts du gouvernement, au dehors, engagé la lutte contre la puissance austro-espagnole, sur tous les points à la fois, et par toutes les armes. Mais il était mort prématurément, et son œuvre pouvait péricliter comme avait périclité celle de Henri IV: il n'en fut rien.

I

La Fronde (1648-53).

Au moment où était mort Richelieu, Louis XIII était également mourant; mais il avait eu le temps d'assurer la succession du « grand politique » à un homme désigné par

LE DÉBUT DE MAZARIN

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le cardinal lui-même, l'Italien Mazarin. Celui-ci, né à Rome en 1602, s'était signalé à l'attention des Français lors des négociations relatives à l'affaire de Mantoue en 1630. Cardinal, représentant du Pape en France, il s'attacha peu à peu à sa patrie d'adoption. Richelieu le fit secrétaire d'État, Louis XIII le choisit comme parrain du dauphin (1638). Lorsque le roi mourut le 14 mai 1643, la régence pour le jeune Louis XIV (âgé seulement de 5 ans) était dévolue à la reine Anne d'Autriche : celle-ci n'éprouvait aucune répugnance pour le premier ministre qui lui était désigné. Bientôt on vit que Mazarin était décidé à suivre de tous points la voie ouverte par son prédécesseur, surtout au dehors: « La guerre d'Allemagne n'est point guerre de religion, mais seulement guerre pour réprimer la grande ambition de la maison d'Autriche », écrivait-il en 1644. Les succès de Condé et de Turenne inauguraient brillamment le nouveau règne.

Mais au dedans, il va de soi que le changement de régime avait fait rentrer en scène tout ce qui avait été comprimé par le grand ministre ; beaucoup crurent revenu l'âge d'or des intrigues de cour. Anne d'Autriche était disposée à se laisser faire : « il n'y avait plus que cinq petits mots dans la langue française: la reine est si bonne, » Mais Mazarin, sous des dehors rassurants, n'était pas moins décidé que son prédécesseur à arrêter les « Importants ». Beaufort, le chef de l'intrigue, fut embastillé (2-3 septembre 1643), avec une vivacité qui rallia au ministre étranger l'opinion de la capitale.

Plus grave était le mécontentement que causait l'augmentation des impôts, rendue nécessaire par la guerre. Des révoltes avaient éclaté dans diverses provinces sous Richelieu elles se renouvelèrent contre Mazarin. D'autant que celui-ci avait placé à la tête des finances un sien compatriote, Particelli d'Emery, qui se trouva en présence d'une situation financière terrible: l'intérêt de la dette avait passé de 2 millions à 5 millions. Particelli se signala par certaines de ces inventions ingénieuses qui ravissent les hommes du

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